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La réelle portée du pouvoir discrétionnaire policier

Par Me Félix R. Larose

 

La réelle portée du pouvoir discrétionnaire policier

Le pouvoir discrétionnaire propre à l’exercice du métier policier possède une importance capitale dans la saine administration de la justice. Une certaine compréhension de ce pouvoir selon laquelle la discrétion n’aurait sa place que lors d’une intervention de type réglementaire doit être rectifiée.

Bien au contraire, le pouvoir discrétionnaire s’inscrit dans tous les types d’intervention. Si le respect des directives administratives et des ordres émis par un supérieur sera toujours  important, l’autonomie professionnel du policier et son jugement demeure une caractéristique primordiale de notre système de justice.

L’arrêt de principe en la matière est R. c. Beaudry, [2007] 1 RCS 190. La Cour suprême du Canada y exprime sans embâcle la pleine mesure de ce pouvoir discrétionnaire :

[37] […] Le passage de la lettre de la loi aux situations pratiques et concrètes auxquelles sont confrontés les policiers dans l’exercice journalier de leurs fonctions nécessite certains ajustements.  Même s’ils paraissent parfois déroger à la lettre de la loi, ces ajustements sont cruciaux et participent de l’essence même d’une saine administration de la justice criminelle ou, pour reprendre le libellé du par. 139(2), s’inscrivent parfaitement dans le « cours de la justice ».  C’est précisément la capacité — voire l’obligation — d’exercer son jugement pour ajuster l’application de la loi aux circonstances ponctuelles et aux impératifs concrets de la justice qui sert de fondement au pouvoir discrétionnaire du policier.  À ce propos, la remarque du juge La Forest dans l’arrêt R. c. Beare, 1988 CanLII 126 (CSC), [1988] 2 R.C.S. 387, p. 410, conserve toute sa pertinence :

Le pouvoir discrétionnaire est une caractéristique essentielle de la justice criminelle. Un système qui tenterait d’éliminer tout pouvoir discrétionnaire serait trop complexe et rigide pour fonctionner.

[Nous soulignons]

Qui dit discrétionnaire ne dit toutefois pas « aléatoire » et le plus haut tribunal conclut que l’exercice du pouvoir discrétionnaire doit se justifier subjectivement – c’est-à-dire de manière honnête et transparente et reposer sur des motifs valables et raisonnables; il doit aussi être justifié au regard d’éléments objectifs. Au moment de décider de la légitimité d’une décision discrétionnaire, il importe donc de s’attacher aux circonstances matérielles qui ont donné lieu à l’exercice du pouvoir discrétionnaire.  La justification avancée devra être proportionnée à la gravité des actes, et le pouvoir devra avoir été manifestement exercé dans l’intérêt public.

S’exprimant plus spécifiquement sur la relation entre pouvoir discrétionnaire et directives administratives, la Cour suprême écrit, toujours dans l’arrêt Beaudry :

[45] […]  Il faut se rappeler que ces directives n’ont pas force de loi.  Partant, elles ne peuvent modifier la portée d’un pouvoir discrétionnaire qui, lui, tire sa source de la common law ou d’une loi.  Dans la mesure où le par. 254(2) du Code criminel, le seul texte législatif applicable en l’espèce, confère à l’agent de la paix le pouvoir, mais ne lui impose pas l’obligation, de recueillir des échantillons d’haleine, le Guide de pratiques policières ne peut faire du pouvoir discrétionnaire d’ordonner ou non la prise d’échantillons une norme juridique obligatoire : Maple Lodge Farms Ltd. c. Gouvernement du Canada,  1982 CanLII 24 (CSC), [1982] 2 R.C.S. 2.

Puis, la Cour cite avec approbation un passage de l’arrêt Jageshur de la Cour d’appel de l’Ontario où les obligations du policier entraient en conflit avec les directives administratives :

[46] Dans R. c. Jageshur (2002), 2002 CanLII 45116 (ON CA), 169 C.C.C. (3d) 225, la Cour d’appel de l’Ontario a abordé la question dans un contexte très similaire à celui qui nous intéresse. Cette affaire portait sur la légalité d’une opération policière conduite en conformité avec le droit applicable, mais non avec les directives administratives en vigueur.   Le juge Doherty, de la Cour d’appel de l’Ontario, a dit au nom des juges unanimes :

[TRADUCTION] Les devoirs d’un policier et, partant, ses obligations, ne sauraient se confondre avec les directives sur la manière de s’y conformer.  Les politiques de l’Administration policière ont trait aux modalités d’exécution de ces devoirs et obligations, et non à leur définition ou délimitation.

Ainsi, le pouvoir discrétionnaire et le jugement du policier est essentiel à une saine administration de la justice. Il trouve application dans les interventions réglementaires tout autant que les interventions purement criminelles.