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Commentaire sur la décision R. c. Larouche – Sentence imposée en matière de pornographie juvénile à l'ère de l'hypertrucage

PAR ME Ariane BERGERON ST-ONGE

*Ce texte a été initialement publié dans La Référence, sous la citation EYB2023REP3670

Version pdf de l’article au lien suivant.

 

Résumé

L’auteure commente cette décision rendue par la Cour du Québec prononçant une sentence globale de huit ans d’emprisonnement à un contrevenant en matière de possession, distribution et production de pornographie juvénile avec comme toile de fond factuelle les nouvelles technologies d’hypertrucage (ou deepfake) à partir d’images sélectionnées sur les réseaux sociaux.

 

TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION

I – LES FAITS

II– LA DÉCISION

A. Les principes applicables en matière de détermination de la peine

B. L’application aux trois infractions commises : possession, distribution, et production de pornographie juvénile

1. La possession de pornographie juvénile

2. La distribution de pornographie juvénile

3. La production de pédopornographie

4. Le caractère consécutif ou concurrent des peines

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

CONCLUSION

 

 

INTRODUCTION

La détermination de la peine juste et appropriée à un délinquant est un processus qui relève du pouvoir discrétionnaire du tribunal. Il n’y a pas de science exacte ni de formule mathématique pour ce faire ; le législateur prévoit au Code criminel des principes encadrant cette tâche dévolue au juge, dont les fondements cardinaux sont la proportionnalité et l’individualisation de la peine[1]. La Cour du Québec a récemment eu l’occasion d’effectuer cet exercice dans la décision R. c. Larouche[2], où elle devait imposer la sentence juste et appropriée à un délinquant qui avait plaidé coupable à des infractions relatives à la pornographie juvénile en ayant recours à la technologie de l’hypertrucage.

 

I– LES FAITS

Le délinquant Larouche a reconnu sa culpabilité devant la Cour du Québec d’avoir possédé plus de 545 000 fichiers de pédopornographies, d’en avoir rendu certains accessibles et d’avoir fait la production de plus de 86 000 fichiers de même type par la technologie de l’hypertrucage (deepfake). Cette technologie permet à des cyberprédateurs de créer de nouveaux fichiers de pornographie juvénile à partir d’images d’enfants obtenues sur les réseaux sociaux, d’en extraire les visages et de les échanger avec le visage d’une victime d’agression sexuelle.

Le profil du délinquant a été détaillé dans un rapport présentenciel visant à aider le tribunal à individualiser la peine au délinquant ayant reconnu sa responsabilité criminelle. Ce dernier a participé à une évaluation faite par un sexologue clinicien, dont les conclusions démontrent une certaine banalisation des crimes par le délinquant puisque celui-ci prétend avoir commis des crimes sans victimes, n’ayant jamais été en présence physique de celles-ci, et il nie avoir une problématique d’ordre sexuel. Le sexologue et l’auteure du rapport suggèrent l’imposition d’une thérapie en lien avec les crimes commis.

 

II– LA DÉCISION

A. Les principes applicables en matière de détermination de la peine

Le tribunal débute son jugement en précisant le cadre d’analyse applicable en matière de détermination de la peine juste etappropriée au délinquant. Il énonce ainsi les principes applicables, soit la dénonciation du crime, la dissuasion, la responsabilisation et l’individualisation, ainsi que l’harmonisation de la peine à des délinquants dans des circonstances semblables[3], tout en favorisant la réhabilitation et la réinsertion sociale des délinquants. La peine imposée doit ultimement être proportionnelle au regard de la gravité des infractions commises et du degré de responsabilité du délinquant.

En matière de crimes commis envers les enfants, les principes de dissuasion et de dénonciation du crime doivent toutefois être priorisés au détriment des autres objectifs.

B. L’application aux trois infractions commises : possession, distribution, et production de pornographie juvénile

Le délinquant doit recevoir une peine juste pour chacune des infractions qu’il a commises et le tribunal détermine ensuite sielles doivent s’appliquer de façon concurrente entre elles ou bien consécutivement.

1. La possession de pornographie juvénile

Le tribunal retient que, n’eût été l’arrestation, le délinquant aurait encore sa « collection » qu’il possède depuis plus de dix ans, sans remords puisqu’il s’estime désensibilisé au fait que ce sont de « vrais » enfants qui sont abusés sexuellement. Il vit avec d’importantes distorsions cognitives. Cette collection de 545 000 fichiers est l’une des plus importantes de l’historique judiciaire du pays, et le nombre de fichiers est un élément pertinent pour déterminer le degré de culpabilité morale du délinquant.

Le tribunal retient également du classement structuré de la collection par noms d’enfants que les gestes délictuels étaient prémédités et délibérés.

L’impact sur les victimes est majeur et est documenté avec l’aide du Centre canadien de la protection de l’enfance qui a retracé certaines des victimes d’abus sexuels exposés dans les fichiers détenus par le délinquant. Le tribunal souligne que l’impact est continuel sur celles-ci tant que les fichiers existent, et ces cyber délinquants participent à perpétuer les traumatismes et autres conséquences vécus par les victimes, qui sont des circonstances aggravantes à être considérées dans la détermination de la peine.

Le tribunal conclut que la nature des fichiers, leur catégorisation, la durée de leur possession et leur quantité justifient l’imposition de la peine maximale, qui est désormais établie à dix ans. Toutefois, comme le délinquant est accusé pour une période qui couvre l’ancienne disposition législative qui prévoyait une peine maximale de cinq ans, le délinquant doit pouvoir en bénéficier[4]. En considérant le plaidoyer de culpabilité rapide, la collaboration à l’enquête et le risque de récidive réduit sur ce chef d’accusation, le tribunal impose quatre ans et demi de détention.

2. La distribution de pornographie juvénile

Le tribunal s’éloigne du principe suivant lequel ce crime revêt une gravité objective plus grande que celui de la possession, puisque la preuve démontre que la quantité de fichiers échangés par rapport à la « collection » personnelle du délinquant est beaucoup moins grande. En tenant compte de la période de trois ans pendant laquelle le délinquant a donné libre accès à des fichiers constituant de la pornographie juvénile et du nombre de fichiers effectivement transmis aux autorités policières dans le cadre de l’enquête, le tribunal conclut que la gravité objective du crime doit être mitigée et impose une peine de 30 mois de détention sur ce chef, en soulignant que la fourchette jurisprudentielle oscille entre 20 et 36 mois pour des cas similaires.

3. La production de pédopornographie

Le tribunal souligne que cette décision est une première qui porte sur un crime de pédopornographie en utilisant l’hypertrucage comme technologie permettant d’utiliser des images qui n’ont rien à voir avec la pornographie, mais de les transposer à un environnement pornographique, et ainsi créer de nouvelles victimes qui n’ont jamais été physiquement exploitées.

Tout en soulignant que ce crime est l’un des plus sérieux du Code criminel et punissable par un maximum de 14 ans d’emprisonnement, le tribunal retient que cette nouvelle technologie permet aux cyberprédateurs de créer des victimes virtuelles mettant à risque tous les enfants de nos communautés, par le truchement d’images saisies sur Internet.

Toutefois, le tribunal refuse de suivre l’argument du ministère public voulant que l’utilisation de cette nouvelle technologie devait recevoir un traitement exceptionnel. Le crime demeure le même en essence. Le tribunal impose 42 mois de détention en retenant les principes récemment établis par la Cour suprême visant à établir des fourchettes de peines plus lourdes pour les crimes de nature sexuelle visant les enfants[5]. Pour en arriver à ce quantum, le tribunal souligne que la preuve ne permet pas de conclure que les fichiers hypertruqués l’ont été dans le but d’être distribués ou l’ont effectivement été. Il soutient en outre que la réhabilitation est envisageable suivant un long parcours thérapeutique.

4. Le caractère consécutif ou concurrent des peines

La jurisprudence québécoise module généralement les peines de possession et de distribution pour les rendre concurrentes, étant donné que les délinquants rendent disponibles des fichiers qu’ils possèdent déjà. Le tribunal ne juge pas utile de s’en dissocier. Toutefois, le chef de production ne découle pas des mêmes faits que les deux infractions précédentes et la peine doit ainsi être consécutive. Ce faisant, le tribunal impose une peine globale de huit ans d’emprisonnement, à laquelle il retranche 25 mois pour tenir compte de la détention provisoire.

 

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

L’exploitation sexuelle d’enfants sous toutes ces formes est ce qu’il y a de plus vil et dégradant chez l’humain. Les mots manquent pour décrire les conséquences néfastes et prolongées sur ces victimes dont la vulnérabilité est sans égal. La jurisprudence est unanime que les crimes entourant la pornographie juvénile doivent être dénoncés et, depuis plusieurs années, on assiste à un resserrement des principes applicables en matière de détermination de la peine pour mettre l’accent sur la dénonciation de ces crimes et dissuader d’autres individus à franchir le pas vers l’abominable. C’est notamment grâce à des changements législatifs prévoyant des peines plus sévères et aux enseignements de l’arrêt Friesen ordonnant aux tribunaux de considérer plus gravement les crimes sexuels commis envers les enfants.

Ayant tout cela à l’esprit, la Cour du Québec a rendu à notre avis une sentence juste et appropriée dans les circonstances sordides de ce dossier eu égard aux principes applicables, tout en se gardant d’imposer une sentence disproportionnée à un délinquant ayant commis des infractions aussi ignobles. Un petit bémol toutefois à l’endroit du chef de distribution, qui aurait mérité une peine plus sévère à notre humble avis, dans la mesure où le délinquant reconnaît qu’il rendait les fichiers accessibles, ce qui semble avoir été la conclusion du tribunal, bien qu’il ne retienne que 17 fichiers effectivement téléchargés par les autorités policières dans l’évaluation de la peine. Une peine plus sévère sur ce chef aurait néanmoins mené au même résultat sur la peine globale.

 

CONCLUSION

Cette décision est l’illustration d’un examen minutieux, décortiqué et pointilleux des principes applicables en matière de détermination de la peine, sans tomber dans l’excès. Cette peine globale somme toute sévère est juste et adaptée aux circonstances qui lui sont propres. La technologie de l’hypertrucage donne froid dans le dos, et espérons que les cyberprédateurs soient dissuadés d’emprunter cette voie à la lecture d’une telle décision.

 

 

 

 


[1] R. c. Lacasse, 2015 CSC 64, EYB 2015-259924, par. 3.

[2] 2023 QCCQ 1853, EYB 2023-521469.

[3] Art. 718 et s. du Code criminel.

[4] Art. 11 i) de la Charte canadienne des droits et libertés.

[5] R. c. Friesen, 2020 CSC 9, EYB 2020-350618.