Béatrice Proulx, étudiante en droit
Décision sous étude : Teamsters, Conférence des communications graphiques, section locale 555M et Compagnie WestRock Corporation
À la suite d’un bris d’aqueduc, l’employeur, producteur d’emballages en carton, se voit contraint d’arrêter ses opérations faute d’alimentation en eau. Les réparations de la tuyauterie par la Ville de Candiac étaient prévues pour le lendemain seulement. Les employés présents à l’usine sont donc retournés à la maison et ont été rémunérés pour les heures effectivement travaillées la nuit de l’incident. Les employés avaient débuté leur quart de travail à 19h00 le 2 juin et devaient en principe le terminer à 7h00 le 3 juin.
Se pose alors la question de savoir si les travailleurs visés par le grief devraient ou non obtenir rémunération pour l’entièreté de leur quart de travail. En l’occurrence, le Tribunal fait droit au grief et ordonne à l’employeur le paiement du salaire et des avantages dont ont été privés les salariés.
Analyse
Il est admis que le bris d’aqueduc est un événement hors du contrôle de la compagnie WestRock Corporation qui l’a forcée à cesser son exploitation pour des raisons de santé et sécurité.
L’article 31 de la convention collective, intitulé « Indemnité de présence », prévoit expressément que l’employé sera rémunéré selon son taux de base pour toutes les heures prévues à son horaire lorsqu’il se présente au travail. Si sa présence est excusée à sa demande, il ne sera que payé pour les heures travaillées.
Selon l’arbitre, l’essence même de la clause en litige vise à assurer une rémunération complète au salarié qui subit l’inconvénient de s’être présenté au travail. Or, les parties ont assorti la disposition précitée de trois exceptions relatives au fait d’aviser l’employé que son travail régulier n’est pas disponible :
L’employeur a fait tout effort raisonnable pour aviser l’employé par téléphone ou par écrit;
L’employé ne reçoit pas cet avis, étant absent de son domicile (hormis la période de temps nécessaire aux déplacements vers le travail);
L’employé ne reçoit pas cet avis en raison de circonstances hors du contrôle de l’employeur (incendie, inondation, tempête ou panne d’électricité).
L’employeur invoque la troisième exception pour se soustraire à son obligation de rémunérer en totalité le quart de travail. Le Tribunal refuse toutefois d’appliquer cette exemption de verser le salaire, car c’est le défaut d’avis qui doit avoir été causé par les circonstances hors du contrôle de l’employeur et non le manque de travail dû auxdites circonstances.
Ici, le libellé est particulier et diverge de ce que les conventions collectives prévoient habituellement. Plus souvent qu’autrement, les parties stipulent que l’exonération de paiement s’appliquera en cas d’impossibilité pour l’employeur d’offrir du travail en raison de circonstances hors de son contrôle. Ici, le libellé est particulier, bien que l’issue de la situation soit la même: en tous les cas, les travailleurs sont contraints de retourner à la maison par manque de travail. La différence réside dans la rédaction de la disposition: c’est le défaut de transmettre un avis téléphonique ou écrit à cause d’une force majeure, avant le début du quart de travail du salarié, qui justifierait une exonération de paiement.
En l’occurence, il est évident que les salariés n’ont pas reçu d’avis avant de se présenter à l’usine. Ainsi, l’absence d’avis n’est pas attribuable à des circonstances hors du contrôle de l’employeur. Ils se sont rendus comme à l’habitude au travail et ont effectué les tâches demandées jusqu’à ce que survienne le bris d’aqueduc.
Conclusion
Il ressort de cette décision que certains employés devront être rémunérés pour toutes les heures prévues à leur quart de travail, malgré la survenance d’un cas de force majeure qui les pousseraient à retourner à la maison. Il en sera ainsi lorsque la convention collective prévoit un tel mode de rémunération. L’employeur ne pourra alors se soustraire à son obligation de paiement du salaire sous prétexte que l’événement est hors de son contrôle.
Éditorial | COVID-19:
L’urgence sanitaire mondiale actuelle en lien avec le Coronarivus nous mène à effectuer un parallèle avec la décision sous étude. Il n’est pas impossible que la pandémie, événement hors du contrôle des employeurs au Québec, ne leur laisse d’autre choix que de cesser temporairement leurs activités par manque de travail à offrir. En pareille situation, les salariés qui se voient empêchés de fournir leur prestation de travail devront-ils être rémunérés, alors qu’ils s’étaient présentés au travail ?
Sous réserve d’exceptions, nous sommes d’avis que si la décision provient de l’employeur, celui-ci devra verser une rétribution à ses employés lorsque la convention collective l’oblige pour toutes les heures assignées. À contrario, l’entente entre les parties pourrait stipuler qu’en cas de force majeure, le manque de travail ne sera pas rémunéré.
Chaque cas étant un cas d’espèce, nous sommes disponibles pour répondre à toute interrogation que vous pourriez avoir en cette période de bouleversements.
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