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Le Conseil de règlement des différends suspend les audiences et déclare qu’il n’a pas compétence pour se prononcer sur le différend opposant la Ville de Mercier et le Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Mercier – SCFP 7103

 

Dans une décision datée du 21 mars 2022, le Conseil de règlement des différends (ci-après, le « CRD »), présidé par Me Gilles Touchette, se prononce positivement sur deux moyens préliminaires soulevés par la section locale 7103 du SCFP, (l’association nouvellement accréditée) et les syndicats intervenants (la Fraternité des policiers et policières de Montréal, la Fédération des policiers municipaux du Québec et le Syndicat des pompiers et pompières du Québec), dans le cadre d’un différend opposant le SCFP à la Ville de Mercier.

Le CRD déclare en premier lieu qu’il n’a pas compétence pour disposer du différend opposant le SCFP à la Ville de Mercier en raison d’un changement d’allégeance syndicale et de la nouvelle accréditation en découlant.

Bien que cette conclusion soit suffisante en elle-même pour disposer entièrement de l’affaire, le CRD a jugé opportun de se prononcer sur la demande de suspension d’audience présentée par le SCFP et les syndicats intervenants pour des raisons qui relèvent de l’intérêt public.

Le CRD accueille la demande de suspension pour valoir jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue par les tribunaux supérieurs sur la constitutionnalité de la Loi concernant le régime de négociation des conventions collectives et de règlement des différends dans le secteur municipal (ci-après, la « Loi 24 »).

 

Le CRD déclare qu’il n’a pas compétence pour disposer du différend

Le CRD a été constitué le 18 août 2021 afin de disposer d’un différend entre la Ville de Mercier et le Syndicat des pompiers et pompières du Québec (SPQ). Moins d’un mois plus tard, soit le 10 septembre 2021, le Tribunal administratif du travail révoquait l’accréditation détenue par le SPQ et accréditait le SCFP.

S’appuyant sur l’article 4 de la Loi 24 qui prévoit que « la phase de négociation débute, dans le cas de la négociation d’une convention par une association nouvellement accréditée, le jour de cette accréditation », les syndicats intervenants et le Syndicat SCFP soutiennent que le processus de négociation doit reprendre à zéro en date du 10 septembre 2021, date de l’accréditation de la nouvelle association. En d’autres mots, alors que la Ville prétend que le Syndicat SCFP succède au syndicat précédent et qu’il doit prendre le dossier dans l’état où il était au moment de son accréditation, les associations syndicales soutiennent que l’accréditation modifie l’état des chose en faisant renaître une nouvelle  phase de négociation.

Analysant les arguments soumis par les parties, le CRD conclut qu’il convient d’adopter l’interprétation syndicale :

L’expertise des membres du CRD en relations de travail et plus particulièrement en matière de négociations de conventions collectives nous conduit à souligner que la présence d’un nouvel agent négociateur en cours de négociation peut apporter une différente perspective dans les négociations et l’une ou l’autre des parties doit dans un tel cas se sentir libre de revenir sur des positions prises antérieurement sans se faire accuser de négociation de mauvaise foi. Ceci peut vouloir dire que des points réglés auparavant pourraient être remis en question de même que des points non réglés pourraient le devenir selon la dynamique de la négociation avec le nouvel agent négociateur.

Accepter le raisonnement soutenu par la Ville de Mercier priverait une association syndicale de ce droit et notre CRD ne peut accepter une telle conclusion.

Le CRD rejette également la prétention de la Ville sur les effets pervers qui pourraient découler du dépôt de nouvelles requêtes en accréditation et de la reprise artificielle de nouvelles phases de négociation. Selon  le CRD, cette thèse est sans fondement, purement théorique et ignore totalement la dynamique des relations de travail.

Finalement, le CRD rejette l’argument de la Ville que donner raison aux associations syndicales, équivaudrait à rendre invalide le décret du gouvernement sur la désignation des membres du CRD :

En concluant que l’effet de cette nouvelle accréditation oblige les parties à reprendre les négociations, notre CRD n’invalide pas le décret gouvernemental. Il n’en a d’ailleurs pas le pouvoir. Nous ne faisons que constater l’effet combiné de la décision du TAT et des dispositions du Code du travail qui ont pour conséquence qu’une des deux parties visées par ledit décret n’a plus aucune existence légale.

 

En conclusion : « le décret ne peut avoir pour effet de faire revivre les droits d’une association dont l’accréditation a été révoquée par le Tribunal administratif du travail ».

 

Le CRD accueille la demande de suspension d’audience

Afin de mieux saisir les enjeux de cette demande de suspension, il convient de faire un bref rappel sur l’état des lieux.

La Cour supérieure du Québec a rendu le 5 octobre dernier, une décision dans laquelle elle accueille le recours des syndicats de policiers et de pompiers sur l’inconstitutionnalité des Conseils de règlement constitués en vertu de la Loi 24.

La Cour déclare que les dispositions de la Loi 24 relatives à la constitution de la liste des membres des CRD et leur désignation pour agir par la suite dans le cadre d’un arbitrage de différend en milieu policier-pompier sont invalides et violent l’alinéa 2 d) de la Charte canadienne des droits et libertés, en ce que le processus mis en place ne peut ne peut se faire sans la participation active des syndicats. Le mécanisme de règlement des différends établi ne peut donc constituer un substitut valable au retrait du droit de grève.

Les dispositions en question étaient donc de ce fait invalides constitutionnellement et inopérantes.

Par la même occasion, la Cour supérieure émettait une ordonnance suspendant la déclaration d’invalidité pour une période de douze mois, comme le font très souvent les tribunaux en vue de permettre au gouvernement de modifier les dispositions déclarées invalides et inopérantes.

Il y a lieu de souligner, en terminant sur ce rappel, que le gouvernement et les municipalités ont porté le jugement de la Cour supérieure en appel.

Il n’en fallait pas davantage pour que le gouvernement et les municipalités s’opposent à la demande de suspension d’audience des syndicats qui cherchaient à empêcher les CRD d’imposer une convention collective en attendant le jugement de la Cour d’appel.

Analysant les critères de l’arrêt Metropolitan[1], soit l’existence d’une question sérieuse, d’un préjudice irréparable et la prépondérance des inconvénients, le CRD conclut qu’il convient dans les circonstances de suspendre les audiences, de ne pas imposer une nouvelle convention collective et de maintenir le statu quo sur les conditions de travail convenues entre les parties selon la convention collective actuelle pendant toute la durée de la contestation de la Loi 24.

Puisqu’il n’y a aucun doute dans l’esprit du CRD que la question soulevée est une question sérieuse, son analyse porte davantage sur les deux autres critères.

Sur le préjudice irréparable, le CRD conclut qu’en acceptant la position de la Ville et celle du Procureur général du Québec, il se trouverait à rendre une décision qui impose des conditions de travail pour une période de cinq ans, alors que sa légitimité est mise en doute, du moins du point de vue des salariés : « une telle situation n’est certes pas un remède pour améliorer les relations de travail entre la Ville de Mercier et ses salariés ».

Le CRD ajoute ceci :

Si en fin de parcours la constitutionnalité de la loi était maintenue il n’y aurait pas de préjudice résultant d’une décision du CRD, mais si tel n’était pas le cas la situation serait totalement différente car les salariés visés par l’accréditation syndicale SCFP auraient été obligés de travailler selon des conditions de travail établies en partie par un tribunal inconstitutionnel. Comment réparer une telle situation? Notre CRD ne croit pas que cela serait possible.

Sur le critère de la prépondérance des inconvénients, le CRD se dit conscient que la question de la validité de la Loi 24 est loin d’être décidée puisque le jugement de la Cour supérieure a été porté en appel. Le CRD n’en demeure pas moins préoccupé par la partie du jugement qui invalide la constitution d’un CRD. Il s’exprime ainsi :

En tenant compte de ces propos du Juge Granosik il appert donc qu’une grande partie de la loi demeure valide, mais que son jugement colore grandement la crédibilité du processus de nomination des membres du CRD tout au moins auprès des associations syndicales.

Notre CRD n’aurait pas la même réticence à refuser la demande de suspension des associations syndicales si le jugement de la Cour Supérieure n’avait pas été rendu, mais il ne peut maintenant que prendre en considération l’existence de ce jugement qui a certainement une influence importante sur la perception que non seulement les parties ont sur notre CRD, mais surtout celle des membres des associations syndicales dont les conditions de travail feraient l’objet d’une décision de notre part.

 

Nous vous invitons à lire la décision du CRD en cliquant ici.

 


 

[1] Manitoba (P.G.) c. Metropolitan Stores Ltd., 1987 CanLII 79 (CSC), [1987] 1 RCS 110.