Merci de vous inscrire à notre infolettre.
Infolettre
Si vous souhaitez recevoir de nos nouvelles, il suffit d’entrer votre adresse courriel dans la boîte ci-contre.
Veuillez remplir les champs correctement.

COVID-19 et pouvoirs policiers : Les moyens d’intervention des policiers en période de crise sanitaire

Me Andrew Charbonneau

Dans un monde idéal, les recommandations du Dr Horacio Arruda, Directeur national de la Santé publique, seraient exécutées et respectées par tous les Québécois. Or, force est de constater que la carotte n’est pas infaillible et qu’il faille parfois recourir au bâton. La Loi sur la Santé publique est un outil puissant qui munit la Direction de la santé publique de larges pouvoirs d’intervention et de coercition. Si le gouvernement n’a pas usé, jusqu’ici, de tout l’arsenal légal prévu dans cette loi, rien n’indique qu’avec l’évolution de la crise celui-ci n’aura pas recours à de nouvelles mesures plus coercitives. En conférence de presse dimanche, le 22 mars 2020, le Premier ministre François Legault expliquait que l’intervention policière demeurait marginale pour l’instant. Cette mention du rôle de policier survenait à la suite d’une fin de semaine où les policiers de la Ville de Québec ont dû intervenir à une dizaine de reprises sur leur territoire afin de faire respecter les mesures de confinement.

Plus tard en soirée, le Service de police de la ville de Montréal a déclaré l’état d’urgence, disposition prévue à la convention collective permettant au Directeur du service une plus grande latitude sur la gestion des effectifs et de la disponibilité des policiers pendant la crise. Cette annonce fait suite à une journée remplie de dénonciations citoyennes concernant des rassemblements illégaux sur l’île de Montréal.

Ce texte vise donc à traiter de l’impact de l’évolution de la pandémie sur le pouvoir policier au Québec.

 

A – LOI SUR LA SANTÉ PUBLIQUE

La Loi sur la santé publique (« L.S.P. ») encadre l’action gouvernementale lors d’une crise sanitaire. L’article 2 L.S.P. en prévoit le champ d’application :

2. Certaines mesures édictées par la présente loi visent à permettre aux autorités de santé publique d’exercer une vigie sanitaire au sein de la population et à leur donner les pouvoirs pour intervenir lorsque la santé de la population est menacée.

Dans la présente loi, on entend par une menace à la santé de la population la présence au sein de celle-ci d’un agent biologique, chimique ou physique susceptible de causer une épidémie si la présence de cet agent n’est pas contrôlée.

 

Le Directeur national de la santé publique veille à la santé et la sécurité collective et, par l’intermédiaire de plusieurs directeurs régionaux, il assure une vigie constante. Dans certains cas, la surveillance porte sur l’apparition d’un risque épidémiologique. Cette apparition génère de nouvelles obligations de prévention et d’endiguement qui nécessitent l’exercice d’un pouvoir d’action accrue afin de réduire la progression de l’épidémie et l’éliminer. L’article 106 L.S.P. énumère les divers pouvoirs du Directeur national de Santé publique :

106. Lorsqu’un directeur de santé publique est d’avis, en cours d’enquête, qu’il existe effectivement une menace réelle à la santé de la population, il peut:

 1°   ordonner la fermeture d’un lieu ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes ou à certaines conditions et faire afficher un avis à cet effet;

2°   ordonner l’évacuation d’un édifice;

3°   ordonner la désinfection, la décontamination ou le nettoyage d’un lieu ou de certaines choses et donner des directives précises à cet effet;

4°   ordonner la destruction d’un animal, d’une plante ou d’une autre chose de la manière qu’il indique ou le traitement de certains animaux ou de certaines plantes;

5°   ordonner la cessation d’une activité ou la prise de mesures de sécurité particulières si c’est cette activité qui est une source de menace pour la santé de la population; 

6°   ordonner à une personne, pour le temps qu’il indique, de ne pas fréquenter un établissement d’enseignement, un milieu de travail ou un autre lieu de rassemblement, si elle n’est pas immunisée contre une maladie contagieuse dont l’éclosion a été constatée dans ce milieu;

7°   ordonner l’isolement d’une personne, pour la période qu’il indique mais pour au plus 72 heures, si celle-ci refuse de recevoir le traitement nécessaire pour éviter toute contagion ou s’il s’agit de la seule mesure à prendre pour éviter la transmission au sein de la population d’un agent biologique médicalement reconnu comme pouvant mettre gravement en danger la santé de la population;

8°   ordonner à une personne de respecter des directives précises pour éviter toute contagion ou contamination; 

9°   ordonner toute autre mesure qu’il estime nécessaire pour empêcher que ne s’aggrave une menace à la santé de la population, en diminuer les effets ou l’éliminer.

Malgré les dispositions du premier alinéa, le directeur de santé publique peut aussi utiliser les pouvoirs visés aux paragraphes 1° et 2° de cet alinéa comme mesure de précaution, s’il a des motifs sérieux de croire qu’il existe une menace à la santé des personnes qui fréquentent ce lieu ou cet édifice.

 

Ces pouvoirs visent à réduire les risques de propagation d’un virus comme la COVID-19 par exemple.

À ces pouvoirs, propres à l’enquête épidémiologique, le gouvernement peut décréter l’état d’urgence sanitaire. Au Québec, le gouvernement Legault en a fait l’annonce le 13 mars 2020, renouvelé le 20 mars par un nouveau décret pour une durée de dix jours additionnelle. Une fois décrété, l’état d’urgence octroie de nouveaux pouvoirs à l’État :

123. Au cours de l’état d’urgence sanitaire, malgré toute disposition contraire, le gouvernement ou le ministre, s’il a été habilité, peut, sans délai et sans formalité, pour protéger la santé de la population:

1°   ordonner la vaccination obligatoire de toute la population ou d’une certaine partie de celle-ci contre la variole ou contre une autre maladie contagieuse menaçant gravement la santé de la population et, s’il y a lieu, dresser une liste de personnes ou de groupes devant être prioritairement vaccinés;

 2°   ordonner la fermeture des établissements d’enseignement ou de tout autre lieu de rassemblement; 

3°   ordonner à toute personne, ministère ou organisme de lui communiquer ou de lui donner accès immédiatement à tout document ou à tout renseignement en sa possession, même s’il s’agit d’un renseignement personnel, d’un document ou d’un renseignement confidentiel;

4°   interdire l’accès à tout ou partie du territoire concerné ou n’en permettre l’accès qu’à certaines personnes et qu’à certaines conditions, ou ordonner, lorsqu’il n’y a pas d’autre moyen de protection, pour le temps nécessaire, l’évacuation des personnes de tout ou partie du territoire ou leur confinement et veiller, si les personnes touchées n’ont pas d’autres ressources, à leur hébergement, leur ravitaillement et leur habillement ainsi qu’à leur sécurité;

5°   ordonner la construction de tout ouvrage ou la mise en place d’installations à des fins sanitaires ou de dispensation de services de santé et de services sociaux; 

6°   requérir l’aide de tout ministère ou organisme en mesure d’assister les effectifs déployés;

7°   faire les dépenses et conclure les contrats qu’il juge nécessaires;

8°   ordonner toute autre mesure nécessaire pour protéger la santé de la population.

Le gouvernement, le ministre ou toute autre personne ne peut être poursuivi en justice pour un acte accompli de bonne foi dans l’exercice ou l’exécution de ces pouvoirs.

 

Maintenant, ces pouvoirs peuvent se manifester dans la société civile par l’action des agents de la paix devant s’assurer du respect de certaines ordonnances gouvernementales, ce qui a manifestement débuté dans les villes de Québec et Montréal, entre autres, au cours de la fin de semaine et qui ne saurait tarder à survenir sur l’ensemble du territoire québécois.

 

2 – DÉCRETS GOUVERNEMENTAUX 

La déclaration d’état d’urgence sanitaire a mené à l’adoption de certains décrets imposant des ordonnances précises reliés aux pouvoirs prévus aux articles 106 et 123, notamment par la fermeture :

  • des bars, de discothèques et certains restaurants de type buffet ou cabane à sucre ;
  • de lieux à des fins culturelles, sportives, éducatives, de loisirs ou de divertissement ;
  • des services de garde, de garderie ou des centres de petite enfance (CPE) (exceptés ceux pour les parents exerçant des fonctions en lien avec les services essentiels);
  • des autres lieux d’enseignement ;
  • des centres commerciaux

À cela s’ajoute l’interdiction de tout rassemblement intérieur ou extérieur. L’ensemble de ces mesures entraine une obligation légale de les respecter pour les citoyens. D’ailleurs, la Loi sur la Santé publique prévoit des sanctions pénales en cas de contravention aux décrets gouvernementaux.

139.Commet une infraction et est passible d’une amende de 1 000 $ à 6 000 $ quiconque, dans le cadre de l’application du chapitre XI, entrave ou gêne le ministre, le directeur national de santé publique, un directeur de santé publique ou une personne autorisée à agir en leur nom, refuse d’obéir à un ordre que l’un d’eux est en droit de donner, refuse de donner accès ou de communiquer un renseignement ou un document que l’un d’eux est en droit d’exiger ou cache ou détruit un document ou toute autre chose utile à l’exercice de leurs fonctions.

141. Commet une infraction quiconque aide ou, par un encouragement, un conseil, un consentement, une autorisation ou un ordre, amène une autre personne à commettre une infraction visée par la présente loi.

 Une personne déclarée coupable en vertu du présent article est passible de la même peine que celle prévue pour l’infraction qu’elle a aidé ou amené à commettre.

 142. En cas de récidive, les minima et maxima des amendes prévues par la présente loi sont portés au double.

 

3 – RÔLE DU POLICIER

Si le rôle de l’agent de la paix n’est pas directement prévu, il découle de son pouvoir général de faire appliquer la loi. En ce sens, les policiers peuvent se référer au Code de procédure pénale (C.P.P.) afin d’identifier leur pouvoir d’intervention en lien avec la COVID-19 et la Loi sur la Santé publique.

Les articles 72 à 75 C.P.P. représentent l’assise légale de toute intervention policière et peuvent conséquemment être utilisés en vue de sanctionner les contraventions aux ordonnances de la COVID-19.

72. L’agent de la paix qui a des motifs raisonnables de croire qu’une personne a commis une infraction peut exiger qu’elle lui déclare ses nom et adresse, s’il ne les connaît pas, afin que soit dressé un constat d’infraction.

L’agent qui a des motifs raisonnables de croire que cette personne ne lui a pas déclaré ses véritables nom et adresse peut, en outre, exiger qu’elle lui fournisse des renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude.

73. Une personne peut refuser de déclarer ses nom et adresse ou de fournir des renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude tant qu’elle n’est pas informée de l’infraction alléguée contre elle.

 74. L’agent de la paix peut arrêter sans mandat la personne informée de l’infraction alléguée contre elle qui, lorsqu’il l’exige, ne lui déclare pas ou refuse de lui déclarer ses nom et adresse ou qui ne lui fournit pas les renseignements permettant d’en confirmer l’exactitude.

La personne ainsi arrêtée doit être mise en liberté par celui qui la détient dès qu’elle a déclaré ses nom et adresse ou dès qu’il y a confirmation de leur exactitude.

75. L’agent de la paix qui constate qu’une personne est en train de commettre une infraction peut l’arrêter sans mandat si l’arrestation est le seul moyen raisonnable à sa disposition pour mettre un terme à la perpétration de l’infraction.

La personne ainsi arrêtée doit être mise en liberté par celui qui la détient dès que celui-ci a des motifs raisonnables de croire que sa détention n’est plus nécessaire pour empêcher la reprise ou la continuation, dans l’immédiat, de l’infraction.

 

Le policier dispose donc d’un outil pénal pour faire respecter la Loi sur la Sécurité publique et ultimement, d’un pouvoir d’arrestation afin de faire cesser l’infraction. Certes, le policier devant agir possède les pouvoirs nécessaires à son intervention, mais encore faut-il comprendre que les policiers devront se buter à l’incompréhension plutôt qu’à la malveillance. La frontière imaginaire demeure bien mince entre le respect des droits individuels et la mise en place de mesures propres à la collectivité.

Les agents de la paix seront appelés, dans les prochaines semaines, à intervenir pour aider la direction de la santé publique à atteindre son objectif d’aplanir la courbe de contagion et limiter au maximum la propagation du virus. Les avertissements, amendes et arrestations en lien avec la COVID-19 pourraient augmenter en corrélation directe avec l’imposition de nouvelles restrictions émises par le gouvernement.

.