La protection à l’égard des fouilles abusives en milieu scolaire

25 juin 2024

Dans l’arrêt Conseil scolaire de district de la région de York c. Fédération des enseignantes et des enseignants de l’élémentaire de l’Ontario, 2024 CSC 22, la Cour suprême conclut que la Charte canadienne des droits et libertés (ci-après, Charte) s’applique aux conseils scolaires publics de l’Ontario. Ainsi, les enseignants et les enseignantes de ces conseils scolaires sont protégés à l’encontre des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives dans leur lieu de travail.

CONTEXTE

Deux enseignantes d’un conseil scolaire public en Ontario consignaient dans un journal électronique personnel partagé, protégé par un mot de passe et sauvegardé sur une plateforme infonuagique, leurs préoccupations quant à leur milieu de travail.

Le directeur de l’école est entré dans la classe d’une des enseignantes pour lui remettre du matériel didactique. Le directeur était au courant de l’existence de ce journal et, étant donné l’absence de l’enseignante dans sa salle de classe, en a profité pour toucher le tapis de souris qui a révélé un ordinateur déverrouillé et ledit journal. Le directeur a lu ce qui lui était visible à l’écran, puis a défilé le contenu du journal et a pris des photos du document avec son téléphone cellulaire.

Cette fouille a permis de justifier des mesures disciplinaires à l’encontre des enseignantes. Le syndicat a contesté par grief ces mesures en invoquant que le droit à la vie privée des enseignantes a été enfreint.

            La décision de l’arbitre

L’arbitre a rejeté le grief en mettant en balance les intérêts des deux parties et en privilégiant le droit à la direction de gérer le milieu de travail plutôt que l’attente raisonnable des enseignantes à l’égard de leur vie privée.

La décision de la Cour divisionnaire

En révision judiciaire, la Cour divisionnaire confirme la décision de l’arbitre en considérant que le cadre d’analyse applicable n’était pas celui de l’article 8 de la Charte, mais celui de la convention collective. Selon les juges majoritaires de la Cour divisionnaire, l’article 8 de la Charte ne confère aucune protection à l’encontre des fouilles, des perquisitions et des saisies abusives en contexte de travail, contrairement à un contexte pénal. La Cour divisionnaire considère donc que la décision de l’arbitre est déraisonnable.

La décision de la Cour d’appel de l’Ontario

Finalement, la Cour d’appel d’Ontario a accueilli l’appel du syndicat et a annulé la décision de l’arbitre. La Cour d’appel considère que la Charte s’applique dans une telle situation et les enseignantes auraient dû être protégées face à cette fouille abusive dans les circonstances.

LES MOTIFS DE LA COUR SUPRÊME

La Cour suprême rejette l’appel interjeté par le Conseil scolaire.

En effet, sous la plume du juge Rowe, la Cour suprême confirme que les enseignantes et les enseignants des conseils scolaires publics de l’Ontario sont protégés à l’encontre des fouilles abusives[1], considérant que ces conseils exercent une mission gouvernementale, soit l’enseignement public[2] et font donc partie du gouvernement au sens de l’article 32 de la Charte. Ainsi, ils constituent une « émanation du gouvernement et, à ce titre, ils sont assujettis à la Charte »[3].

La Cour suprême applique la norme de la décision correcte considérant qu’il s’agit d’une question constitutionnelle, soit l’application d’une protection de la Charte, qui commande une décision définitive des cours de révision. En appliquant cette norme de révision, la Cour suprême statue que l’arbitre a commis une erreur en limitant son analyse au cadre arbitral, sans tenir compte du cadre juridique applicable à un examen fondé sur la protection consacrée à l’article 8 de la Charte. Cette analyse est une contrainte juridique que l’arbitre aurait dû respecter. Cette erreur est fatale et la décision de l’arbitre doit être annulée[4].

DÉBAT SUR LA NORME DE CONTRÔLE

Les juges minoritaires Karakatsanis et Martin proposent des motifs concordants quant au résultat selon lesquels la décision de l’arbitre devrait être annulée, mais n’arrivent pas à cette conclusion de la même manière. Selon eux, la norme de révision aurait dû demeurer celle de la décision raisonnable.

En effet, l’arbitre a tout de même considéré l’expectative de vie privée des enseignantes et l’application de l’article 8 de la Charte, même si cela a été fait sans faire référence express à cette disposition constitutionnelle[5].

Nous sommes ici face à l’analyse, par un décideur spécialisé en relations de travail, de l’application de la Charte à une situation individualisée dans un contexte factuel et législatif précis qui ne soulève pas de question constitutionnelle liée à la primauté du droit[6]. Ainsi, selon les juges minoritaires, la norme de révision qui s’applique en l’espèce est celle de la décision raisonnable.

Cela étant dit, la décision de l’arbitre est déraisonnable dans la mesure où l’arbitre a considéré le contenu de la fouille pour conclure que la fouille n’était pas abusive, ce qui va à l’encontre du principe de « neutralité du contenu » lorsque l’on évalue si une fouille contrevient aux garanties contenues dans la Charte[7]. De plus, la conclusion de l’arbitre selon laquelle le journal électronique fouillé n’était pas de nature biographique est totalement déraisonnable[8].

CONCLUSION

Bien que la Cour suprême souligne l’importance de se prononcer sur l’applicabilité de la Charte dans une telle situation, elle rappelle que son raisonnement ne s’applique qu’aux conseils scolaires publics de l’Ontario, laissant en suspens la question des établissements privés et des autres provinces[9].  

Text

Notes de bas de page

[1]

Para 97 de l’arrêt.

[2]

Para 82 de l’arrêt.

[3]

Para 81 de l’arrêt.

[4]

Para 69 de l’arrêt.

[5]

Para 117 de l’arrêt.

[6]

Para 122 de l’arrêt.

[7]

Para 138 de l’arrêt.

[8]

Para 140 de l’arrêt.

[9]

Para 84 de l’arrêt.

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