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Le témoignage par visioconférence en instance criminelle

Me Félix R. Larose

 

La pandémie a entrainé son lot d’adaptations dans les salles d’audience d’un océan à l’autre. Selon le type d’instance, l’audition des témoins par visioconférence semble devenir un incontournable de la pratique du droit.

Certains tribunaux administratifs comme le Comité de déontologie policière tiennent des procès entièrement virtuels depuis un certain moment, mais qu’en est-il en droit criminel? La question pourra certainement intéresser les policiers appelés à se présenter dans les Palais de justice après avoir travaillé une nuit complète, arpentant les couloirs pendant de longues heures dans l’attente d’un procès qui se réglera finalement à quelques minutes d’avis. Les villes, qui doivent ultimement assumer les frais de ces présences, pourront aussi y trouver un intérêt.

Le droit criminel a ceci de particulier qu’il met en jeu l’une des valeurs fondamentales de notre société, la liberté. Les garanties procédurales offertes à l’accusé, présumé innocent, ne sont à nulle autre égale. L’importance des conséquences potentielles commande le respect du droit de se défendre pleinement et entièrement des accusations portées contre soi. Ainsi, le législateur a prévu à l’article 714.1 du Code criminelles critères d’analyse permettant de faire entendre un témoin par visioconférence.

Sans en faire la nomenclature détaillée pour laquelle je laisse le soin au lecteur de se référer au texte de loi, les critères visent essentiellement à pondérer les inconvénients que poseraient la présence du témoin et ceux que subirait la partie adverse, plus souvent qu’autrement l’accusé.

Pendant de nombreuses années, la question ne se posait que sporadiquement au gré de situations particulières mettant en cause des témoins dispersés de part et d’autre de notre grand pays. Les tribunaux canadiens ont ainsi adopté des positions diverses, allant de l’engouement à la réticence.

La pandémie de COVID-19 appelle à une clarification de l’état du droit sur la question et devant l’enthousiasme suscité par un virage technologique aussi catastrophé qu’attendu, il convient de consulter les précédents, loin d’être unanimes.

Si la plupart s’entendent sur le recours à la visioconférence pour un témoin amenant une preuve technique ou de moindre importance, la question se corse à mesure que l’on approche du cœur du litige. On frappe un os lorsqu’il s’agit du plaignant ou que la crédibilité du témoin est centrale.

Deux courants s’opposent. La première approche, répandue dans les tribunaux ontariens, peut être qualifiée de statu quo et ne reconnait pratiquement pas de caractère distinct à la situation du témoin plaignant ou du témoin dont la crédibilité sera déterminante à l’issue du procès. Ce courant se fonde sur l’argument que la technologie actuelle permet au décideur d’observer toutes les données nécessaires à l’analyse de sa crédibilité.

La seconde émane de l’arrêt N.D.L de la Cour d’appel de la Nouvelle-Écosse.  Il s’agit de la plus haute instance canadienne à s’être penché sur la question où elle adopte une approche modulable selon laquelle, plus le témoignage est important, plus l’on exigera des raisons impérieuses pour ordonner le témoignage à distance. La Cour parle même du caractère exceptionnel requis lorsqu’il s’agit du témoin-plaignant. La Cour supérieure du Québec, siégeant en appel, a adhéré à cette position dans l’affaire Adam, suivi par la suite par la Cour du Québec dans l’affaire Hudon. Toutefois, les règles du stare decisis et l’évolution récente de la jurisprudence canadienne dans le contexte de la COVID-19 font évoluer le droit à grande vitesse.

Pour l’auteur de ces lignes, au-delà des facteurs techniques liés à l’analyse de la crédibilité du témoin, la solennité de l’engagement envers la vérité que prend un citoyen qui en dénonce un autre mérite, à elle seule, que l’on accorde à la question du témoignage à distance, une saine prudence. Le décorum de la Cour a une fonction.

Si la pandémie nous a poussés vers l’adoption de technologies fort utiles, elle nous a aussi permis de comprendre les limites que posent les écrans.