De nombreux travailleurs ont été touchés de près ou de loin par la pandémie qui sévit actuellement. Notamment, certains travailleurs, soit ceux plus à risque de décéder de complications liées à la COVID-19 ont exercé leur droit au retrait préventif.
L’article 32 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après la « LSST ») codifie le droit au retrait préventif « général » dans les termes qui suivent :
Un travailleur qui fournit à l’employeur un certificat attestant que son exposition à un contaminant comporte pour lui des dangers, eu égard au fait que sa santé présente des signes d’altération, peut demander d’être affecté à des tâches ne comportant pas une telle exposition et qu’il est raisonnablement en mesure d’accomplir, jusqu’à ce que son état de santé lui permette de réintégrer ses fonctions antérieures et que les conditions de son travail soient conformes aux normes établies par règlement pour ce contaminant.
Selon notre expérience récente et à la lumière de nos interactions avec divers conseillers syndicaux, plusieurs travailleurs vulnérables au coronavirus ont transmis des réclamations à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après la « CNESST ») pour bénéficier de ce programme. À notre connaissance, la CNESST a refusé plusieurs de ces demandes au motif que le travailleur n’a pas démontré que son état de santé présente des signes d’altération.
La première décision traitant de l’application du retrait préventif général dans le cadre de la pandémie actuelle a été rendue par le Tribunal administratif du travail (ci-après le « TAT») le 4 février dernier.
Décision : Arnaud Cinq-Mars et C.T.A.Q. (Cette décision est disponible sur demande).
Les faits :
- Arnaud Cinq-Mars (ci-après le « travailleur ») est paramédic;
- Il est atteint d’une maladie de Crohn, laquelle est traitée par une médication le rendant immunomodulé, ce qui signifie que son système immunitaire est affecté et diminué;
- Le travailleur consulte des médecins, soit un gastroentérologue ainsi que son médecin de famille, en lien avec la pandémie et son état de santé;
- Ces médecins rédigent des certificats médicaux prescrivant au travailleur de suivre les recommandations de l’Institut national de santé publique du Québec (ci-après l’« INSPQ »). En raison de sa condition médicale, il doit être affecté à des tâches ne comportant pas de danger d’exposition au coronavirus;
- L’employeur n’est pas en mesure de lui fournir des tâches exemptes de ce danger lors de certaines périodes;
- Le travailleur produit une réclamation à la CNESST afin d’exercer son droit à un retrait préventif en vertu de la LSST;
- La CNESST refuse sa réclamation au motif qu’il n’a pas démontré que son état de santé présente des signes d’altération et refuse de lui verser les indemnités de remplacement du revenu.
D’abord, le TAT rappelle d’abord que l’objectif de la LSST est l’élimination à la source des dangers pour la santé, la sécurité et l’intégrité physique du travailleur et des causes d’accidents du travail et de maladies professionnelles[1].
Par la suite, dans son analyse de la réclamation du travailleur, le TAT décide que le micro-organisme coronavirus SARS-CoV-2, qui cause la COVID-19 une fois contracté, constitue un contaminant.
Quant au critère du « danger lié à l’exposition », le TAT réitère que la preuve doit démontrer que :
Le risque est bien réel malgré les efforts faits pour le contrôler ou l’éliminer,
qu’il demeure présent et
qu’il peut ainsi entraîner des conséquences néfastes pour le travailleur[2].
En l’espèce, le TAT décide qu’il y a présence d’un danger pour ce travailleur, notamment puisque « la santé publique reconnaît la nécessitée de retirer de leur affectation les travailleurs atteints d’une maladie chronique quant à leur exposition au coronavirus SARS-CoV-2 et aux conséquences liées à une infection »[3].
En ce qui concerne l’analyse du dernier critère, soit l’« altération de l’état de santé», l’avis du TAT diffère de celui de la CNESST. Il indique que :
Afin de bénéficier d’un retrait préventif lié à l’exposition d’un contaminant, les signes d’altération de l’état de santé du travailleur se doivent d’être évalués selon une altération personnelle de son état de santé et en raison des dangers que comporte son exposition au contaminant sur les lieux de son travail eu égard à cette altération. Il n’a donc pas à démontrer que le contaminant altère son état de santé puisqu’une telle interprétation dénature cette disposition de la Loi tout en la rendant inapplicable dans un contexte de prévention des lésions professionnelles.
En évaluant le travail de paramédic, le TAT conclut que les interventions préhospitalières exigent une proximité avec le patient et de ce fait, dans le cadre de son travail, la distanciation sociale telle que déterminée par l’INSPQ ne peut être respectée.
Au final, le TAT mentionne que le risque d’exposition au contaminant est bien réel et constitue un danger pouvant entraîner des conséquences graves, pour le travailleur puisque ce dernier est immunomodulé. Il affirme :
Cette condition représente en effet un risque accru de développer des infections des voies respiratoires supérieures. Elle peut même être la cause d’une grave réaction de son système immunitaire s’il contracte le coronavirus SARS-CoV-2 et développe la COVID-19[4] Or, il a droit au retrait préventif prévu à la LSST et au versement de l’indemnité de remplacement du revenu pour les périodes où l’employeur ne peut lui attribuer des tâches qui ne comportent pas d’exposition à ce contaminant.
Finalement, bien que le TAT ait spécifiquement mentionné que sa décision vise la situation individualisée du travailleur et qu’elle ne doit donc pas recevoir une application mutatis mutandis envers tous les techniciens-ambulanciers, le personnel médical ou l’ensemble des travailleurs, peu importe le secteur[5], nous sommes d’avis que ce jugement est d’une grande importance. À notre avis, le TAT a encadré, dans le contexte de la crise sanitaire, la signification du troisième critère prévu par la Loi, soit «l’altération de l’état de santé du travailleur». Il s’évalue en fonction d’une «altération personnelle» de l’état de santé du travailleur et des dangers que comporte son exposition au contaminant. Le travailleur n’a donc pas à démontrer que le contaminant altère son état de santé puisque cela signifierait qu’il a contracté le virus, ce qui viderait la LSST de tout son sens.
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[1] Dionne c. Commission scolaire des patriotes, 2014 CSC 33
[2] Commission scolaire des Monts-et-Marées et Lévesque, 2019 QCTAT 2264; M…H… et Compagnie A, 2019 QCTAT, 2488.
[3] Par 67 de la décision.
[4] Par 68 de la décision
[5] Par 15 de la décision
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