Veille juridique du 7 mars 2023

7 mars 2023

 

SECTION DROIT DU TRAVAIL

 

GÉNÉRAL

 

Letarte, 2023 QCTAT 464

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jv9z0>

Le travailleur dépose une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (ci-après, la Commission) alléguant être atteint de surdité professionnelle. Il est apprenti ferblantier et apprenti couvreur pendant une période de 4 ans. Il travaille par la suite au sein de l’entreprise familiale de 1971 à 2017; donc, pour une période de 46 ans. Au cours de cette période, le travailleur occupe divers postes, notamment; couvreur, surintendant et propriétaire.

La preuve au dossier vient démontrer que le travailleur déclare son salaire à la Commission pour les années de 1998 à 2007 en l’incluant dans sa masse salariale, et de 2008 à 2017, il demande une protection personnelle comme membre du conseil d’administration et ensuite comme dirigeant. La Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles(ci-après, la Loi) prévoit que certaines personnes exclues de la définition de « travailleur » peuvent se prévaloir d’une protection en cas de lésion professionnelle s’ils s’inscrivent à la Commission et déclarent leurs salaires.

Ainsi, sur la question à savoir si le travailleur a, au cours de sa vie professionnelle, souscrit une protection personnelle auprès de la Commission, le Tribunal considère que oui, et donc, qu’il peut bénéficier de la protection accordée par la loi.

Deuxièmement, le Tribunal doit déterminer si la surdité alléguée du travailleur est d’origine professionnelle. Sur ce point, le Tribunal analyse la présomption reconnue à l’article 29 de la Loi concernant les maladies professionnelles sous différents aspects et critères, notamment : l’atteinte auditive causée par le bruit et un travail impliquant une exposition à un bruit excessif. Sur ces points, le Tribunal conclut que le salarié n’a pas satisfait le fardeau de la preuve lui incombant afin de bénéficier de l’application de la présomption prévue à la Loi. Dans cette situation, le travailleur n’a pas réussi à démontrer que sa surdité était caractéristique du travail de couvreur ou qu’elle est directement reliée aux risques particuliers de ce travail, conformément à l’article 30 de la Loi. La preuve dans ce dossier n’est pas jugée suffisante par le Tribunal pour démontrer l’origine professionnelle de la surdité du plaignant.

Pour ces raisons, le Tribunal rejette la contestation du travailleur.

 

Association des employeurs maritimes c. Denis Provencal et Syndicat des débardeurs SCFP section locale 375, 2023 QCCS 510

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jvr78>

L’association des employeurs maritimes (ci-après, l’Association ou l’AEM) dépose une demande afin de faire annuler la sentence arbitrale rendue par le défendeur, l’arbitre Denis Provencal, accueillant un grief du Syndicat des débardeurs SCFP section locale 375 (ci-après, le Syndicat).

Le grief en cause exige le retrait d’une lettre de l’employeur demandant aux chefs d’équipe d’une certaine catégorie d’employés qui réitérait ses attentes quant à leur rôle d’encadrement d’un nouveau dans l’équipe. Également, le grief réclame de mettre en place une formation avec un formateur et le paiement des pertes monétaires pour les membres pouvant être touchés par cette disposition. Le grief a finalement été accueilli puisque l’arbitre a conclu que les demandes de l’AEM aux chefs d’équipe constituent de la formation alors que cela ne relève pas de leurs responsabilités.

L’Association fait donc une demande à la Cour supérieure afin de faire annuler la sentence accueillant le grief, celle-ci plaidant que la décision de l’arbitre l’obligeant à abandonner une pratique qui remonte à des décennies est déraisonnable. En effet, l’Association reproche particulièrement à l’arbitre de considérer ce qu’elle appelle une « expérience », la séquence de deux (2) jours pendant lesquels un formateur a accompagné le nouveau sur les lieux de travail comme le statu quo, ce qui, selon elle, serait manifestement faux. Également, l’Association reproche à l’arbitre de ne pas tenir compte du refus par le syndicat de proposer un autre employé comme formateur alors que par ailleurs, selon lui, elle ne pourrait pas utiliser le chef d’équipe pour intégrer de nouveaux employés dans la fonction; il faut comprendre que l’Association serait ainsi prise en étau.

Le syndicat, qui agit comme l’un des défendeurs dans le présent dossier, plaide plutôt que l’arbitre a simplement appliqué les dispositions de la convention collective, notamment, celles relatives à la formation professionnelle et aux responsabilités du chef d’équipe.

La question en litige dans le présent dossier est donc de déterminer si la décision de l’arbitre de déclarer contraire aux dispositions de la convention collective la lettre de l’Association aux chefs d’équipe leur réitérant ses attentes quant à leur responsabilité face aux nouveaux est déraisonnable.

Le Tribunal est d’avis que le raisonnement de l’arbitre repose entièrement sur l’utilisation du mot « encadrer » dans la lettre de l’Association destinée aux chefs d’équipes, sans égard à la réalité que cela implique; cela est déclaré comme illogique ce qui rend la décision déraisonnable. En effet, à l’appui de sa décision, le Tribunal invoque le fait qu’il n’y a rien d’autre dans le ratio decidendi pour justifier que le travail que l’Association appelle les chefs d’équipe à faire dans sa lettre constitue de la « formation » et non pas de la « familiarisation ».

Pour ces motifs, le pourvoi en contrôle judiciaire de l’employeur est accueilli.

 

Le cabinet RBD représentait le syndicat dans ce dossier.

 


 

POLICIERS ET POLICIÈRES

S. D. et Ville de Saint-Jean-sur-Richelieu et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, décision rendue le 23 février 2023.

Décision disponible ici.

La travailleuse subit une lésion professionnelle en 2014 reconnue et diagnostiquée comme un état de stress post-traumatique. En 2020, la travailleuse produit une réclamation à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la Commission) pour faire reconnaitre une récidive, rechute ou aggravation de la lésion professionnelle initiale subie en 2014.

L’évènement à l’origine de la réclamation pour récidive, rechute ou aggravation est similaire à celui ayant mené à la lésion professionnelle initiale. En effet, après son retour au travail, il est reconnu que la travailleuse n’a pas eu à se retrouver dans une situation similaire à l’évènement de 2014 puisqu’elle est partie à deux (2) reprises en retrait préventif pour cause de grossesse, et qu’entre temps, elle faisait principalement des interventions dans les écoles, de la circulation et de la préparation de formations pour les policiers. La poursuite effectuée en 2020 est donc la première faite à la suite de la lésion professionnelle. Qui plus est, la poursuite se fait dans le même secteur que celle effectuée en 2014.

Le Tribunal interprète les termes « récidive, rechute ou aggravation » comme signifiant une reprise évolutive, une réapparition ou une recrudescence de la lésion et/ou de ses symptômes qui implique nécessairement une modification négative de l’état de santé du salarié par rapport à celui qui existait au moment de la consolidation de la lésion initiale. Également, les critères généralement reconnus pour déterminer la relation entre la lésion initiale et la récidive, rechute ou aggravation sont la similitude ou la compatibilité du site des lésions et des diagnostics, la continuité des symptômes, le suivi médical, la gravité de la lésion initiale, la présence ou l’absence de conditions personnelles. La présence ou l’absence d’atteinte permanente et de limitations fonctionnelles à la suite de celle-ci ainsi que le délai entre la lésion initiale et la récidive, rechute ou aggravation. Il est à noter qu’aucun de ces critères n’est à lui seul décisif, mais pris ensemble, ils peuvent permettre de se prononcer sur le bien-fondé d’une réclamation de ce type.

Pour ces raisons, le Tribunal considère que les rappels du traumatisme de 2014 ont provoqué une récurrence et une intensification des symptômes de la salariée. En effet, les similitudes entre les deux (2) évènements, notamment; l’appel pour la recherche d’un véhicule, le délit de fuite, la poursuite effectuée dans le même secteur, la possibilité d’une éventuelle arrestation, sont donc toutes des circonstances prises en compte pour expliquer la récurrence et l’intensification des symptômes de la travailleuse.

Pour ces raisons, la contestation de la salariée pour une récidive, rechute ou aggravation d’un état de choc post-traumatique est accueillie.

Le cabinet RBD représentait la travailleuse dans ce dossier.

 

Fraternité des policiers et policières de Montréal et Ville de Montréal et Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail, décision rendue le 28 février 2023.

Décision disponible ici.

La demanderesse, Fraternité des policiers et policières de Montréal (ci-après, la Fraternité), sollicite l’intervention de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la Commission) en regard d’obligations que ne respecteraient pas l’employeur, la Ville de Montréal (ci-après, la Ville) en matière de prévention des lésions professionnelles. En effet, la Fraternité demande à la Ville que celle-ci procède à l’aménagement des aires de stationnement et des voies d’accès des différents postes de quartier, de manière à assurer la sécurité des policiers et policières qui y travaillent étant donné les risques d’agression.

Le rapport d’intervention rédigé par l’un des inspecteurs de la Commission n’émet pas d’avis de correction étant donné l’impossibilité d’établir un lien entre l’aménagement actuel des lieux en cause et la sécurité des membres de la Fraternité. Après de nombreuses journées d’audience, le Tribunal administratif du travail rend finalement une décision en 2022, laquelle accueille la contestation de la Fraternité.

L’employeur produit une requête en révocation partielle de la décision rendue par le Tribunal administratif du travail afin de faire annuler le délai d’exécution de l’ordonnance prononcée ainsi que de convoquer à nouveau les parties pour qu’elles soient entendues relativement à ce délai.

Pour appuyer sa demande, l’employeur invoque des vices de fond au sens de l’article 49, alinéa 3, de la Loi instituant le Tribunal administratif du travail. En effet, la Ville allègue que la violation d’un principe de justice naturelle équivaut à un vice de fond. Ainsi, le défaut d’avoir été entendu à propos du délai d’exécution de six (6) mois fixé par le Tribunal administratif du travail en regard de la dérogation émise. Il est également allégué, à titre de vice de fond, le défaut de motivation suffisante quant à la détermination dudit délai, lequel rend inintelligible le cheminement intellectuel parcouru pour l’établir.

Le Tribunal est d’avis qu’en regard de la preuve présentée, la requête en révocation partielle présentée par l’employeur est bien produite avant l’expiration du délai prévu à cet effet et donc, qu’elle est recevable. La requête est toutefois rejetée, la preuve n’étant pas prépondérante pour établir que cette décision est affectée d’un vice de fond de nature à l’invalider. En effet, le Tribunal tranche notamment que les vices de fond allégués par l’employeur n’incluent pas la révocation de la décision contestée ce qui est un élément essentiel aux éléments constitutifs.

Pour ces motifs, la requête en révocation partielle soumise par l’employeur est rejetée.

 Le cabinet RBD représentait le syndicat dans ce dossier.

  

Fraternité des policiers et policières de Longueuil inc. et Ville de Longueuil, décision rendue le 28 février 2023.

Décision disponible ici.

Le plaignant était policier au Service de police de Longueuil au moment des évènements. Il est affecté à des tâches administratives au Bureau de renseignement criminel quand il est relevé de ses fonctions avec solde suite à la découverte par l’employeur qu’il avait, notamment, copié des données confidentielles sans autorisation. Suite à l’enquête effectuée, le Directeur des poursuites criminelles et pénales dépose huit (8) chefs d’accusation contre le policier. À ce moment, l’employeur suspend le travailleur sans solde. Le syndicat conteste la suspension sans solde du policier par grief et réclame, en plus du rétablissement du salaire et de tout préjudice monétaire, une indemnisation pour préjudice moral et dommages punitifs.

La convention collective applicable entre la Fraternité et la Ville permet de suspendre un policier sans traitement en cas de faute lourde.

Suite au dépôt des chefs d’accusation, le plaignant est reconnu coupable d’abus de confiance ce qui a entrainé sa destitution automatique de la police, suivant l’article 119 de la Loi sur la police.

Le Tribunal est donc saisi de plusieurs questions dans ce dossier, mais principalement; l’employeur pouvait-il modifier la suspension initiale avec traitement en une suspension sans traitement? À cette question, le Tribunal est d’avis que oui. En effet, il précise que rien dans la convention collective n’empêchait l’employeur d’agir comme il l’a fait. En effet, la présence d’une faute lourde permettait à l’employeur d’imposer une suspension sans salaire même s’il avait déjà précédemment suspendu le plaignant avec salaire pendant la période de l’enquête.

En conclusion, le Tribunal tranche que l’employeur a démontré que les agissements du plaignant correspondaient à la définition de la faute lourde, il pouvait donc suspendre le plaignant sans traitement comme il l’a fait.

Pour ces motifs, le grief est rejeté.

 

Commissaire à la déontologie policière c. Denis, 2023 QCCDP 12

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jvwwf>

La Commissaire à la déontologie policière reproche à deux policiers d’avoir menotté (chefs 2 et 4) et fouillé abusivement et sans droit un citoyen (chefs 1 et 3), en contravention aux articles 6 et 7 du Code de déontologie policière (ci-après, le « Code »). Les faits sont brièvement les suivants. Le citoyen se trouve au Marché central avec une amie. Recevant un appel, il sort d’un magasin pour se déplacer dans le stationnement pour pouvoir mieux entendre son interlocuteur. Les agents cités se font interpeller par deux dames qu’ils jugent crédibles et qui pointent le seul homme du stationnement en disant qu’elles sont persuadées qu’il tente de voler dans les véhicules se trouvant dans le stationnement. Ils vont à la rencontre de celui-ci. L’agent l’informe qu’il est détenu pour fins d’enquête et est rejoint par sa collègue. Le citoyen conteste et n’écoute pas l’agent : il est menotté puis fouillé par palpation. Par la suite, il est amené à son véhicule. Étant calme, on lui enlève ses menottes, l’agent regarde à l’intérieur du véhicule pour voir s’il y avait des objets suspects, il n’y a rien. Il sera relâché après que son identité soit vérifiée au Centre de renseignements policiers du Québec (CRPQ).

Le Comité de déontologie policière (ci-après, le « Comité ») juge peu crédible le témoignage du citoyen sur plusieurs aspects de la preuve, alors qu’il juge crédible la preuve présentée par les deux policiers. Il rappelle le droit applicable notamment que le fait de passer les menottes et de fouiller un citoyen sont des prérogatives accordées aux policiers. Il ne s’agit pas d’automatismes. Concernant la pose des menottes, le Comité juge que la décision de l’agent de menotter le citoyen était raisonnable, compte tenu de son attitude, de sa résistance, de sa tentative de fuite et du danger pour sa sécurité. La preuve démontrait en effet que le citoyen était mécontent de l’intervention des policiers auprès de lui, qu’il ne coopérait pas et qu’il a, de son propre aveu, tenté de fuir. Quant à l’agente, la preuve révèle qu’elle n’a pas posé les menottes au citoyen, se limitant à lui tenir un bras pendant la pose des menottes. Le Comité rejette donc les chefs 2 et 4 de la citation à son encontre.

Concernant la fouille, le Comité précise d’abord que l’agente n’a pas participé à la fouille et rejette donc les chefs 1 et 3 de la citation à son encontre. Ensuite, le Comité est d’avis que la fouille effectuée par l’agent n’était pas justifiée. Le policier affirme qu’il a pris la décision de fouiller par palpation le citoyen, considérant l’attitude et l’agressivité de celui-ci. Il affirme avoir craint pour sa propre sécurité. Or, selon le Comité, la preuve ne démontrait pas qu’une fois menotté, le citoyen représentait un danger pour la sécurité des policiers, pour lui-même ou pour d’autres personnes. La fouille effectuée par l’agent s’est faite de manière automatique. Le Comité conclut que l’agent a effectué cette fouille sans droit qu’il a ainsi contrevenu à l’article 7 du Code.

 


 

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