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Commentaire sur les arrêts R. c. Hills et R. c. Hilbach – La Cour suprême se penche sur la constitutionnalité de peines minimales obligatoires à deux infractions relatives aux armes à feu

 

PAR ME ARIANE BERGERON ST-ONGE ET ME MYLÈNE LAFRENIÈRE ABEL

 

Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2023REP3635

 

INTRODUCTION

Dans les arrêts R. c. Hills1 (Hills) et R. c. Hilbach2 (Hilbach), le plus haut tribunal du pays offre des clarifications sur le cadre juridique applicable lorsque la constitutionnalité d’une disposition fixant une peine minimale obligatoire est contestée en vertu de l’article 12 de la Charte protégeant une personne contre les peines cruelles et inusitées. Ces deux affaires concernent trois infractions différentes qui impliquent l’utilisation d’une arme à feu.

 

I– LES FAITS

 

A. L’arrêt Hills

Alors qu’il était intoxiqué, l’accusé a tiré des coups de feu en direction d’une voiture et d’une résidence avec une carabine de chasse. Il a plaidé coupable à plusieurs infractions, notamment d’avoir déchargé intentionnellement une arme à feu en direction d’un lieu, sachant qu’il s’y trouvait une personne ou sans s’en soucier, en violation de l’alinéa 244.1)1)a) du Code criminel. Cette infraction était alors punissable d’une peine minimale obligatoire de quatre ans d’emprisonnement. L’accusé a présenté une contestation constitutionnelle sur le fondement de l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés (ci- après « la Charte »), soutenant que la peine minimale obligatoire était exagérément disproportionnée et qu’elle constituait une peine cruelle et inusitée. Sa contestation s’appuyait sur un scénario hypothétique selon lequel une jeune personne décharge intentionnellement, en direction d’une résidence, un pistolet ou une carabine à air comprimé dont les munitions sont incapables de percer les murs de la résidence. Ce comportement correspondrait alors à la définition de l’infraction prévue à l’alinéa 244.1)1)a) du Code criminel et donc la peine minimale serait applicable pour un tel cas de figure.

Le juge chargé de la détermination de la peine s’est dit d’avis que la peine avait un effet exagérément disproportionné selon le scénario hypothétique présenté et a conclu que la violation de l’article 12 ne pouvait être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte. Il a condamné l’accusé à trois ans et demi d’incarcération. La Couronne a interjeté appel à la fois sur la violation à l’article 12 de la Charte et sur la peine de l’accusé. La Cour d’appel a accueilli l’appel de ces deux moyens et a infligé la peine minimale de quatre ans d’emprisonnement.

 

B. L’arrêt Hilbach

Les appels de la Couronne dans les dossiers des accusés Hilbach et Zwozdesky ont été instruits conjointement devant la Cour suprême. Hilbach est un autochtone de 19 ans accusé d’avoir commis un vol qualifié avec une carabine à canon scié non chargée dans un dépanneur, avec un jeune complice de 13 ans. Il a plaidé coupable à une accusation de vol qualifié avec usage d’une arme à feu prohibée en contravention du sous-alinéa 344(1)a)(i) du Code criminel. Il a contesté la peine minimale obligatoire de cinq ans, soutenant qu’il s’agissait d’une peine exagérément disproportionnée à son égard et qu’elle constituait ainsi une peine cruelle et inusitée. Après avoir déterminé que la peine minimale obligatoire était exagérément disproportionnée et contrevenait à l’article 12 de la Charte, le juge de première instance a imposé une peine de deux ans moins un jour à l’accusé.

Zwozdesky a quant à lui reconnu sa culpabilité à une accusation de vol qualifié avec usage d’une arme à feu dans un dépanneur, en contravention de l’alinéa 344(1)a.1) du Code criminel. La peine minimale obligatoire est de quatre ans d’emprisonnement, puisque contrairement à l’affaire Hilbach, l’arme à feu utilisée par M. Zwozdesky était dite « ordinaire » et n’avait pas subi d’altération. Se fondant sur l’article 12 de la Charte, il a contesté la peine minimale obligatoire, s’appuyant sur une série de situations hypothétiques. La première juge a conclu que la peine minimale obligatoire n’était pas exagérément disproportionnée à l’égard de M. Zwozdesky, mais qu’elle l’était dans les situations hypothétiques raisonnablement prévisibles présentées en défense. Elle a condamné M. Zwozdesky à une peine d’emprisonnement de trois ans, après avoir déclaré l’alinéa 344(1)a.1) inopérant.

La Cour d’appel a rejeté les appels de la Couronne dans ces deux dossiers, mais elle a ajouté un an à la peine de M. Hilbach.

 

II– LES DÉCISIONS

Citant l’arrêt R. c. Bissonnett3 rendue l’année précédente, la Cour précise que les arrêts Hilbach et Hills ne viennent pas modifier les règles de droit déjà établies sur les contestations constitutionnelles de peines minimales et ne retient donc pas les propositions de révision de ces règles suggérées par la Couronne, plusieurs intervenants et par la Cour d’appel. La démarche demeure la même, mais la Cour saisit l’opportunité de présenter des repères, directives et autres éclaircissements supplémentaires au cadre applicable.

 

A. Le cadre d’analyse applicable en cas de contestation constitutionnelle de la peine minimale obligatoire en vertu de l’article 12 de la Charte

Dans l’arrêt Hills, la Cour énonce en détail le cadre d’analyse en deux étapes s’appliquant en cas de contestation constitutionnelle d’une peine minimale en vertu de l’article 12 de la Charte. Le tribunal doit (1) déterminer ce qui constituerait une peine juste et proportionnée à l’infraction en cause selon les objectifs et principes de détermination de la peine et (2) se demander si la peine minimale attaquée est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste et proportionnée. Il est possible d’entreprendre cette analyse selon a) la personne délinquante en cause, ou selon b) un autre délinquant placé dans une situation hypothétique raisonnable et prévisible.

La première étape de l’analyse consiste pour le tribunal à déterminer la peine juste et proportionnée qui convient à la personne délinquante en cause ou à un autre délinquant placé dans une situation raisonnable et prévisible au regard des principes généraux de détermination de la peine 4.

Si la contestation constitutionnelle se fait en fonction de la personne délinquante au dossier, le tribunal doit « déterminer aussi précisément que possible une peine tel qu’il en ressortirait d’une audience de détermination de la peine traditionnelle » 5. Une peine proportionnée doit tenir compte de la gravité de l’infraction et la culpabilité morale de la personne délinquante 6. La Cour rappelle qu’il convient de « mettre l’accent sur le besoin d’arrêter une peine juste, proportionnée et précise, eu égard aux caractéristiques personnelles de la personne délinquante et aux circonstances entourant la perpétration de l’infraction » 7. Le tribunal doit formuler une peine individuelle, précise et définie 8.

Lorsque le tribunal est appelé à prendre en considération la situation raisonnablement prévisible de personnes délinquantes qui ne comparaissent pas devant eux, il doit s’intéresser aux scénarios hypothétiques raisonnables qui soulèvent des questions réalistes au sujet de la portée de la peine minimale et de son application à tous. Cette façon de procéder s’avère un outil accepté et approprié 9 selon les enseignements des arrêts Nur, Lloyd et Boudreault 10.

Ainsi, la Cour énumère et explique cinq caractéristiques d’une hypothèse raisonnable 11 : (1) elle doit être « prévisible » en ce sens qu’elle ne doit pas être invraisemblable 12, (2) l’analyse peut prendre en considération les cas répertoriés 13, (3) elle doit tenir compte des actes visés par l’infraction, (4) les caractéristiques personnelles comme l’âge, la pauvreté, la race, l’autochtonité, les problèmes de santé mentale et la dépendance peuvent être considérées et (5) la soumettre au processus accusatoire.

Une fois les contours de l’hypothèse raisonnable tracés, les tribunaux doivent fixer la peine à infliger à une personne délinquante se trouvant dans une situation raisonnablement prévisible selon les principes généraux de détermination de la peine.

Le tribunal passe ensuite à la deuxième étape de l’analyse et doit effectuer une comparaison contextuelle entre la peine juste et la peine minimale obligatoire attaquée afin de déterminer si elle équivaut à une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 12 de la Charte 14. L’écart obtenu au terme de cette comparaison ne doit pas seulement être inapproprié, excessif et disproportionné ; il doit s’agir d’un écart exagérément disproportionné. On parle ainsi d’une norme exigeante 15. Trois éléments cruciaux doivent être analysés : 1) la portée et l’étendue de l’infraction ; 2) les effets du châtiment sur le délinquant ; 3) la sanction elle-même et ses objectifs.

L’analyse, à cette étape, porte sur « la question de savoir si [l’infraction] englobe un vaste ensemble de comportements disparates » 16. Celle-ci peut être influencée par la nature de l’infraction et la sévérité de la peine par rapport à l’infraction contestée 17. Les tribunaux peuvent également tenir compte des fourchettes de peines et des points de départ pour les infractions de cette nature ainsi que des peines minimales obligatoires prévues pour des infractions similaires 18.

Les tribunaux doivent ensuite prendre en compte la sévérité des effets de la peine minimale obligatoire sur les gens qui en sont passibles. Ils doivent analyser les « effets concrets que la peine peut avoir sur la personne délinquante, tant en ce qui concerne la durée de son incarcération que les conditions physiques dans lesquelles elle purgera sa peine » 19. Pour ce faire, ils doivent s’efforcer de définir le préjudice précis causé par le châtiment, en analysant les conséquences que la peine contestée peut avoir sur la personne délinquante en cause ou sur une personne délinquante raisonnablement prévisible, tant de façon générale qu’en fonction des caractéristiques et qualités qui leur sont propres 20.

Finalement, les tribunaux doivent examiner la sévérité de la sanction afin de déterminer si la peine minimale va au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs légitimes du Parlement. Par ailleurs, la Cour souligne que « pour être compatible avec la dignité humaine et, partant, pour respecter l’article 12, la peine ou la détermination de la peine doit tenir compte de la réinsertion sociale » 21. Les tribunaux doivent également vérifier si la durée de l’emprisonnement prévue par la loi est trop excessive à la lumière d’autres solutions potentiellement adéquates 22.

La peine minimale contrevient à l’article 12 de la Charte lorsque le tribunal conclut qu’elle est exagérément disproportionnée. Il doit toutefois décider ensuite si cette contravention peut être justifiée en vertu de l’article premier de la Charte lorsque la Couronne présente des éléments de preuve ou des arguments en ce sens.

L’arrêt Hilbach apporte des précisions supplémentaires quant à la manière dont l’autochtonité doit s’inscrire dans l’analyse de la disproportion exagérée fondée sur l’article 12. L’alinéa 718.2 e) s’applique à trois différentes parties du cadre d’analyse détaillée dans l’arrêt Hills. D’abord, les tribunaux doivent tenir compte de l’arrêt R. c. Gladue 23 lorsqu’ils déterminent la peine de la personne délinquante en cause 24. Ensuite, lorsque les tribunaux élaborent des situations hypothétiques raisonnablement prévisibles, ils peuvent examiner des situations mettant en cause des personnes délinquantes autochtones. Cela cadre avec les directives législatives impératives données par le Parlement à l’alinéa 718.2e) du Code criminel 25. Enfin, l’autochtonité est pertinente à la deuxième étape de l’analyse fondée sur l’article 12. Lorsqu’ils déterminent si une peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée, les tribunaux doivent tenir compte de l’effet de celle-ci sur les personnes délinquantes, incluant les personnes délinquantes autochtones 26.

 

B. Application du cadre d’analyse aux faits des dossiers

  1. L’arrêt Hills

La Cour reconnaît d’emblée que le scénario hypothétique évoqué par M. Hills est raisonnablement prévisible. En effet, il fut démontré par un expert qu’il existait un grand nombre de carabines et de pistolets à air comprimé couramment disponibles au Canada qui répondent à la définition d’arme à feu du Code criminel, mais qui ne sont pas capables de percer un mur résidentiel. Dans ce scénario, la gravité de l’infraction et la culpabilité de la personne délinquante sont peu élevées et le jeune âge de cette personne constitue une circonstance atténuante. La Cour détermine que la peine juste dans le scénario proposé est le sursis au prononcé d’une peine d’au plus 12 mois de probation.

La deuxième étape de l’analyse mène à la conclusion que la peine minimale obligatoire de quatre ans est exagérément disproportionnée par rapport à la peine juste. Cette peine « choque la conscience » et va bien au-delà de ce qui est nécessaire pour que le Parlement atteigne ses objectifs en matière de détermination de la peine pour cette infraction. La Cour conclut qu’elle ne peut être sauvegardée en vertu de l’article premier. Elle est déclarée inopérante, avec effet immédiat, et cette déclaration s’applique rétroactivement. La peine de trois ans et demi qui a été infligée à M. Hills par le premier juge est rétablie.

La juge Côté est dissidente. La peine minimale de quatre ans n’est ni excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence ni incompatible avec la dignité humaine au point de constituer une peine cruelle et inusitée au sens de l’article 12 de la Charte.

 

  1. L’arrêt Hilbach

La Cour applique le cadre d’analyse et conclut que, dans le cas de M. Hilbach, la peine obligatoire de cinq ans prescrite au sous-alinéa 344(1)a)(i) ne contrevient pas à l’article 12 de la Charte. L’infraction commise par M. Hilbach est une infraction grave comportant un haut degré de culpabilité morale. L’utilisation d’une arme à feu lors du vol qualifié accroît la gravité de l’infraction. Même non chargée, l’infraction demeure grave.

Dans le cas de M. Hilbach, comme délinquant autochtone, les effets de la peine minimale de cinq ans sont sévères. Même si une peine juste et appropriée pour sa situation se situait en deçà de la peine minimale, celle-ci est proportionnée. La gravité de l’infraction justifie le Parlement de prioriser la dénonciation et la dissuasion. Selon la Cour, la différence entre la peine minimale obligatoire et la situation particulière de Hilbach n’est pas « excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence » 27.

Dans le cas de M. Zwozdesky, sur les cinq situations hypothétiques présentées à la Cour 28, deux seulement sont raisonnablement prévisibles pour l’application d’une analyse fondée sur l’article 12 de la Charte. Toutefois, ces situations sont insuffisantes pour établir que l’alinéa 344(1)a.1) est exagérément disproportionné. La peine minimale établie par le Parlement ne choque pas la conscience ou n’est pas excessive au point de porter atteinte aux normes de la décence. Bien que la peine soit sévère, le seuil élevé de la disproportion exagérée n’est pas atteint.

Les juges Karakatsanis et Jamal sont dissidents. Ils sont d’avis que le sous-alinéa 344(1)a)(i) et l’alinéa 344(1)a.1) du Code criminel violent la garantie constitutionnelle contre les peines cruelles et inusitées établie à l’article 12 de la Charte et que ces peines ne peuvent être sauvegardées par application de l’article premier.

 

III– LE COMMENTAIRE DES AUTEURES

Le processus de détermination de la peine est un exercice difficile. La Cour suprême a tenté d’offrir des outils de clarification au cadre juridique applicable lorsque la constitutionnalité d’une peine minimale obligatoire est contestée. Force est de constater, à la lecture de ces deux arrêts, que l’exercice demeure périlleux et relativement complexe. Le décideur de première instance chargé de cette lourde tâche aura le bénéfice de ces deux arrêts, mais la Cour suprême aurait sans doute eu avantage à saisir l’opportunité offerte par ces deux décisions pour simplifier l’application du cadre d’analyse.

La détermination de la peine étant d’abord et avant tout un procédé intrinsèquement individualisé, les dissidences en l’espèce illustrent à quel point une même méthode peut offrir un résultat différent. L’idée même d’une peine minimale obligatoire à une infraction prévue au Code criminel repousse ce principe cardinal d’individualisation de la sentence selon les caractéristiques propres au délinquant.

 

CONCLUSION

La Cour suprême réitère que « la norme de la disproportion exagérée est un critère rigoureux qui ne s’applique que dans de rares cas » 29. Cela confère à la déclaration d’inconstitutionnalité d’une peine minimale obligatoire un caractère d’exception.

 


  1. 2023 CSC 2, EYB 2023-508876.
  2. 2023 CSC 3, EYB 2023-508875.
  3. 2022 CSC 23, EYB 2022-451039.
  4. Id., par. 44.
  5. Id., par. 50. Pour un rappel des dispositions et des principes pertinents en matière de détermination de la peine, voir par. 53-55.
  6. Id., par. 56-61.
  7. Id., par. 50. Voir aussi par. 62-66.
  8. Id., par. 63.
  9. Id., par. 67-75.
  10. R. c. Nur, 2015 CSC 15, EYB 2015-250517 ; R. c. Lloyd, 2016 CSC 13, EYB 2016-264530 ; R. c. Boudreault, 2018 CSC 58, EYB 2018-305225.
  11. Hills, par. 77-96.
  12. Id., par. 78.
  13. Id., par. 81.
  14. Id., par. 45.
  15. Id., par. 109.
  16. Id., par. 147.
  17. Id., par. 130.
  18. Id., par. 132.
  19. Id., par. 147.
  20. Id., par. 133.
  21. Id., par. 132.
  22. Id., par. 143.
  23. [1999] 1 R.C.S. 688, REJB 1999-11962.
  24. Hilbach, par. 42.
  25. Id., par. 43.
  26. Id., par. 44.
  27. Hills, par. 109.
  28. Id., par. 85.
  29. Hilbach, par. 108.