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Veille juridique du 28 mars 2023

Par Me Jean Paul Romero et Me Lylia Benabid

 

 

SECTION DROIT DU TRAVAIL 

GÉNÉRAL

 

Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de l’Estrie – Centre hospitalier universitaire de Sherbrooke, 2022 QCTA 19

Disponible sur SOQUIJ

L’arbitre est saisi d’un grief patronal réclamant le remboursement de sommes versées en trop à une salariée, 28 104 $, en raison de la rupture de son contrat de congé à traitement différé causée par sa démission. Le 15 février 2020, la salariée démissionne de son poste à temps complet. Le 24 mars 2020, l’employeur réclame par une lettre le remboursement des sommes versées en trop au plus tard le 24 avril 2020. Néanmoins, ce n’est que le 23 novembre 2020, soit près de sept mois après la date à laquelle la dette de la salariée est devenue exigible, que l’employeur dépose le grief patronal. Le syndicat soulève une objection préliminaire sur la prescription du grief patronal.

Le délai pour déposer un grief patronal est le délai supplétif de six (6) mois prévu à l’article 71 du Code du travail. L’employeur soulève que l’arrêté ministériel 2020-007, adopté le 21 mars 2020, a eu pour effet de suspendre tout délai relatif au dépôt d’un grief et qu’en conséquence, le grief patronal déposé le 23 novembre 2020 n’est pas prescrit. Pour le syndicat, la suspension des délais prévue par l’arrêté visait uniquement les délais prévus par la convention collective et, considérant l’absence de dispositions conventionnelles pour le dépôt du grief patronal, cet arrêté n’est pas applicable en l’espèce.

L’arbitre retient la thèse syndicale selon laquelle la suspension des délais pour le dépôt d’un grief ne concernait que les délais prévus par la convention collective. Or, le délai applicable dans le présent dossier est celui de l’article 71 du Code du travail. Ce délai n’a pas été suspendu par l’arrêté 2020-007 et le grief patronal a été déposé hors délai.

Objection préliminaire accueillie, le grief patronal est prescrit. À noter qu’un pourvoi en contrôle judiciaire a été déposé le 13 février 2023.

 

 

Hébert et Bombardier inc. (Aéronautique usine 1), 2023 QCTAT 625

Disponible ici : https://canlii.ca/t/jvgzq

Depuis juillet 2003, le travailleur est reconnu pour être atteint d’une surdité professionnelle alors qu’il occupe l’emploi de machiniste. À partir de mai 2005, le travailleur bénéficie du remboursement pour le coût de prothèses auditives avec technologie haut de gamme, à titre de mesure de réadaptation professionnelle, afin d’exercer son travail de manière sécuritaire. La Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (CNESST) autorise le renouvellement chaque année jusqu’en 2021. À ce moment, la CNESST refuse ce remboursement en raison du départ à la retraite du travailleur en 2020. Pour sa part, le travailleur soutient que malgré sa retraite, il doit bénéficier de ce remboursement afin de maintenir sa qualité de vie, son intégrité et sa sécurité.

Aux fins de son analyse, le Tribunal doit d’abord déterminer les dispositions législatives applicables afin de trancher le présent litige en raison des modifications législatives entrées en vigueur en octobre 2022 par la Loi modernisant le régime de santé et de sécurité du travail. Considérant que la nouvelle disposition semble plus limitative et en application du principe de la non-rétroactivité des lois, le Tribunal est d’avis qu’il y a lieu d’appliquer les dispositions législatives en vigueur au moment des faits à l’origine du litige, soit en septembre 2021. Par ailleurs, le Tribunal conclut que le travailleur a droit au remboursement des prothèses auditives avec technologie de haut de gamme, à titre de mesure de réadaptation sociale, car le port de ces prothèses est un besoin secondaire découlant des conséquences de sa lésion professionnelle et non simplement une mesure de confort ou de bien-être.

La contestation du travailleur est accueillie.

 

 

Syndicat des employés du CISSSMO – SCFP 3247 et CISSS de la Montérégie-Ouest, 2023 QCTA 79

Disponible sur SOQUIJ

Dans cette affaire, une salariée est en arrêt de travail pour des raisons de maladie pendant près de trois ans. Avant d’autoriser le retour au travail progressif, l’employeur demande l’avis de son médecin-expert. Or, l’évaluation de l’expert est retardée pendant quelques mois en raison notamment de l’attente des résultats d’un examen d’imagerie par résonance magnétique et pour des motifs liés à la Covid-19. Le syndicat dépose un grief pour contester la négligence dont l’employeur a fait preuve dans la gestion du retour au travail de la salariée.

D’abord, pour l’attente des résultats d’une résonance magnétique, le Tribunal considère que l’employeur était justifié de reporter l’évaluation puisque ces résultats étaient pertinents pour l’appréciation du retour au travail de la salariée. Pour les délais relatifs à la Covid-19, ceux-ci ne sont pas imputables à l’employeur, car toutes les expertises orthopédiques en présentiel ont été suspendues entre le mois de mars et la fin du mois de mai 2020. Néanmoins, l’employeur est responsable du délai injustifié entre la réception du rapport final de l’expert le 14 juillet 2020 et la transmission de ce rapport au médecin traitant de la salariée le 12 août 2020. Il s’agit d’un délai causé par la négligence de l’employeur dans la gestion du dossier et la salariée a le droit d’être indemnisée pour les pertes monétaires encourues.

[62] À l’instar de l’arbitre Nadeau, j’estime que l’Employeur doit assumer les dommages découlant de son manque de diligence dans le traitement du dossier de la plaignante. En omettant d’agir avec célérité à la réception du rapport de son expert, l’Employeur a allongé indûment le traitement du dossier de la plaignante de quatre (4) semaines et il doit indemniser la plaignante pour les pertes pécuniaires encourues. Le versement d’une somme équivalant à quatre (4) semaines de quatre (4) jours de travail en 2020 m’apparait juste comme dédommagement.

Le grief est accueilli en partie.

 


 

POLICIERS ET POLICIÈRES

 

Commissaire à la déontologie policière c. D. L., Comité de déontologie policière, décision de Lysane Cree, 2023-03-21. 

Disponible ici

Lors d’une arrestation, l’agent a asséné deux coups de poing au citoyen qu’il tentait de maîtriser. Le jeune homme était en crise et aurait tenu des pensées suicidaires, en mentionnant notamment qu’il souhaitait se faire tirer dessus par les policiers. Lors de son transport à l’hôpital en raison du danger que l’individu représentait pour lui-même et pour autrui, l’individu résiste fortement à l’immobilisation qui implique quatre policiers.

Le policier qui fait l’objet de la présence citation à comparaître devant le Comité de déontologie policière (ci-après, Comité) a été reconnu coupable de voies de fait qui ont eu lieu dans de cette intervention. Les coups ont été portés environ 10 secondes après qu’il a reçu un crachat sur le visage de la part de l’individu en crise. L’agent plaide coupable aux accusations et reçoit comme sanction une absolution conditionnelle assortie de diverses conditions. Le directeur du Service lui impose une suspension de 50 jours sans traitement à la suite d’une audience disciplinaire tenue en vertu de l’article 119 de la Loi sur la police. En imposant une suspension plutôt que la destitution, le directeur du Service retient qu’au moment des faits, l’agent souffrait de dépression majeure ainsi que d’un syndrome post-traumatique.

Dans le présent dossier, le Comité retient à titre de circonstances aggravantes que le geste reproché constitue des voies de fait, a été posé à l’encontre d’un mineur qui était en crise et en situation d’aide. De plus, les coups ont été portés dans une zone sensible du visage du jeune homme. Par ailleurs, le Comité souligne que l’agent avait 18 ans d’expérience.

L’imposition d’une sanction trop sévère à l’encontre de l’agent par le Comité de déontologie, alors que son employeur lui a déjà imposé une sanction disciplinaire importante (plusieurs dizaines de jours de suspension), pourrait avoir comme effet d’imposer une sanction nettement disproportionnée par rapport aux gestes posés. Rappelons par ailleurs que la sanction n’a pas pour objectif de punir le policier, mais vise à assurer une meilleure protection du public, notamment en dissuadant les policiers de commettre des infractions similaires.À titre de circonstances atténuantes, le Comité retient la situation psychologique de l’agent au moment des faits qui était en état de dépression, la participation active de l’agent dans l’amélioration de sa santé mentale après les faits, l’autodénonciation de ses gestes par l’agent auprès de ses supérieurs sans tenter de cacher la vérité, la non-préméditation des gestes, le fait qu’il a immédiatement présenté ses excuses auprès des parents du jeune homme et qu’il n’a aucun antécédent déontologique. Finalement, le Comité considère que le risque de récidive est faible.

Généralement, la commission d’un acte criminel par un policier implique sa destitution par l’employeur en vertu de l’article 119 de la Loi sur la police, sauf si des circonstances particulières justifient une autre sanction. En l’espèce, le comité de discipline interne avait reconnu des circonstances particulières qui ont mené plutôt à l’imposition d’une sanction sans traitement. Le Comité reconnaît aussi ces circonstances particulières.

Le processus disciplinaire de l’employeur et le processus déontologique de l’employeur sont deux processus distincts et il n’y a pas de sanction « en double » lorsque des sanctions sont prononcées par les deux instances. Cependant, le Comité doit se questionner à savoir si la sanction globale, pour les mêmes gestes, pourrait être considérée comme punitive ou exagérée.

De plus, lors de l’imposition d’une sanction, le Comité doit considérer l’ensemble du dossier, incluant les éléments de preuve au dossier, la présence ou l’absence d’une recommandation commune, une reconnaissance de responsabilité par le policier, la présence d’une sanction disciplinaire concernant les mêmes faits et la teneur du dossier déontologique.

En considérant l’ensemble du dossier, le Comité conclut que d’imposer une sanction de 50 jours constituerait une sanction nettement disproportionnée en l’espèce. Le Comité est d’avis qu’une suspension sans traitement de un jour ouvrable est juste, raisonnable et appropriée en les circonstances.

 

 


 

 

TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER

Rien à signaler.

 

 


 

POMPIERS ET POMPIÈRES

 

Succession de B. et Ville de St-Hyacinthe, 2023 QCTAT 829

Disponible ici : https://canlii.ca/t/jvsj3

Le 12 juin 2018, le travailleur, un pompier pour la Ville de St-Hyacinthe, subit une lésion professionnelle, lorsqu’il est appelé à intervenir sur les lieux d’un accident, dont le diagnostic est un trouble d’adaptation. Le 9 novembre 2018, la lésion est consolidée avec une atteinte permanente à l’intégrité physique ou psychique et avec des limitations fonctionnelles. Dans les jours qui suivent, il retourne au travail. Le 28 janvier 2019, le travailleur subit une récidive, rechute ou aggravation dont les diagnostics acceptés sont un stress post-traumatique et un trouble d’adaptation avec anxiété. Un nouvel arrêt de travail est prescrit. Le 28 avril 2019, le travailleur décède par suicide. La succession dépose une réclamation afin de faire reconnaître la relation entre le décès et la lésion professionnelle. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité (CNESST) rejette la réclamation, d’où le présent litige.

Le Tribunal rappelle le fardeau de preuve qui incombe à la succession dans ce type de recours :

[13] Il incombe à la succession de démontrer, par une preuve prépondérante, que le décès du travailleur est relié à sa lésion professionnelle. Dans l’affaire Y… T… (Succession), le Tribunal mentionne ceci à propos du fardeau de preuve :

[57] Plusieurs expressions sont utilisées par la jurisprudence pour décrire le fardeau de preuve imposé à la succession d’un travailleur aux fins du droit édicté par l’article 97 ci-dessus. On parle ainsi du fait que la lésion professionnelle ait contribué « de façon significative » au décès, ou que la lésion en a été le « facteur significatif », une « contribution significative », ou encore la « cause déterminante » ou qu’elle a joué un rôle « suffisamment important » ou que le décès du travailleur est de façon « plus probable », ou prépondérante, attribuable à la lésion professionnelle subie.

Pour le Tribunal, la preuve est prépondérante au fait que la lésion professionnelle a contribué de façon significative au décès par suicide du travailleur. Il y a un « avant » et un « après » l’événement d’origine du 12 juin 2018 dans la vie du travailleur. De plus, à compter de janvier 2019, date de la récidive, rechute ou aggravation, la condition psychologique se détériore progressivement et devient précaire. D’ailleurs, au moment du décès, la lésion n’est pas consolidée et le travailleur reçoit encore des traitements de nature psychologique. La preuve médicale et factuelle confirme que n’eût été la lésion professionnelle du 12 juin 2018, le travailleur n’aurait pas mis fin à ses jours.

La contestation de la succession est accueillie.

 

 


 

 

ARTISTES

 

L. et GFB Productions inc., 2023 QCTAT 884

 Disponible ici : https://canlii.ca/t/jvvcx

La travailleuse, chef maquilleuse professionnelle dans l’industrie de la télévision et du cinéma, exerce son métier pour divers employeurs dans le milieu. Le 3 novembre 2020, elle subit un accident de travail, soit une tendinite à l’épaule gauche, sur le plateau d’une série télévisée produite par l’employeur au dossier. La Commission des normes, de l’équité, de la santé et sécurité au travail (CNESST) accepte sa réclamation et déclare qu’en vertu de l’article 67 de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (LATMP), le revenu brut retenu pour déterminer l’indemnité de remplacement du revenu est de 31 214,57 $. La travailleuse conteste cette décision.

Pour la travailleuse, c’est plutôt l’article 75 LATMP qui est applicable et le Tribunal doit retenir un revenu brut de 65 580,41 $ comme base salariale. Ce montant représente la moyenne des revenus gagnés au cours des cinq années précédant l’année de la lésion professionnelle, en excluant ses revenus nets d’entreprise gagnés comme travailleuse autonome.

Le Tribunal retient la prétention de la travailleuse. La preuve prépondérante démontre que la nature de son métier implique le fait de travailler pour plus d’un employeur au cours d’une même année. Ses revenus annuels proviennent donc de plusieurs sources, dont l’assurance emploi. Par conséquent, la méthode utilisée par la CNESST, soit l’article 67 LATMP, ne reflète pas la réalité professionnelle et économique de la travailleuse puisqu’elle tient compte uniquement du contrat de travail chez l’employeur où l’accident de travail est survenu.

La contestation de la travailleuse est accueillie et la base salariale retenue est 65 580,41 $.

 


 

 

SECTION DROIT CRIMINEL

GÉNÉRAL

 

Directeur des poursuites criminelles et pénales c. Turkot, 2023 QCCQ 410

Disponible ici : <https://canlii.ca/t/jvhrr>

Le défendeur, un employé de l’aéroport Montréal-Trudeau, est assis dans un couloir réservé aux employés, couvre-visage sous le menton, en train de regarder son cellulaire le 16 avril 2021. Un constat d’infraction est émis face à son refus de porter un couvre-visage contrairement à la Loi sur la santé publique (ci-après, LSP).

Le défendeur soumet que la LSP ne s’applique dans un milieu de travail fédéral, mais n’a pas respecté la procédure pour conteste l’applicabilité ou la validité d’une disposition législative, soit de produire un avis au Procureur général du Québec exposant de manière précise ses prétentions.

Cependant, le Tribunal conclut tout de même que la LSP ne s’applique pas dans le lieu précis où le constat d’infraction a été émis, soit un couloir réservé aux employés ; ce qui ne constitue pas une partie accessible au public de l’aéroport, ni un hall d’entrée, ni une aire d’accueil et ni dans un ascenseur.

Ainsi, le défendeur est acquitté.