SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
Syndicat des salariés(es) de l’agroalimentaire de Ste-Claire (CSD) et Kerry Canada inc., 2022 CanLII 38156 (QC SAT)
Dans cette affaire, le Tribunal était appelé à déterminer si le congédiement imposé au plaignant, un mécanicien dans une usine agroalimentaire, était une mesure justifiée en raison de son défaut de collaborer à une enquête entreprise par l’Employeur à la suite d’une soirée de Noël organisée par l’entreprise. En effet, l’Employeur avait confié à une firme externe un mandat d’enquête visant à mettre en lumière des événements qui se seraient produits dans les heures consécutives aux festivités du 30 novembre 2019. Plusieurs salariés étant impliqués, le Plaignant est rencontré par une enquêtrice. Dans son rapport final, cette dernière ne retient aucune allégation de harcèlement sexuel, considérant que les comportements avaient eu lieu dans un hôtel et qu’ils étaient consensuels. L’enquêtrice rapporte toutefois que quatre salariés n’auraient pas collaboré complètement à l’enquête au motif qu’ils se contentaient de nier en bloc certaines allégations. Le Plaignant est rencontré le 18 décembre 2019 et se voit congédié, sans autre préavis ni rencontre. L’Employeur invoque le manque de loyauté du salarié dans le cadre de l’enquête.
L’arbitre Roy conclut que le Plaignant a effectivement contrevenu à son devoir de loyauté envers l’Employeur, même si l’enquête avait pour objet des événements de nature privée. Il est de jurisprudence constante que l’Employeur a un droit de regard lorsque les faits en cause sont en lien avec les relations de travail, comme en l’espèce.
Or, l’un des moyens préliminaires qu’invoquait le Syndicat stipulait que le salarié n’avait pas été rencontré par l’Employeur pour fournir sa version des faits avant d’être congédié. Ce moyen est accueilli. Considérant l’obligation conventionnelle de rencontrer le salarié avant l’imposition d’une mesure disciplinaire, le grief est accueilli.
Le Tribunal ordonne que le salarié soit réintégré et le congédiement est annulé.
Hydro-Québec CSP (Mtl2), 2022 QCTAT 700 (CanLII)
Un ingénieur d’Hydro-Québec participait à une formation de plusieurs jours à la demande de l’employeur. À la sortie de la formation et se dirigeant vers un restaurant, le travailleur est heurté par un véhicule alors qu’il tentait de traverser une intersection à pied. Il subit une lésion professionnelle occasionnant des fractures multiples et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (ci-après la « CNESST ») lui donne droit aux prestations prévues par la loi.
L’Employeur conteste la décision de la CNESST au motif que la lésion est principalement attribuable à un tiers, soit le conducteur et donc, demande un transfert d’imputabilité. Il prétend que la situation est exceptionnelle et ne fait pas partie des risques inhérents qu’il doit assumer. Le Tribunal rejette cet argument : la formation du personnel, surtout dans une société d’État, fait partie intégrante de ses activités. Il est légitime que l’Employeur assume les risques liés aux déplacements à proximité de l’hôtel où logeait le travailleur, ce qui ne constitue aucunement une injustice.
Le Tribunal rejette la contestation de l’employeur et cite à l’appui de ses conclusions plusieurs décisions affirmant le principe qu’un accident de la route, même s’il est attribuable à un tiers, ne correspond pas nécessairement à des circonstances exceptionnelles ou à un piège.
Procureur général du Québec c. Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec, 2022 QCCS 1465 (CanLII)
Par la présente décision, la Cour supérieure accueillait la requête en injonction interlocutoire provisoire déposée par le Procureur général du Québec au motif que l’accès au palais de justice de Chicoutimi était compromis par des piqueteurs du Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec (SCFP). Ceux-ci étaient présents devant l’entrée principale, empêchant les intervenants de la justice d’entrer dont des juges, des greffiers, tout témoin ou avocat. Des haut-parleurs avaient également été installés à l’arrière du palais et troublaient la quiétude des salles de cour.
La Cour aborde les trois critères de l’injonction interlocutoire provisoire maintes fois cités en jurisprudence et contenus aux articles 510 et 511 du Code de procédure civile, soient (1) l’apparence de droit; (2) l’existence d’un préjudice sérieux et irréparable et (3), l’urgence d’agir. Selon le juge Clément Samson, le fait de perturber le rôle d’un palais de justice est plus grave que si cela avait été fait devant une entreprise commerciale usuelle ou autre type d’établissement gouvernemental. Ce raisonnement s’appuie en grande partie sur l’arrêt B.C.G.E.U. c. Colombie-Britannique (Procureur général), [1988] 2 R.C.S. 214. de la Cour suprême du Canada voulant que le piquetage devant un palais de justice va à l’encontre de la saine administration de la justice et de l’assise des principes constitutionnels.
La Cour conclut que l’injonction provisoire demandée par le Procureur général du Québec est fondée.
POLICIERS ET POLICIÈRES
C.F. c. SSQ, Société d’assurance-vie inc., QCCQ, 2 mai 2022
La demanderesse, une policière, réclamait à la SSQ des prestations d’assurance invalidité qui lui ont été refusées au motif qu’elle n’est pas invalide au sens de la police d’assurance. La seule et unique question à laquelle devait répondre la Cour était de déterminer si madame est réellement invalide selon la police. Le juge Patrick Choquette répond à cette question par l’affirmative et réitère que le contrat s’interprète en faveur de l’assurée.
La défenderesse prétendait que la demanderesse ne pouvait être totalement invalide au sens de la police d’assurance étant donné que son dossier médical ne contenait pas expressément, en toutes lettres, de limitations fonctionnelles objectives. La Cour précise que la notion d’invalidité totale réfère à une invalidité substantielle. Il s’agit là d’une considération purement juridique et non médicale. L’invalidité totale doit s’apprécier en fonction de l’incapacité à exercer les tâches principales de son emploi. En l’espèce, la policière était incapable de conduire son auto-patrouille en raison de douleurs persistantes au cou, lesquelles sont révélées clairement dans la preuve. Considérant que la conduite automobile est une tâche réellement occupée par un patrouilleur et qu’elle constitue une fonction essentielle et inhérente au métier policier, la demande est accueillie.
Félicitations à Me Jean-François Raymond pour son travail dans ce dossier !
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Syndicat des paramédics et du préhospitalier de la Montérégie – CSN c. Ambulances Michel Crevier inc., 2022 QCTAT 1136 (CanLII)
Dans le cadre du déclenchement d’une grève, le Tribunal administratif du travail (TAT) est responsable de juger de la suffisance des services rendus au public. À ce titre, dans la présente affaire, les paramédics annonçaient pour la première fois dans leur histoire une grève pendant laquelle certaines tâches essentielles seraient effectuées par des cadres qualifiés à raison de deux quarts par semaine. En effet, chacun des avis de grève des Syndicats était accompagné d’une seule et même liste des services essentiels qu’ils entendaient maintenir pendant la grève. Les parties sont parvenues à s’entendre, mais deux points de discorde principaux demeuraient : la supervision des stagiaires et le travail des cadres.
Avant de trancher les points discorde, le Tribunal rappelle les grands principes inhérents au droit de grève bien réel des paramédics. Bien que ce droit vise notamment à déranger dans la population, il faut distinguer le désagrément causé du danger pour la santé publique. Une grève peut causer des inconvénients aux gestionnaires et administrateurs non syndiqués en cas d’arrêt de travail des salariés.
D’une part, le Tribunal conclut que le fait de ne pas prendre en charge les différents stages ne met pas en péril la santé ou la sécurité de la population, étant donné que les stagiaires pourront appliquer dans d’autres entreprises. Le stage du programme d’intégration des paramédics (professionnelle) en milieu de travail (PIPMT) n’est toutefois pas visé.
D’autre part, le Tribunal juge qu’il est raisonnable d’exiger une contribution des cadres qualifiés, c’est-à-dire ceux inscrits au registre national, aptes à agir comme paramédics pour des appels d’urgence et n’ayant pas exercé d’activités cliniques depuis moins de 12 mois :
[102] Pour le Tribunal, l’état du droit mène résolument vers la participation des cadres au maintien des services essentiels. Il est vrai que le contexte dans lequel ils évoluent est variable d’une entreprise à l’autre et que la grève de tâches fait en sorte qu’ils sont forcément plus sollicités, notamment pour accomplir ces tâches considérées non essentielles à la santé ou la sécurité de la population. Or, c’est aux services essentiels qu’ils doivent contribuer lors d’une grève de temps de travail, quitte à ce que ce soit au détriment des autres tâches non essentielles. La grève dérange, faut-il le rappeler.
POMPIERS ET POMPIÈRES
Rien à signaler.
ARTISTES
Rien à signaler.
SECTION DROIT CRIMINEL
GÉNÉRAL
R. c. Brown, 2022 CSC 18
Dans cette affaire, l’appelant affirmait au procès qu’il n’était pas coupable pour cause d’automatisme résultant d’une psychose. Une expertise avait confirmé sa prétention selon laquelle il n’avait pas la maîtrise de ses actes au moment des faits reprochés. Le ministère public a alors invoqué l’article 33.1 du Code criminel, disposition qui empêche un accusé de plaider l’intoxication volontaire s’apparentant à l’automatisme, comme moyen de défense pour des infractions d’intention générale. Au procès l’appelant a donc invoqué l’inconstitutionnalité de l’article 33.1 du Code criminel. Ainsi, l’appelant se pourvoit contre un jugement de la Cour d’appel de l’Ontario qui infirme le jugement qui a déclaré l’article 33.1 du Code criminel inopérant et annulé l’acquittement à l’égard du chef d’introduction par effraction et de voies de fait graves, et inscrit une déclaration de culpabilité relativement à cette infraction.
Selon la Cour, l’article 33.1 va à l’encontre du principe de justice fondamentale suivant lequel la responsabilité pénale exige la preuve d’une faute reflétant l’infraction et la peine dont est passible l’accusé puisqu’il permet à un tribunal de déclarer un accusé coupable sans preuve de la mens rea exigée par la Constitution. Cette disposition transforme ces infractions, punissables d’emprisonnement, en ce qui équivaut à des infractions de responsabilité absolue, en contravention de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés. De plus, l’article 33.1 abolit la défense selon laquelle un accusé n’avait pas l’intention générale ou la volonté de commettre une infraction. Il substitue donc la faute et la volonté de s’intoxiquer à la faute et à l’intention de commettre l’infraction violente. Cependant, l’article ne fait pas de distinction entre un accusé et les personnes moralement irréprochables qui consomment volontairement des substances intoxicantes légales à des fins personnelles ou médicales. Ainsi, on ne peut pas dire que « dans tous les cas » prévus à l’art. 33.1, on peut substituer l’intention de s’intoxiquer à l’intention de commettre une infraction violente. L’article 33.1 du Code a donc a pour effet d’inviter le tribunal à reconnaître un accusé coupable même lorsqu’il subsiste un doute raisonnable quant à la volonté ou à la faute requise pour prouver l’infraction violente, ce qui va à l’encontre de la présomption d’innocence prévue à l’al. 11d) de la Charte.
En somme, la Cour estime que l’article 33.1 porte atteinte à des principes fondamentaux qui sont au cœur même du système canadien de droit pénal. Il crée un régime de responsabilité qui ne tient pas compte des principes destinés à protéger les innocents et il envoie le message qu’il est plus important d’obtenir une déclaration de culpabilité que de respecter les principes de base de la justice. Pour ces motifs, les limites que l’art. 33.1 impose à l’art. 7 et à l’al. 11d) de la Charte ne peuvent se justifier dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Le pourvoi est accueilli. L’article 33.1 du Code criminel est déclaré inconstitutionnel et inopérant par application de l’article 52 (1) de la Loi Constitutionnelle. Le jugement de la Cour d’appel est annulé et l’acquittement prononcé en première instance est rétabli.
Simon c. R., 2022 QCCA 634
Dans cet arrêt, l’appelant se pourvoit à l’encontre d’une déclaration de culpabilité en lien avec des infractions en matière de trafic de stupéfiants. Au procès, il invoquait des violations constitutionnelles relatives à son droit à la protection contre les fouilles ou les saisies abusives ainsi qu’à son droit d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat. Les requêtes ont été rejetées. L’appelant soutient que la juge a erré pour deux raisons. D’abord, il prétend que l’affidavit au soutien de la dénonciation ayant permis la délivrance d’un mandat de perquisition ne décrivait pas suffisamment de faits pouvant constituer des motifs raisonnables de croire que la perquisition fournirait une preuve touchant la commission d’une infraction. Également, il prétend que la suspension de son droit à l’avocat pendant plus de quatre heures constituait une violation. Conséquemment, le cumul de ces violations commandait une exclusion de la preuve recueillie, ce qui aurait entraîné un acquittement.
De l’avis de la cour, le moyen relativement à la suffisance d’information au soutien du mandat de perquisition doit être rejeté. La juge en première instance a fait le lien entre le trafic de stupéfiants et la résidence de l’appelant à la lumière du fait qu’il quittait sa résidence à de multiples reprises pour se rendre directement à de très brèves rencontres se tenant principalement dans son véhicule dans des stationnements, ce qui suggère la participation à un trafic de stupéfiants. Ce lien est légitime et justifié et a été reconnu a plus d’une reprise dans les cours d’appel canadiennes. Quant à la suspension du droit à l’avocat, la Cour estime que la juge a erré.
En l’espèce, la suspension du droit à l’avocat n’était pas justifiée, car les autorités policières ont estimé nécessaire de suspendre le droit à l’avocat de l’appelant pour éviter que ce dernier puisse être informé de son arrestation et des perquisitions en cours, avançant ainsi que cette suspension était motivée par la nécessité de ne pas compromettre l’opération policière, lors de la perquisition. Lorsque les policiers choisissent d’une méthode qui les conduira à suspendre un droit fondamental tel le droit à l’avocat, ils doivent être mesure de justifier ce choix, ce qu’ils n’ont pas fait en l’espèce. Cependant, quoique la violation soit grave vu la nature du droit en cause, la Cour considère que l’ensemble des faits et notamment celui voulant que les policiers se soient abstenus d’interroger l’appelant avant qu’il ait eu l’occasion d’exercer son droit, atténue la gravité attentatoire. Ainsi, en pondérant tous les facteurs la Cour conclut qu’il est dans l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit entendue au fond et que la preuve soit admise.
L’appel est rejeté.
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