SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
Fafard et Industrielle Alliance, assurance et services financiers inc., 2024 QCTAT 85
Disponible ici : https://canlii.ca/t/k27xj
La travailleuse occupe l’emploi de technicienne en administration chez Industrielle Alliance, assurance et services financier (ci-après, « Employeur »). Ses tâches sont exercées exclusivement en télétravail depuis don domicile. Lors de sa pause-repas, la travailleuse trébuche, ce qui lui occasionne une fracture de la grande tubérosité de l’épaule droite. Elle fait une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, « Commission ») afin de faire reconnaitre la survenance d’un accident. Sa réclamation est refusée.
La travailleuse soutient que l’accident est survenu à l’occasion du travail puisque celui-ci serait survenu dans la sphère de ses activités professionnelles, soit, dans la voie d’accès conduisant à l’aire de préparation des repas.
L’employeur, pour sa part, est d’avis que la chute constitue un évènement imprévu et soudain qui a causé la fracture à l’épaule droite, mais soutient que le fait accidentel s’est produit dans la cuisine alors que la travailleuse préparait son repas. Elle se trouvait donc dans la sphère de ses activités personnelles rompant ainsi le lien de connexité avec le travail.
Le juge administratif Réjean Bernard souligne que le dossier s’apparente à la trame factuelle rapportée dans la décision Air Canada et Gentile‑Patti, 2021 QCTAT 5829. Le Tribunal est d’avis que le fait accidentel survient dans la sphère professionnelle puisqu’elle était en déplacement vers l’aire de repas. Ce dernier considère qu’un tel accident de trajet est assimilable à ceux pouvant survenir lorsqu’un travailleur arrive ou quitte les lieux du travail.
Pour ces motifs, le Tribunal conclut qu’il s’agit d’un évènement imprévu et soudain survenu à l’occasion du travail, la contestation est donc accueillie.
Totten et Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies et Compagnie de chemin de fer Canadien Pacifique (maintenant connue sous le nom de chemin de fer Canadien Pacifique Kansas City, 2024 CCRI 1110
Disponible ici : Totten – Conseil canadien des relations industrielles (lexum.com)
Le requérant présente, en vertu de l’article 18 du Code canadien du travail (ci-après, le « Code »), une demande de réexamen d’une décision rendue par le Conseil canadien des relations industrielles (le « Conseil ») dans Totten, 2022 CCRI LD 4723 (LD 4723). Cette décision portait sur une plainte de manquement au devoir de représentation juste (DRJ) contre la Conférence ferroviaire de Teamsters Canada, division des préposés à l’entretien des voies (ci-après, le « syndicat »). Dans cette plainte, le requérant soutenait que le syndicat avait agi de manière arbitraire, discriminatoire et entachée de mauvaise foi lorsqu’il a refusé d’appuyer sa demande d’indemnisation à la suite de la mise en œuvre d’une entente de la dernière chance (EDC) négociée entre les parties.
Au soutien de sa demande de réexamen, le requérant fait valoir deux arguments principaux. D’une part, il soutient que le Conseil a mal interprété les éléments de preuve présentés à l’appui de sa plainte. D’autre part, il prétend que le Conseil a commis une erreur lorsqu’il a conclu que le syndicat n’avait pas agi de manière arbitraire, discriminatoire ou entachée de mauvaise foi dans le traitement de sa demande d’indemnisation.
Le Conseil rappelle que le pouvoir du Conseil de réexaminer ses décisions est discrétionnaire et qu’il ne l’exerce que de manière exceptionnelle. Il incombe au requérant d’établir l’existence de l’un des motifs de réexamen : 1) un fait nouveau qui n’aurait pu être communiqué au Conseil dans le cadre de la procédure initiale, et ce, même en faisant preuve d’une diligence raisonnable, et ce fait nouveau aurait probablement modifié la décision; 2) une erreur grave de droit ou de principe qui soulève de sérieuses préoccupations quant à l’interprétation et à l’application du Code; 3) un manquement aux principes de justice naturelle qui a porté atteinte au droit à l’équité procédurale du requérant.
De plus, la demande de réexamen doit être présentée dans les 30 jours suivant la date où la décision du Conseil a été rendue. Cependant, le Conseil peut proroger le délai si le requérant a fait preuve de diligence raisonnable et si des circonstances exceptionnelles l’ont empêché de présenter sa demande à temps.
Dans ce dossier, le Conseil constate que la demande du requérant n’a pas été présenté dans le délai prescrit. Il n’a pas présenté de justification suffisante pour le convaincre d’exercer son pouvoir discrétionnaire et de proroger le délai. Ainsi, la demande est rejetée au motif qu’elle est irrecevable. Par ailleurs, le Conseil précise que même s’il avait accepté de proroger le délai, il aurait quand même rejeté la demande sur le fond. En effet, le requérant n’a pas établi de faits nouveaux qui donneraient lieu à un réexamen de la décision initiale. Il n’a pas non plus établi l’existence d’une erreur importante de droit ou de principe qui pourrait donner lieu à un réexamen.
Finalement, constatant que le nombre de demandes de réexamen a augmenté considérablement au cours des deux dernières années, le Conseil est d’avis qu’il convient d’établir une nouvelle approche dans l’analyse des demandes de réexamen. Il rappelle à tous qu’il n’y a pas lieu de présenter une demande de réexamen au Conseil avant de présenter, ou dans le but de présenter, une demande de contrôle judiciaire à la Cour d’appel fédérale. Le Conseil tient également à rappeler que le processus de réexamen tel qu’il existe n’oblige pas le Conseil à réexaminer les faits et à rendre une nouvelle décision. Le réexamen n’est pas, et ne devrait pas être, un processus dans lequel le Conseil doit réexpliquer le droit et justifier sa décision initiale.
Ce faisant, le Conseil estime qu’il est nécessaire de simplifier la manière dont il traite les demandes de réexamen. Il appliquera désormais un processus d’examen préliminaire afin de déterminer s’il y a lieu d’y donner suite. S’il conclut que la demande de réexamen est hors délai ou qu’elle ne soulève pas, à première vue, de manière appropriée ou convaincante l’un des trois motifs de réexamen, le Conseil n’examinera pas la demande et la rejettera sommairement dans une courte décision-lettre. Si le Conseil estime que la demande a été présenté dans le délai prescrit et que l’un des trois motifs a été soulevé à juste titre dans les circonstances, il demandera à la partie adverse de présenter ses observations et jugera l’affaire sur le fond.
La demande est rejetée.
POLICIERS ET POLICIÈRES
Association des policiers de Saint-Jérôme Métropolitain inc. et Ville de Saint-Jérôme, grief 2021-06-16, 29 janvier 2024 (a. Nathalie Massicotte)
Disponible sur demande
Dans cette affaire, le plaignant, un policier, fait l’objet d’une suspension sans traitement de quatre (4) jours pour un manquement au Règlement de discipline des policiers (ci-après, le « Règlement »). Suivant une plainte d’une citoyenne, l’employeur enclenche un processus disciplinaire. On lui reproche son comportement lors d’une intervention policière. Plus précisément, il aurait manqué de courtoisie et agi de manière non professionnelle à l’égard d’une citoyenne.
Le syndicat réclame l’annulation de cette mesure, plaidant qu’il s’agit d’une double sanction puisqu’une « sensibilisation » a aussi été imposée dans le même dossier. Subsidiairement, il considère qu’une suspension de quatre jours est déraisonnable, notamment parce que l’employeur ne pouvait prendre en compte l’antécédent disciplinaire du policier dans un autre dossier, celui-ci étant amnistié. Il demande donc d’y substituer un avertissement.
D’une part, le Tribunal en vient à la conclusion que la sensibilisation, en l’occurrence, n’est pas une sanction disciplinaire. En effet, non seulement la « sensibilisation » ne fait pas partie des sanctions déterminées par le Règlement, mais en plus, elle n’a jamais même été entérinée par le Comité exécutif de la Ville à titre de mesure disciplinaire. Le principe de la double sanction ne trouve donc pas application en l’espèce.
D’autre part, le Tribunal estime que l’employeur pouvait tenir en compte l’antécédent disciplinaire dans un autre dossier du policier aux fins de déterminer la sanction applicable. Selon les dates charnières du dossier, le délai de deux ans qui débute à compter e l’imposition de la première mesure ne s’était pas écoulé au moment de l’imposition de la seconde. Selon le Tribunal, l’employeur était en droit d’appliquer la gradation des sanctions en l’espèce.
Finalement, le Tribunal conclut que les circonstances du dossier ne permettent pas d’intervenir pour modifier la sanction imposée. Il écrit : « la clémence envers l’employé n’est pas de la prérogative de l’arbitre, mais celle de l’employeur ».
Le grief est rejeté.
H. c. Fraternité des policiers et policières de Longueuil inc. dossier 1312077-71-2303, 1er février 2024 (j. a. Véronique Emond)
Disponible sur demande
Le plaignant est policier au sein de la Ville de Longueuil jusqu’en avril 2020. Il allègue que son syndicat a manqué à son devoir de juste représentation en acceptant une offre de règlement de l’employeur visant à régler les indemnités qui lui étaient dues à la suite d’une sentence arbitrale lui donnant gain de cause. Il prétend que le syndicat a consenti à une offre déraisonnable, sans son consentement, et s’est désisté du processus arbitral en cours.
Le syndicat demande au Tribunal de déclarer le recours du plaignant irrecevable, parce que la plainte a été déposée tardivement, soit après l’échéance du délai de six mois prévu à l’article 47.5 du Code du travail. Subsidiairement, il affirme avoir satisfait à son obligation, le syndicat étant propriétaire du grief, et que les chances d’obtenir davantage devant l’arbitre étaient à peu près nulles.
Le Tribunal précise que le délai de six mois commençait à courir au moment où le plaignant a été informé de la décision du syndicat de ne pas poursuivre les griefs en arbitrage. En l’espèce, selon les faits du dossier, ce moment correspond au 20 décembre 2021. En effet, à cette date, les positions des parties s’étaient « cristallisées ». La plainte du salarié ayant été déposée le 2 mars 2023, le Tribunal conclut que le recours est prescrit. Par ailleurs, le Tribunal juge que le plaignant n’a pas réussi à démontrer un motif raisonnable d’être relevé de son défaut d’avoir déposé sa plainte dans le délai imparti par le Code.
La plainte est rejetée.
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Julien et Corporation d’Urgences-santé, 2024 QCTAT 11
Disponible ici : https://canlii.ca/t/k245q
Le travailleur occupe l’emploi de paramédic chez Corporation d’Urgences-Santé (ci-après, « Employeur »). Il présente une réclamation afin de se voir reconnaitre une lésion professionnelle à l’issue de différents évènement traumatiques avec comme diagnostics un état de stress post-traumatique et de trouble de l’adaptation avec humeur anxio-dépressif.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, « CNESST ») refuse la demande du travailleur. Elle juge que le principal évènement à l’origine de la lésion ne dépasse pas le cadre habituel, prévisible et normal du travail.
Le Tribunal est d’avis que dans la mesure où le travailleur invoque l’entièreté de sa carrière à titre de paramédic aux fins de sa réclamation pour lésion professionnelle, la notion d’accident du travail n’est pas justifiée dans les circonstances. Le travailleur ne peut bénéficier de la présomption de lésion professionnelle édictée à l’article 28 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après, « Loi ») et doit plutôt se tourner vers la définition générale énoncées à l’article 2 de la Loi.
Le Tribunal rappelle que la jurisprudence reconnaît que la juxtaposition de plusieurs événements, en apparence bénins lorsque pris isolément, peuvent présenter le caractère d’imprévisibilité et de soudaineté requis si, considérés dans leur ensemble, ils deviennent significatifs. La nouvelle orientation jurisprudentielle en matière de lésions psychologiques, qui a substitué au critère de l’événement objectivement traumatisant celui de l’événement singulier, ne crée pas de débat contradictoire avec la jurisprudence antérieure. Selon le Tribunal, ces concepts reposent sur des fondements identiques. En effet, le terme singularité renvoie au caractère exceptionnel de quelque chose.
Le Tribunal considère davantage approprié d’examiner la possibilité que le travailleur ait développé une maladie professionnelle considérant l’état des situations que vit ce dernier de manière récurrente dans le cadre de son travail de paramédic.
Le travailleur témoigne d’une multitude d’appels d’urgence au cours de sa carrière dans lesquels il se voit confronté à des réalités bouleversantes. Il explique également qu’il a tardé à consulter et à discuter de son vécu puisque, dans son milieu de travail, tout ce qui est émotif est tabou et admettre une fragilité n’est pas bien vu.
Le Tribunal en vient à la conclusion que le trouble d’adaptation et l’état de stress post-traumatique que le travailleur a développé découlent directement des risques particuliers de son travail puisqu’aucun autre élément ne peut expliquer cette maladie en l’absence d’antécédents quelconques ou d’évènements perturbants de nature personnelle.
Pour ces motifs, la contestation du travailleur est accueillie.
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