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Les concepts clés de l'affaire Salvail

Me Ariane Bergeron-St-Onge

 

Coup de théâtre dans le dossier d’Éric Salvail, animateur connu accusé d’agression sexuelle, de harcèlement et de séquestration, alors que le ministère public a été autorisé par le tribunal à présenter une contre-preuve pour attaquer la crédibilité de l’accusé, par le témoignage de trois nouveaux témoins. Le déroulement de ce procès criminel est pour le moins inhabituel et met en lumière des concepts clés qui relèvent davantage de l’exception.

 

La recette dite régulière du procès criminel

Un individu qui fait face à des accusations criminelles lors d’un procès doit être jugé pour le crime reproché à partir de la preuve du ministère public (au Québec, un procureur du Directeur des poursuites criminelles et pénales). L’accusé n’a aucun fardeau et pourrait même choisir de ne pas répondre aux accusations par une preuve quelconque. L’accusé est déclaré coupable si et seulement si le crime a été prouvé hors de tout doute raisonnable, qu’il ait présenté une défense ou non.

Ainsi, le procès criminel s’ouvre avec la preuve à charge, présentée par le procureur du DPCP. Lorsque la preuve est close de part et d’autre, les plaidoiries viennent clore le procès : chaque partie présentera des arguments prenant appui sur la preuve qui a été présentée.

 

La contre-preuve : une procédure exceptionnelle

Alors que la preuve était close de part et d’autre et que les plaidoiries devaient débuter, le ministère public dans le dossier Salvail s’est adressé au tribunal pour demander l’autorisation de procéder suivant une formule peu commune : la contre-preuve.

Le tribunal peut autoriser le ministère public à présenter une contre-preuve après la fin de la preuve de la défense dans des circonstances bien précises. Le tribunal donnera droit à cette demande si la défense soulève de nouvelles questions ou de nouveaux moyens de défense que le procureur du DPCP ne pouvait raisonnablement prévoir au moment de la présentation de sa preuve à charge. Ces éléments nouveaux doivent porter sur le fond et être essentiels pour statuer l’affaire.

Quel élément inusité est donc ressorti de la défense dans l’affaire Salvail donnant ouverture à la contre-preuve? Selon le tribunal, l’accusé a choisi de faire une preuve de bon caractère dans le cadre de son témoignage, en mettant sa réputation professionnelle en jeu. Ce faisait, il permettait au ministère public de présenter une preuve de mauvaise réputation, ce qui lui était jusqu’alors prohibé.

 

La preuve de bonne réputation

Le ministère public ne peut présenter une preuve de mauvaise réputation de l’accusé, celle-ci étant généralement inadmissible. C’est sans doute la raison pour laquelle la procureure du DPCP dans l’affaire Salvail n’avait pas mis en preuve les éléments attaquant le caractère de l’accusé à l’ouverture du procès puisqu’il lui en était alors interdit.

En effet, l’accusé est jugé pour le crime qui lui est reproché à partir de la preuve à charge, et non sur une preuve voulant démontrer qu’il serait le genre de personne à commettre l’infraction en raison de sa réputation ou de sa personnalité. Il s’agirait alors d’une preuve de propension, inadmissible de façon générale selon une règle de common law[1].

L’exception à ce principe repose dans la présentation, par l’accusé, d’une preuve de bonne réputation pour soutenir qu’il n’est pas l’auteur du crime, n’étant pas le genre de personne à adopter le comportement reproché. L’accusé ne pourrait, dans ce contexte, se plaindre de sa propre turpitude : il s’expose alors à ce que le ministère public vienne présenter au tribunal une preuve contraire, ce qui sera fait dans le dossier Salvail par le témoignage de trois nouveaux témoins. L’admissibilité de cette preuve ne rend pas le procès inéquitable selon le tribunal ; l’accusé a choisi de projeter une image de lui-même afin de repousser les accusations. Le ministère est donc autorisé à attaquer cette image par une nouvelle preuve testimoniale. L’accusé voudra sans doute répondre à cette contre-preuve par la suite, ce qui devrait, par équité, lui être permis. Affaire à suivre.

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[1] Cloutier c. La Reine, 1979 CanLII 25.