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L’unicité du procureur ad litem en arbitrage de grief

 

Me Jean-Paul Romero

 

L’unicité du procureur est un principe bien connu en droit. En effet, celui-ci veut qu’une partie ne peut avoir plus d’un procureur ad litem [en vue de l’audience] au dossier. Cette notion s’est notamment développée dans le domaine de l’assurance et des recours collectifs. Or, il y a lieu de se questionner sur son application dans d’autres domaines de droit, dont celui de l’arbitrage de griefs. C’est d’ailleurs l’exercice que l’arbitre Me Denis Nadeau a été appelé à effectuer dans la récente décision Syndicat des employé-e-s de Viéotron ltée SCFP 2815 et Vidéotron (grief syndical)[1], rendue en vertu du Code canadien du travail[2].

Cette affaire se situe dans le contexte d’un litige opposant le Syndicat des employé-e-s de Vidéotron ltée SCFP 2815 (ci-après « Syndicat ») et Vidéotron (ci-après « Employeur »). Lors de l’audition des griefs, il y avait des tensions importantes entre les parties en raison du rôle de l’avocat-conseil de la partie syndicale. Ce faisant, l’arbitre rend une sentence interlocutoire afin de permettre un déroulement efficace et serein, tout en déterminant les circonstances et la façon dont l’avocat-conseil peut intervenir pendant l’audience.

L’arbitre fait donc une revue de la jurisprudence autour du principe de l’unicité du procureur ad litem, formellement reconnu par la Cour d’appel du Québec il y a une trentaine d’années[3]. Toutefois, il est impératif de distinguer l’interdiction pour une partie de se faire représenter par plus d’un seul avocat à l’audience et le droit de cette partie d’engager le nombre de spécialistes qu’elle désire, pour aider l’avocat ad litem à préparer le dossier[4].

À ce sujet, il faut rappeler que l’objectif du principe de l’unicité est de protéger la partie adverse contre la possibilité d’avoir à répondre à une multiplicité de procédures et d’avoir à traiter avec plus d’un confrère ou consœur lorsqu’il s’agit de planifier des réunions, de discuter de la possibilité d’une entente ou de donner une opinion. Par conséquent, les tribunaux permettent la participation d’un avocat-conseil à l’audience dans la mesure où il n’y a pas un dédoublement avec le procureur responsable du dossier[5]. Cette prohibition de dédoublement s’illustre particulièrement par l’interdiction de partager entre deux procureurs la déposition d’un même témoin.

L’arbitre Nadeau, tout en prenant acte de l’état du droit sur la question, est appelé à trancher entre deux positions diamétralement opposées. En effet, la partie syndicale souhaite un rôle actif et étendu de son avocat-conseil, afin qu’il soit autorisé à intervenir indistinctement à l’audience, sans avis préalable[6]. À l’opposé, l’Employeur prétend que le rôle de l’avocat-conseil est limité à des questions bien précises et que son intervention est conditionnelle à l’autorisation du Tribunal, selon la même procédure que pour une substitution de procureur[7].

Certes, le principe de l’unicité de procureur est bien développé dans certains domaines du droit. Cependant, l’arbitrage de grief se caractérise par sa procédure souple et efficace, laquelle est déterminée par le Tribunal qui demeure souverain dans sa gestion d’instance. Ainsi, l’arbitre Nadeau prend une position intermédiaire entre les prétentions des parties. Le rôle de l’avocat-conseil n’est pas celui d’être la relève, « l’alter ego » ou le substitut de l’avocat ad litem selon les questions abordées durant l’audience, mais plutôt d’assister l’avocat principal dans ses fonctions, de lui donner des avis selon son expertise et de le seconder dans ses tâches. Malgré l’importance considérable que peut avoir la contribution de l’avocat-conseil dans la gestion du dossier, celui-ci ne devrait pas occuper la « première chaise » en tant que représentant du client. Autrement, ce serait une altération du rôle de conseiller pour lequel la partie a initialement retenu ses services[8].

Ceci dit, l’arbitre autorise finalement l’intervention active de l’avocat-conseil durant l’audience pour interroger, contre-interroger, s’objecter ou plaider, à la condition que le Syndicat en informe le Tribunal et la partie patronale avant celle-ci[9].

La méthode mitoyenne adoptée par Me Nadeau est intéressante puisqu’elle vient circonscrire les circonstances dans lesquelles un avocat-conseil peut intervenir activement à l’audience, sans l’assujettir à un formalisme strict. La simple nécessité d’informer au préalable les participants constitue une approche fidèle à la philosophie de l’arbitrage de grief, tout en permettant d’assurer un déroulement prévisible de l’audience.

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[1] Syndicat des employé-e-s de Vidéotron ltée SCFP 2815 et Vidéotron ltée SCFP 2815, 2020 QCTA 459.

[2] L.R.C. (1985), ch. L-2, article 61.

[3] Norbert c. Lavoie, 1989 CanLII 1175 (QCCA).

[4] Id., p. 3. Voir aussi : Cormier c. Insdustries Cover Inc., 1997 CanLII 16151; Mei c. Corbeil Electronique Inc., 2002 CanLII 10525.

[5] Mei c. Corbeil Electronique Inc., préc., note 4, par. 6.

[6] Syndicat des employé-e-s de Vidéotron ltée SCFP 2815 et Vidéotron ltée SCFP 2815, préc., note 1, par. 14.

[7] Id., par. 15 et 16.

[8] Id., par. 24.

[9] Id., par. 27.