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Commentaire sur l'arrêt Le Roi c. Tessier – La présomption d'inadmissibilité d'une confession d'un suspect

 

Par Me Ariane Bergeron St-Onge

 

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2023REP3585

 

 

INTRODUCTION

La règle moderne des confessions exige que la Couronne fasse la preuve hors de tout doute raisonnable du caractère libre et volontaire des déclarations faites à la police par un suspect à l’occasion d’un voir-dire tenu préalablement au procès. L’analyse est contextuelle, en ce sens que le juge doit examiner un ensemble de facteurs pour déterminer le caractère volontaire de la déclaration, dont l’existence d’une mise en garde prononcée par les policiers au suspect. L’arrêt R. c. Tessier1 de la Cour suprême vient déterminer si une règle souple ou rigide devrait s’appliquer en l’absence d’un tel avertissement fourni par les autorités quant à savoir si la Couronne s’est acquittée de son fardeau.

 

I– LES FAITS

Les policiers enquêtaient sur un meurtre et interrogeaient plusieurs personnes en lien avec la victime retrouvée morte dans un fossé, dont l’accusé qui était un de ses amis. Ce dernier a fourni des déclarations lors de deux interrogatoires dans la même journée. La police ne l’a pas averti de son droit au silence et du risque relatif à l’auto-incrimination, et ne l’a pas informé non plus de son droit d’avoir recours à l’assistance d’un avocat en vertu de l’article 10b) de la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après « la Charte »).

Un voir-dire s’est tenu lors du procès de l’accusé pour meurtre au premier degré afin de déterminer si ses déclarations étaient admissibles conformément à la règle des confessions de la common law. De plus, l’accusé demandait que ses déclarations soient exclues conformément à la Charte en alléguant que son droit à l’avocat et son droit au silence avaient été violés.

Le tribunal de première instance a conclu que les déclarations étaient admissibles, car elles avaient été faites librement et volontairement alors que l’accusé n’était pas encore un suspect dans le cadre de l’enquête criminelle. Comme il n’était pas détenu psychologiquement, il ne pouvait prétendre à l’application de ses droits protégés par la Charte. L’accusé a ultimement été déclaré coupable.

La Cour d’appel a annulé le verdict de culpabilité et a ordonné la tenue d’un nouveau procès, car la question de savoir si l’accusé avait librement choisi de parler à la police n’avait pas été analysée comme condition du caractère volontaire, contrairement à la règle des confessions. Elle a refusé de trancher la question de la détention de l’accusé dans ce contexte.

 

II– LA DÉCISION

A. Les questions en litige

La majorité de la Cour, sous la plume de l’honorable Kasirer, cerne les questions en litige de la façon suivante :

Premièrement, à l’étape de l’enquête criminelle qui a précédé la détention, quelle a été l’incidence de l’absence d’une mise en garde pendant l’interrogatoire policier sur le caractère volontaire des déclarations de M. Tessier suivant la règle des confessions ? A-t-il été injustement privé d’un choix utile de parler ou non à la police, de sorte que ses déclarations doivent être jugées involontaires et donc inadmissibles ?

Deuxièmement, M. Tessier a-t-il été détenu psychologiquement en violation de ses droits garantis par la Charte et, le cas échéant, quelle en a été l’incidence sur l’admissibilité de ses déclarations ? Plus particulièrement, le fait de participer à une rencontre à la demande d’un policier dans un poste de police devrait-il être considéré comme une détention, en l’absence de mesures prises par la police pour communiquer le contraire ?

 

B. Le caractère volontaire des confessions

Pour être admissible, la déclaration de l’accusé doit être faite de façon libre et volontaire suivant la règle des confessions de la common law, et ce, hors de tout doute raisonnable. La Couronne a en effet de fardeau de persuasion de prouver le caractère volontaire de la déclaration. Pour le déterminer, le juge du procès doit analyser le contexte dans lequel la déclaration a été faite. Plusieurs facteurs entrent en jeu, notamment la présence de menace ou de promesse par les policiers, si ces derniers ont créé un climat d’oppression, l’existence de ruses et l’état d’esprit conscient du suspect.

L’absence de mise en garde par les policiers au moment de prendre la déclaration d’un suspect est une preuve prima facie que la déclaration est inadmissible. Toutefois, l’absence de mise en garde est un facteur important à l’analyse du juge sur le caractère volontaire, mais il n’est pas déterminant. La règle moderne des confessions est guidée par des préoccupations de fiabilité et d’équité, mais son application dépend du contexte de l’affaire. L’avertissement donné au suspect touche à l’équité, en ce sens qu’il lui permet d’exercer un libre choix de parler aux policiers, même lorsqu’il est placé devant un risque juridique. La majorité de la Cour indique que l’équité doit être pondérée avec d’autres valeurs afin que la règle des confessions demeure souple dans son application pour tenir compte de la complexité des réalités des enquêtes policières.

L’absence de mise en garde n’est donc pas fatale selon la majorité de la Cour. La Couronne peut prouver que le suspect a conservé la capacité d’exercer son libre choix à la lumière des faits de l’affaire, et ainsi renverser la présomption d’inadmissibilité de la déclaration. La Couronne n’est pas pour autant libérée de son fardeau ultime de prouver le caractère volontaire hors de tout doute raisonnable. L’accent est plutôt mis sur la portée juridique de l’absence d’une mise en garde comme une manifestation possible du caractère non volontaire lorsqu’une personne est un suspect.

En l’espèce, la Cour a jugé que l’accusé a fait le choix libre et éclairé de parler à la police et n’a pas été privé injustement de son droit au silence. Bien que le juge du procès ait erronément conclu que l’accusé n’était pas un suspect lors de ses déclarations, cette erreur n’était pas dominante et ne justifierait pas l’intervention de la Cour d’appel, dans le contexte de la présente affaire.

Malgré l’absence d’une mise en garde, les déclarations de l’accusé étaient volontaires suivant la règle des confessions. La Couronne s’est acquittée de son fardeau en prouvant hors de tout doute raisonnable que l’absence d’une mise en garde a été sans conséquence et que les déclarations étaient volontaires.

De plus, l’accusé n’a pas été détenu psychologiquement, de telle sorte qu’il ne saurait prétendre à la violation de ses droits protégés par la charte. En conséquence, son droit de recourir à l’assistance d’un avocat n’a pas été violé.

 

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

En l’absence de mise en garde, il nous apparaît clair que le suspect est empêché de faire un libre choix de fournir une déclaration à la police alors qu’il est visé par une enquête criminelle. Appliquer une règle souple à cette présomption en déterminant qu’il s’agit d’un facteur parmi tant d’autres à l’analyse du juge du procès sur le caractère volontaire dilue son impact de sorte que le suspect qui ne connaît pas le risque juridique de parler subit à notre sens un préjudice beaucoup trop grand : la situation devient alors inéquitable à nos yeux.

Par ailleurs, nous sommes d’accord avec la dissidence des juges Brown et Martin qui soulignent que la majorité ne pousse pas le raisonnement jusqu’à sa conclusion logique : tout intéressé devrait obtenir un avertissement par les autorités, sans quoi leur déclaration serait présumée inadmissible, pas seulement les suspects d’une enquête criminelle.

 

CONCLUSION

L’arrêt Tessier aura au moins le bénéfice d’établir clairement la règle selon laquelle la déclaration faite sans mise en garde au suspect visé par une enquête criminelle est présumée inadmissible.

 


 

1. 2022 CSC 35, EYB 2022-485123.