Merci de vous inscrire à notre infolettre.
Infolettre
Si vous souhaitez recevoir de nos nouvelles, il suffit d’entrer votre adresse courriel dans la boîte ci-contre.
Veuillez remplir les champs correctement.

Gain de cause dans un recours contre la Loi 20!

 

La Fédération des policiers et policières municipaux du Québec et la Fraternité des policiers et policières de Montréal, représentées par Me Jean-François P. Raymond et Me Jean Paul Romero du cabinet RBD avocats, obtiennent gain de cause dans leur recours contre la Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement, L.Q. 2017 c. 20 (ci-après, la « Loi 20 »).

 

Le 30 août 2023, la Cour supérieure, sous la plume de la juge Florence Lucas, conclut à l’inconstitutionnalité des articles 263.2, 263.3, 313.1 et du deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police adoptés dans le cadre de la Loi 20[1].

 

Contexte

La Loi 20 s’attaque au moyen de pression auquel les policiers et policières du Québec ont généralement eu recours depuis plusieurs décennies, en l’occurrence la substitution ou d’altération de différents éléments de leurs uniformes. La Loi 20 ajoute l’article 263.1 à la Loi sur la police, lequel prévoit :

263.1. Tout policier ou tout constable spécial doit, dans l’exercice de ses fonctions, porter l’uniforme et l’équipement fournis par l’employeur dans leur intégralité, sans y substituer aucun élément. Il ne peut les altérer, les couvrir de façon importante ou de façon à en cacher un élément significatif ni nuire à l’usage auquel ils sont destinés.

Les associations syndicales contestent la constitutionnalité des articles 263.2, 263.3, 313.1 ainsi que du deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police tels qu’adoptés dans le cadre de la Loi 20. Elles plaident que ces dispositions créent une interdiction totale de modifier les uniformes de travail des policiers comme moyens de pression de sorte que ces articles portent une atteinte injustifiée à la liberté d’expression de ses membres, en plus d’entraver substantiellement à leur liberté d’association, protégées par la Charte canadienne des droits et libertés et la Charte des droits et libertés de la personne.

 

Motifs de la Cour

a. La liberté d’expression

Pour déterminer si les dispositions portent atteinte au droit à la liberté d’expression garanti par les Chartes, la Cour applique le cadre d’analyse de l’arrêt Irwin Toy[2]. Premièrement, elle doit se demander si le moyen d’expression revendiqué est couvert par la protection de l’alinéa 2b) et deuxièmement, elle doit déterminer si la loi contestée a pour objet ou pour effet de limiter ce moyen d’expression.

Selon la juge Lucas, il ne fait aucun doute que l’activité revendiquée par les policiers possède un caractère suffisamment expressif pour justifier l’examen de la question de savoir s’il y a violation de l’alinéa 2b) de la Charte[3]. Elle souligne que la liberté d’expression prévue à l’alinéa 2b) de la Charte protège un large éventail d’activités expressives, tant que celles-ci transmettent ou tentent de transmettre un message ou une signification. Les tribunaux ont par ailleurs rappelé à maintes reprises l’importance que revêt cette liberté dans le cadre des conflits de travail.

Pour la Cour, nul doute que les dispositions interdisant la substitution ou l’altération de l’uniforme portent atteinte à l’alinéa 2b) de la Charte : « en restreignant ces moyens de pression qui constituent des activités expressives, les dispositions de la Loi 20 emportent une restriction sur le contenant et le contenu du message, tant par l’objet que par ses effets »[4]. De plus, les policiers s’exposent à des amendes importances de l’ordre de 500 $ à 3 000 $, qui double en cas de récidives.

 

b. La liberté d’association

La Cour estime que l’altération concertée de l’uniforme des policiers constitue une activité associative susceptible d’être protégée par la Charte :

[118] Dans les faits, l’altération concertée de l’uniforme fait partie d’une stratégie mise en place par les associations et policiers pour s’unir, pour sensibiliser la population sur leurs revendications, de façon paisible et pacifique, tout en faisant pression sur leur employeur dans le cadre de négociation collective, afin de négocier davantage sur un pied d’égalité. La nature même de ce moyen de pression, sa raison d’être est d’influencer l’employeur dans le cadre des négociations par une action commune qui serait inefficace si elle était exercée par une seule personne.

Afin d’évaluer s’il y a atteinte à la liberté d’association, il faut recourir au critère de l’entrave substantielle. La Cour applique donc le test à deux volets développé par la Cour suprême dans l’arrêt Health Services[5] : « D’abord, il faut déterminer l’importance que les aspects touchés revêtent pour le processus de négociation collective et, plus particulièrement, la mesure dans laquelle la capacité des syndiqués d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est compromise. Puis, on doit étudier l’impact de la mesure sur le droit collectif à une consultation et à une négociation menée de bonne foi »[6].

Au regard de la preuve entendue, la Cour conclut que les moyens de pression liés à la substitution ou l’altération de l’uniforme jouissent d’une grande importance dans le processus de négociation des policiers et policières au Québec depuis 40 ans. Par ailleurs, ce moyen de pression s’est avéré, au fils des ans, particulièrement efficace pour attirer l’attention des médias et pour transmettre un message dans la sphère publique. Dans ce contexte, la Cour juge que les dispositions contestées exercent une influence substantielle sur le droit collectif des policiers à une consultation et à une négociation menée de bonne foi. La Cour écrit :

[146] En définitive, considérant le contexte historique de l’altération de l’uniforme comme moyens de pression et les objectifs essentiels remplis par ceux-ci, le Tribunal conclut que la capacité des policiers d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs est substantiellement compromise par les interdictions prévues dans les dispositions litigieuses, si bien qu’il existe une atteinte à la liberté d’association garantie à l’al. 2d) de la Charte.

 

c. La justification sous l’article premier

Pour établir qu’une restriction est raisonnable et justifiée, la Cour rappelle que le gouvernement a le fardeau de prouver, d’une part, l’existence d’objectifs urgents et réels justifiant l’adoption des dispositions litigieuse, d’autre part, que le moyen choisi est proportionnel à ces objectifs.

Le PGQ prétend que l’objectif des dispositions en cause est de favoriser le respect de l’autorité et de la crédibilité des policiers dans leurs fonctions essentielles, et ce, en assurant leur sécurité et celle du public et en maintenant la confiance de la population à leur égard. Après analyse de la preuve, la Cour conclut que les objectifs visant la préservation de la confiance du public et l’identification des policiers sont louables. Quant aux risques invoqués à la sécurité du public, la Cour souligne que la preuve à cet égard est non concluante. Malgré tout, par prudence, la juge décide de tenir compte des trois objectifs pour la suite de son analyse.

Selon la Cour, la preuve administrée à l’audience suffit pour conclue que l’interdiction de substituer et d’altérer l’uniforme des policiers présente un lien rationnel avec les objectifs liés à la confiance du public et à l’identification des policiers. Quant à l’objectif de préserver la sécurité publique, le PGQ n’a pas réussi à prouver de lien rationnel : « Avec égards, les appréhensions du législateur reposent essentiellement sur des impressions et opinions du Ministre, des organismes consultés et de journalistes (…) »[7].

La Cour juge que l’interdiction totale d’altérer l’uniforme, qui englobe tous les éléments de l’uniforme sans distinction, n’est pas raisonnablement adaptée aux objectifs poursuivis par le gouvernement. Par ailleurs, la Cour fait remarquer que les termes utilisés dans les dispositions litigieuses – « altérer »; « de façon importante »; « significatif », etc. – laisse place à l’arbitraire, sans paramètre permettant de les préciser. Ainsi, « (…) en raison de sa portée excessive et de son imprécision, la disposition prohibitive restreint les droits fondamentaux des policiers bien plus qu’il n’est nécessaire pour atteindre les objectifs »[8].

La dernière étape à franchir pour la Cour est de procéder à la mise en balance de l’incidence de la loi sur les droits protégés et l’effet bénéfique de cette loi sur le plan de l’intérêt supérieur du public. Selon la juge, « les effets préjudiciables de l’application des interdictions litigieuses sur les droits et libertés des policiers sont nombreux, importants et indéniables »[9]. Elle précise :

[243] Privés du droit de grève, les policiers se trouvent déjà limités dans leurs moyens de pression pour se mobiliser et faire part publiquement de leur mécontentement. Avec les restrictions imposées par les dispositions litigieuses, ils se retrouvent dépourvus des moyens de pression historiquement reconnus, dont ils font usage depuis près de 40 ans, qui constituent des modes d’expression et stratégies développés pour rencontrer les objectifs communs de la négociation collective, soit: leur liberté d’expression dans le contexte des conflits de travail, leur capacité d’agir d’une seule voix en vue de réaliser des objectifs communs et leur droit de faire reconnaître sur la place publique des enjeux propres à leurs conditions de travail.

En contrepartie, le PGQ n’a pas réussi à démontrer que l’altération de l’uniforme influence ou influencerait la perception du public au point de miner sa confiance et ses comportements. De plus, la Cour juge la preuve insuffisante pour démontrer une possible situation de confusion en cas d’incident sur le terrain. Finalement, l’absence d’exemples concrets impliquant la sécurité publique, d’incidents notoires au cours d’une longue période, fait obstacle aux prétentions du PGQ à cet égard.

Les conséquences de l’atteinte sur les droits fondamentaux des policiers s’avèrent donc disproportionnées par rapport aux effets bénéfiques probables des dispositions contestées :

[271] Surtout, le Tribunal est d’avis qu’en cherchant à éviter tout incident malheureux mais rarissime et isolé, encore jamais vécu au cours des 40 dernières années, le gouvernement ne saurait raisonnablement justifier une atteinte perpétuelle aux libertés d’expression et d’association des policiers, chères à une société libre et démocratique.

 

Conclusion

Ne pouvant se justifier en vertu de l’article premier de la Charte, les interdictions prévues par la Loi 20 doivent être annulées en application de l’article 52 de la Loi constitutionnelle de 1982.

La Cour supérieure estime que l’annulation doit prendre effet immédiatement en l’absence de motifs pouvant justifier une suspension des effets de la déclaration d’inconstitutionnalité.

La Cour déclare inconstitutionnels, invalides et inopérants, avec effet immédiat, les articles 263.1, 263.3, 313.1 et le deuxième alinéa de l’article 314 de la Loi sur la police, RLRQ c. P-13.1, tels qu’adoptés en vertu de la Loi obligeant le port de l’uniforme par les policiers et les constables spéciaux dans l’exercice de leurs fonctions et sur l’exclusivité de fonction des policiers occupant un poste d’encadrement, L.Q. 2017, chapitre 20.


[1] Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, 2023 QCCS 3333, disponible au lien suivant.

[2] Irwin Toy Ltd. c. Québec (Procureur général), 1989 CanLII 87 (CSC), [1989] 1 RCS 927, disponible au lien suivant.

[3] Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 99.

[4] Id., par. 102

[5] Health Services and Support – Facilities Subsector Bargaining Assn. c. Colombie-Britannique, 2007 CSC 27, disponible au lien suivant.

[6] Id., par. 93, cité dans Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 121.

[7] Fédération des policiers et policières municipaux du Québec c. Procureur général du Québec, préc., note 1, par. 209.

[8] Id., par. 236.

[9] Id., par. 242.