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Le COVID-19 s’implante dans les relations de travail : Ce qu’il faut savoir!

En décembre dernier, nous avons été informés de l’éclosion d’un nouveau coronavirus. La maladie associée à ce virus a été baptisée COVID-19. La semaine dernière, le nombre de cas d’infection a franchi le seuil des 100.000. L’Organisation mondiale de la santé a exhorté tous les pays à prendre des mesures d’endiguement et de contrôle d’une manière énergique pour ralentir et même inverser la propagation de l’épidémie.Le 12 mars 2020, le gouvernement québécois de M. Legault prend de front la situation pandémique de la COVID-19 en implantant certaines mesures et en appelant à la raisonnabilité des travailleurs et des employeurs. Bien que la réponse gouvernementale réponde à un besoin criant, il en demeure qu’au lendemain de la conférence de presse, plusieurs questions sont toujours sans réponse. Ainsi, il importe de faire la distinction entre une obligation et une demande du gouvernement. Rappelons d’abord ce qui a été décidé par le gouvernement de François Legault.

 

1 – LES EMPLOYÉS DE L’ÉTAT

Pour ce qui est des employés de l’État québécois, du secteur de la santé et de l’éducation, le gouvernement ordonne à tout travailleur revenant d’un voyage à l’extérieur du Canada, depuis le 12 mars 2020, de se placer en isolement obligatoire pendant 14 jours. Puisque le gouvernement l’exige, l’isolement est forcé et le travailleur est ainsi privé de la possibilité de travailler.  En raison de cette exigence, le gouvernement a aussi décrété que les employés visés par cette mesure de prévention seraient rémunérés pendant la période d’isolement.

Nous soulignons que les « employés de l’État », au sens de cette annonce, sont les salariés de la fonction publique, de la santé et de l’éducation. Tout salarié qui n’est pas directement rémunéré par le gouvernement québécois, autre que ceux du domaine de l’éducation et de la santé, n’est pas un « employé de l’État » au sens de cette mesure gouvernementale.

 

2 – LES AUTRES SALARIÉS

Tous les autres salariés au Québec ne sont pas soumis à un isolement forcé. Le gouvernement demande plutôt à ceux-ci de se placer volontairement en isolement à leur retour d’un voyage pour une période de 14 jours. La distinction entre isolement obligatoire/forcée et un isolement volontaire est primordial aux fins des relations de travail.

 

3 – ISOLEMENT VOLONTAIRE

Les salariés qui volontairement se placent en isolement ne sont pas forcément rémunérés par leur employeur. Pourquoi?

D’abord, le terme volontaire détermine qui de l’employeur ou du salarié place le salarié en position d’indisponibilité de sa prestation de travail. Dans cette optique, un travailleur qui choisit de rester chez lui pendant 14 jours, afin de ne pas risquer de contaminer des collègues, se retrouve à demander à son employeur de lui accorder un congé sans solde.

Pour cette raison, rien n’oblige un employeur à rémunérer un salarié qui se place en isolement volontaire, malgré que cet isolement provienne d’une demande du gouvernement. La demande n’est pas coercitive et ne s’apparente donc pas à une obligation légale de s’absenter du travail.

 

4 – ISOLEMENT FORCÉ À LA DEMANDE DE L’EMPLOYEUR

Or, dans certains cas, l’employeur exige de ses salariés que ceux-ci s’absentent du travail, pendant 14 jours, à leur retour de voyage. Lorsqu’un employeur force un salarié à s’absenter du travail, de manière préventive, il s’agit du pouvoir de direction de l’employeur qui entre en jeu. À ce moment, l’employeur se refuse à ce que le salarié exécute sa prestation de travail. Le Code civil du Québec prévoit qu’un contrat de travail est un contrat bilatéral dans lequel l’employeur s’oblige à permettre l’exécution d’une prestation de travail au salarié et il s’oblige à rémunérer le travailleur pour ce travail. Le salarié a quant à lui l’obligation de se présenter au travail et d’effectuer la tâche requise. Il s’agit des éléments constitutifs du contrat de travail.

2087. L’employeur, outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée, doit prendre les mesures appropriées à la nature du travail, en vue de protéger la santé, la sécurité et la dignité du salarié.

Dans l’éventualité où un employeur ne permet pas à un salarié d’exécuter sa prestation de travail, en lui donnant l’ordre de rester à la maison en isolement, l’isolement devient obligatoire, ce qui ne dégage pas l’employeur de son obligation de rémunérer le salarié absent. Tout employeur qui interdit l’accès à un salarié de se présenter au travail alors que celui-ci n’est pas diagnostiqué positif au coronavirus est dans l’obligation légale de rémunérer le salarié dont on force l’isolement. Il s’agit dans ce cas d’une suspension administrative du contrat de travail par l’employeur. Les critères de l’arrêt Cabiakman devrait donc s’appliquer afin de déterminer si l’employeur est en droit de refuser l’accès au lieu de travail et de surcroit, si la suspension se doit d’être avec ou sans solde. Nous rappelons qu’une suspension administrative se doit de répondre à 4 critères :

1) Mesure prise afin de protéger les intérêts légitimes de l’employeur

2) L’employeur doit agir de bonne foi

3) La mesure doit être de courte durée ou prévisible quant à sa durée

4) Sauf circonstances exceptionnelles, la suspension est avec solde

 

5 – VOYAGE PLANIFIÉ, DÉPART POSTÉRIEUR AU 12 MARS 2020

Si les quatre points précédents expliquent les obligations bilatérales employeur-salarié pour les départs à l’extérieur du pays avant le 12 mars 2020, il reste à déterminer quelles sont les conséquences pour un salarié de partir en voyage, une fois l’annonce gouvernementale émise.

 

i) Un employeur peut-il refuser des vacances alors que le gouvernement fédéral n’a pas fermé les frontières?

Pour l’instant, les frontières sont toujours ouvertes. Un employeur ne peut pas de sa seule initiative refuser toute demande de vacances sous le seul prétexte de la COVID-19. D’une part, l’employeur s’ingèrerait gravement dans la liberté individuelle du travailleur s’il pouvait contrôler le temps libre d’un salarié. La Loi sur les normes du travail ou les conventions collectives permettent le droit aux congés annuels. Dans cette mesure, la situation, bien que préoccupante du coronavirus, ne donne pas le droit à l’employeur d’annihiler une condition de travail aussi important que les congés annuels. Un voyage réservé et planifié, pour lequel il n’est pas raisonnablement possible d’annuler devrait être autorisé par l’employeur. L’isolement forcé qui en découle, au retour du travailleur, devrait être sans perte de traitement.

Toutefois, en ce qui concerne la réservation postérieure au 12 mars 2020, l’employeur dispose d’une latitude plus ou moins étendue, dans l’octroi des vacances annuelles. Tout dépendant de la spécificité du contrat de travail ou de la convention collective, l’employeur a un certain droit de regard sur le moment où les salariés prennent leurs vacances. La COVID-19 ne modifie pas le pouvoir de l’employeur de refuser une demande de congé préalablement accordée ou encore une demande ponctuelle qui respecte les dispositions de la convention collective entre les parties. Par contre, un contrat de travail, individuel ou collectif, peut contenir des dispositions qui permettent à l’employeur de refuser des demandes de vacances en cas de force majeure, de manque d’effectifs ou pour un motif raisonnable. Lorsque les parties conviennent d’un pouvoir discrétionnaire de l’employeur sur l’octroi des vacances, il semble raisonnable de conclure que les risques associés au COVID-19 sont suffisants afin de permettre à l’employeur de refuser toute demande de vacances risquant d’engendrer un manque d’effectifs pendant une période plus ou moins prolongée.

 

ii) Un salarié qui, volontairement, prend des vacances à l’extérieur du pays peut-il avoir droit à une rémunération pendant l’isolement de 14 jours suivant son retour au pays?

Encore une fois, la situation est problématique. Dans les faits, s’il est autorisé à quitter le travail pour son congé annuel et que le gouvernement fédéral n’interdit pas aux Canadiens de quitter le pays, le salarié est totalement dans son droit de partir à l’extérieur du pays. À son retour, n’étant pas soumis à autre chose qu’un isolement volontaire, le salarié pourrait retourner au travail. Si l’employeur lui refuse l’accès au lieu de travail, nous considérons que le salarié est en suspension administrative et que conséquemment, il se doit, sous réserve du paragraphe suivant, d’être rémunéré.[1]

À ce principe général s’ajoute la notion de devoir civique. Il est certain que de se planifier postérieurement au 12 mars 2020 un voyage à l’extérieur du pays dans l’optique de bénéficier d’un congé payé (isolement de 14 jours) à son retour est un comportement abusif et déraisonnable. Face à la pandémie, les autorités ont mis en place des protections collectives afin de combattre la propagation du virus. User de cette période pour bénéficier d’une absence rémunérée à laquelle on n’aurait pas accès en temps régulier est contraire aux articles 6 et 7 du Code civil du Québec.

6 Toute personne est tenue d’exercer ses droits civils selon les exigences de la bonne foi.

7 Aucun droit ne peut être exercé en vue de nuire à autrui ou d’une manière excessive et déraisonnable, allant ainsi à l’encontre des exigences de la bonne foi.

Le salarié planifiant un voyage dans l’objectif d’obtenir deux semaines supplémentaires de vacances payées à son retour manque à son obligation de bonne foi. Nous sommes d’avis qu’un employeur pourrait refuser de le rémunérer tout en obligeant le salarié à demeurer en isolement préventif vu l’état mondial de la propagation. Nous serions devant une des circonstances exceptionnelles prévues dans l’arrêt Cabiakman justifiant l’employeur de suspendre sans solde. Malgré tout, chaque cas demeure un cas d’espèce. La bonne foi des parties doit être analysée.

Le lundi 16 mars 2020, le gouvernement fédéral ferme officiellement ses frontières aux non-résidents. Dans son allocution, le premier ministre Trudeau mentionne clairement aux voyageurs que « si vous êtes à l’étranger, il est le temps de rentrer chez vous ». À cette date, il devient évident que le gouvernement conseille vigoureusement aux Canadiens de rester au Canada, sous peine de ne pas pouvoir y retourner comme prévu. Cette nouvelle donnée tend à favoriser la thèse qu’un départ à l’extérieur du pays à partir de maintenant pourrait permettre à un employeur de justifier l’imposition de mesures à l’endroit d’un salarié. Évidemment, certaines exceptions pourraient s’appliquer, en fonction de la nature et la nécessité du voyage. Toutefois, la fermeture des frontières sera visiblement un élément déterminant dans  l’appréciation des mesures prises par un employeur à l’encontre d’un salarié ayant choisi de voyager malgré l’avis du gouvernement canadien.

***De plus, nous rappelons que tout départ éventuel est vivement risqué. Que ce soit en matières financières ou d’assurance, un voyage à l’extérieur du pays comporte un lot d’imprévus qui peuvent représenter des pertes monétaires importantes pour le voyageur. La majorité des compagnies d’assurances ont modifié leur position sur les voyages en raison de la pandémie. Dans cette mesure, les personnes désirant tout de même voyager sont fortement incitées à vérifier leur couverture d’assurance et les avis gouvernementaux du pays hôte.***

 

6 – MALADIES ET SYMPTÔMES

Les points précédents traitent exclusivement de la mise en place de mesures de prévention. Ainsi, l’isolement est préventif malgré l’absence de symptômes. Or, du moment où un travailleur manifeste des signes ou des symptômes grippaux, l’employeur doit veiller à la santé et la sécurité des autres travailleurs. Par l’effet de la Loi sur la santé et sécurité au travail, l’employeur dispose de moyens afin de s’enquérir de l’état de santé d’un travailleur et de prendre les mesures appropriées qui peuvent aller jusqu’au congé forcé le temps que celui-ci ne soit plus contagieux. Dans un tel cas, le travailleur est placé en arrêt de maladie avec les dispositions applicables à toute maladie.

Parallèlement, un travailleur qui reçoit un diagnostic lié à la COVID-19 ne peut s’enquérir de l’isolement pour réclamer 14 jours de rémunération. Une fois contracté, la COVID-19 emporte l’ouverture des dispositions légales en cas de maladie. Que ce soit au niveau de l’assurance invalidité ou de la convention collective, le travailleur est considéré inapte à effectuer sa prestation de travail en raison d’une maladie contagieuse.

 

7 – LES RASSEMBLEMENTS DE 250 PERSONNES ET PLUS

Le gouvernement a formellement interdit les rassemblements intérieurs de plus de 250 personnes afin de diminuer les risques de contagion. Cette annonce fait suite aux différentes ligues sportives ayant suspendu leur saison respective. Au niveau des relations de travail, la question de ces rassemblements se pose sur deux fronts.

D’une part qu’arrive-t-il si un établissement rassemble plus de 250 travailleurs dans un même endroit? Considérant la mesure décrétée par le gouvernement, un salarié serait en mesure d’exercer un droit de refus si l’employeur lui ordonne de travailler dans des conditions contraires mesures préventives du Directeur national de la Santé publique. Le droit de refus est un recours prévu par la Loi sur la santé et la sécurité au travail.

12 Un travailleur a le droit de refuser d’exécuter un travail s’il a des motifs raisonnables de croire que l’exécution de ce travail l’expose à un danger pour sa santé, sa sécurité ou son intégrité physique ou peut avoir l’effet d’exposer une autre personne à un semblable danger.[2]

De plus, les instances syndicales, telles que les assemblées générales, seront possiblement contraires à l’interdiction du gouvernement. En effet, plusieurs assemblées sont tenues dans des unités où le nombre de participants dépasse le nombre maximal de 250. Conséquemment, les syndicats devront respecter cette limite lors de la tenue d’événements syndicaux. Certaines assemblées doivent aussi être tenues à certains moments précis dans l’année, notamment l’adoption des états financiers. Or, une interdiction gouvernementale doit être considérée comme un élément de force majeure qui oblige le syndicat a reporté l’événement ou encore a dérogé à certaines procédures quant à la tenue de ces évènements. Une assemblée pourrait par exemple être scindée en plusieurs jours ou être tenue par vidéo-conférence dans plusieurs salles distinctes.

 

8 – CONCLUSION

Le présent texte fait état d’une situation en évolution constante. Nous prenons le soin de rappeler que le Directeur de la santé publique dispose de plusieurs pouvoirs lors d’une épidémie et que ce faisant, au fil de ces interventions, le milieu du travail pourrait être affecté encore davantage. À ce titre, nous relevons certains des pouvoirs du directeur de santé publique :

106 Lorsqu’un directeur de santé publique est d’avis, en cours d’enquête, qu’il existe effectivement une menace réelle à la santé de la population, il peut:

1°   ordonner la fermeture d’un lieu ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes ou à certaines conditions et faire afficher un avis à cet effet;

2°   ordonner l’évacuation d’un édifice;

 3°   ordonner la désinfection, la décontamination ou le nettoyage d’un lieu ou de certaines choses et donner des directives précises à cet effet;

4°   ordonner la destruction d’un animal, d’une plante ou d’une autre chose de la manière qu’il indique ou le traitement de certains animaux ou de certaines plantes;

5°   ordonner la cessation d’une activité ou la prise de mesures de sécurité particulières si c’est cette activité qui est une source de menace pour la santé de la population;

6°   ordonner à une personne, pour le temps qu’il indique, de ne pas fréquenter un établissement d’enseignement, un milieu de travail ou un autre lieu de rassemblement, si elle n’est pas immunisée contre une maladie contagieuse dont l’éclosion a été constatée dans ce milieu;

7°   ordonner l’isolement d’une personne, pour la période qu’il indique mais pour au plus 72 heures, si celle-ci refuse de recevoir le traitement nécessaire pour éviter toute contagion ou s’il s’agit de la seule mesure à prendre pour éviter la transmission au sein de la population d’un agent biologique médicalement reconnu comme pouvant mettre gravement en danger la santé de la population;

8°   ordonner à une personne de respecter des directives précises pour éviter toute contagion ou contamination;

9°   ordonner toute autre mesure qu’il estime nécessaire pour empêcher que ne s’aggrave une menace à la santé de la population, en diminuer les effets ou l’éliminer.

Malgré les dispositions du premier alinéa, le directeur de santé publique peut aussi utiliser les pouvoirs visés aux paragraphes 1° et 2° de cet alinéa comme mesure de précaution, s’il a des motifs sérieux de croire qu’il existe une menace à la santé des personnes qui fréquentent ce lieu ou cet édifice.

Nous resterons à l’affût des points de presse gouvernementaux afin de vous tenir informé des prochains développements.

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[1] Ce paragraphe ne s’applique pas aux employés de l’état qui ont une obligation légale d’isolement

[2] Loi sur la santé et la sécurité du travail, RLRQ c S-2.1