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La pénalisation du droit disciplinaire : une avenue souhaitable ?

 PAR ME LYLIA BENABID ET ME GENESIS R. DIAZ

 

 

Le droit disciplinaire diverge du droit criminel. Cependant, certains principes de droit criminel relatifs à la sanction sont applicables en droit disciplinaire.

 

1) Les grands principes liés à la sanction en contexte disciplinaire

 

Les grands principes relatifs à la sanction en droit disciplinaire sont résumés dans l’arrêt Pigeon c. Daigneault [1] :

« [38] La sanction disciplinaire doit permettre d’atteindre les objectifs suivants:  au premier chef la protection du public, puis la dissuasion du professionnel de récidiver, l’exemplarité à l’égard des autres membres de la profession qui pourraient être tentés de poser des gestes semblables et enfin, le droit par le professionnel visé d’exercer sa profession […].

[39] Le Comité de discipline impose la sanction après avoir pris en compte tous les facteurs, objectifs et subjectifs, propres au dossier. Parmi les facteurs objectifs, il faut voir si le public est affecté par les gestes posés par le professionnel, si l’infraction retenue contre le professionnel a un lien avec l’exercice de la profession, si le geste posé constitue un acte isolé ou un geste répétitif, … Parmi les facteurs subjectifs, il faut tenir compte de l’expérience, du passé disciplinaire et de l’âge du professionnel, de même que sa volonté de corriger son comportement. La délicate tâche du Comité de discipline consiste donc à décider d’une sanction qui tienne compte à la fois des principes applicables en matière de droit disciplinaire et de toutes les circonstances, aggravantes et atténuantes, de l’affaire.

L’objectif premier du droit disciplinaire n’est pas de punir le professionnel, mais bien de protéger le public et de redresser le comportement d’un professionnel afin d’éviter la répétition d’un comportement qui porte préjudice à la confiance du public envers la profession.

Le droit disciplinaire est un droit qui emprunte tantôt au doit criminel et tantôt au droit civil : il se caractérise par ses propres règles et principes qui le distinguent des domaines de droit dont il est inspiré. En particulier, voici comment diffère les notions de sanction en droit criminel et en droit disciplinaire[2].

En droit criminel, en sus de protéger la société, la sanction remplit un ou plusieurs des objectifs suivants (art. 718 Code criminel) :

En droit disciplinaire, la sanction vise à remplir un ou plusieurs des objectifs suivants :

 

a)  dénoncer le comportement illégal;

b) dissuader les délinquants, et quiconque, de commettre des infractions;

c) isoler, au besoin, les délinquants du reste de la société;

d) favoriser la réinsertion sociale des délinquants;

e) assurer la réparation des torts causés aux victimes ou à la collectivité;

f) susciter la conscience de leur responsabilité chez les délinquants, notamment par la reconnaissance du tort qu’ils ont causé aux victimes et à la collectivité.

a)   protéger le public;

b) dissuader le professionnel de recommencer;

c) décourager les autres d’agir de la même façon;

d) maintenir le bon renom de la profession;

e) écarter quelqu’un qui serait incapable de bien servir l’intérêt public;

f) préserver la confiance du public;

g) punir;

h) ou encore réhabiliter le professionnel.

 

Bien que la sanction vienne remplir des objectifs différents en droit disciplinaire et en droit criminel, elle doit obéir à certains principes du droit criminel, lorsqu’elle est déterminée en contexte disciplinaire. En particulier, la sanction doit être appropriée, juste et proportionnée à la faute[3].

Ainsi, la sanction imposée doit revêtir un caractère de justesse et de convenance eu égard aux faits prouvés et à la gravité des manquements déontologiques[4].

Dans l’arrêt R. c. Wigglesworth[5], la Cour suprême considère que l’article 11 de la Charte canadienne des droits et libertés (protections accordées aux personnes inculpées) ne s’applique pas aux procédures disciplinaires engagées par la Gendarmerie Royale canadienne qui sont de nature protectrice et destinées à maintenir la discipline au sein du corps de police. Selon la Cour suprême, ce type d’affaire n’emporte pas une véritable conséquence de nature pénale, à moins qu’elle mène à l’emprisonnement ou que l’amende imposée soit si importante qu’elle « semblerait imposée dans le but de réparer le tort causé à la société en général plutôt que pour maintenir la discipline ». La Cour suprême limite ce dernier cas à celui où l’organisme détient un « pouvoir illimité » d’imposer des amendes.

Ce bref résumé des principes applicables en matière de sanction confirme que le calque des principes du droit criminel en droit disciplinaire n’est pas possible, ni souhaitable.

Par exemple, la réhabilitation n’a pas la même importance dans les deux contextes considérant qu’il est primordial de considérer la réinsertion sociale des délinquants lorsque l’on impose une peine, alors que le fait d’exercer une profession est davantage perçu comme un privilège qu’un droit.

Par ailleurs, la sanction disciplinaire n’a pas vocation à punir le professionnel mais plutôt de protéger le public.

Cependant, une tendance à la « pénalisation » du droit disciplinaire est dénoncée au sein des spécialistes du droit professionnel, notamment par l’imposition de sanctions minimales. Qu’en-est-il? Nous aborderons cette question à la section suivante.

 

2) Les peines minimales en droit disciplinaire

Il n’existe que peu de cas où des sanctions minimales sont prévues en droit disciplinaire, soient les infractions à caractère sexuel, les infractions d’appropriation ou d’utilisation illégale des sommes confiées et l’exercice illégal d’une profession.

L’article 156 du Code des professions prévoit une amende minimale (2500$) comme sanction applicable à une infraction disciplinaire[6], mais l’amende est une des sanctions que le conseil de discipline peut imposer au professionnel[7]. Les sanctions varient de la réprimande à la radiation définitive.

Selon les termes de l’alinéa 3 de l’article 156 du Code des professions[8], le professionnel trouvé coupable de s’être approprié sans droit des sommes d’argent ou autres valeurs détenues pour le compte d’un client ou d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession se verra imposer minimalement une radiation temporaire. Le professionnel pourrait aussi devoir remettre les sommes qu’il s’est illégalement appropriées à la personne à qui elles reviennent[9].

De plus, dans le cas de l’exercice illégal d’une profession, des dispositions pénales imposant des sanctions minimales sont prévues aux articles 188 et ss. du Code des professions pour les personnes qui posent des actes qui ne sont pas permis par leurs ordres ou qui prétendent faire partie d’un ordre ou d’une profession à titre réservé.

Mis à part ces exceptions, le comité a la discrétion d’imposer la sanction qu’il juge la plus appropriée dans les circonstances et d’imposer plusieurs sanctions, s’il le juge approprié.

De plus, lorsque le professionnel est déclaré coupable d’avoir posé un geste dérogatoire à l’article 59.1 du Code des professions, soit une infraction à caractère sexuel[10], le conseil de discipline n’aura le choix d’imposer la sanction suivante :

« Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’avoir posé un acte dérogatoire visé à l’article 59.1 ou un acte de même nature prévu au code de déontologie des membres de l’ordre professionnel, au moins les sanctions suivantes:

a) conformément au paragraphe b du premier alinéa, une radiation d’au moins cinq ans, sauf s’il convainc le conseil qu’une radiation d’une durée moindre serait justifiée dans les circonstances;

bune amende, conformément au paragraphe c du premier alinéa.[11]»

Plus particulièrement, en ce qui concerne les sanctions minimales en matière d’inconduite sexuelle, un renversement du fardeau de preuve opère et ce sera au professionnel de démontrer qu’une période de radiation de cinq ans serait excessive dans les circonstances particulières du dossier[12]. Selon la doctrine, cette possibilité établie par le législateur existe afin de :

« tenir compte des situations qui ne méritent peut être pas l’imposition de la sanction minimale maintenant prévue par la loi. Il a également considéré les assises de la sanction disciplinaire, ainsi que son objectif principal, soit de protéger le public par la correction d’un comportement fautif et non pas par la punition.

Puisque l’article 59.1 C. prof. vise tous les gestes et propos de nature sexuelle, ainsi que tous les professionnels, toutes catégories confondues, il est clair que le législateur, en prévoyant l’exception formulée à l’article 156, a voulu éviter de prévoir une sanction minimale obligatoire qui pourrait sembler démesurée ou disproportionnée dans certains cas.

Il est d’ailleurs connu en droit disciplinaire qu’il n’existe pas une sanction donnée pour un geste donné. De la même manière, la sanction minimale indicative ne peut être appliquée à tous les professionnels coupables, sans distinction aucune. Ceci irait directement à l’encontre de l’esprit du droit disciplinaire, lequel commande que la sanction soit individualisée et taillée sur mesure [13]».

Ainsi, les conseils de discipline se sentent plus ou moins liés par le nouveau libellé de l’article 156 du Code des professions : certains y voient l’introduction d’une sanction obligatoire en matière d’inconduite sexuelle, à moins d’exception, d’autres perçoivent les nouvelles sanctions comme un point de départ et d’autres y voient plutôt une nouvelle procédure applicable selon laquelle le professionnel assume un fardeau de conviction[14]. Contrairement au Code criminel qui prévoit des seuils de peines, sans la possibilité d’imposer des peines moindres, l’article 156 du Code des professions réfère à un seuil qui n’est pas obligatoire, car il y a la possibilité de convaincre le Conseil autrement[15]. La seule alternative que possède un délinquant en droit criminel pour qu’un tribunal lui impose une peine moindre, est celle de prouver que la peine minimale décrétée par le législateur en est une qui est cruelle et inusitée pour lui, et contraire à l’article 12 de la Charte Canadienne des droits et libertés. Il s’agit d’un fardeau très important.

Par ailleurs, selon les termes de l’article 161.0.1 du Code des professions, un professionnel radié à la suite d’une inconduite sexuelle doit requérir l’avis du Conseil de discipline pour être réinscrit au Tableau de son ordre professionnel. Ce changement législatif entré en vigueur en 2017 vient renforcer le message du législateur d’une tolérance zéro à l’égard des violences sexuelles[16].

CONCLUSION

Le droit disciplinaire répond à ses propres principes et critères en matière de sanction, notamment celui de l’individualisation, bien qu’elle emprunte au droit criminel les principes relatifs à la portée proportionnelle, juste et raisonnable de la sanction imposée.

Des sanctions minimales sont prévues dans des cas extrêmement rares et exceptionnels d’infractions d’appropriation ou d’utilisation illégale de sommes confiées et dans le cas de la perpétration d’infractions à caractère sexuel. Dans ce dernier cas, le professionnel peut convaincre le conseil de discipline de ne pas imposer une radiation aussi longue que ce qui est prévu à l’article 156 du Code des professions.

Bien que l’effet d’une sanction soit toujours perçu comme punitive par le professionnel, cet aspect de la sanction disciplinaire n’est pas l’objectif premier de celle-ci qui repose davantage sur la protection du public, l’effet dissuasif sur le professionnel de répéter un tel comportement ou sur les autres professionnels qui seraient tenter d’imiter un tel comportement et la préservation de la confiance du public à l’égard de la profession.

 

 


[1] Pigeon c. Daigneault, 2003 CanLII 32934 (QC CA) <https://canlii.ca/t/7cxr>.

[2] Voir Pierre Bernard, La sanction en droit disciplinaire : quelques réflexions dans Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, 2004, vol. 206, Éditions Yvon Blais, disponible au lien suivant.

[3] À cet effet, voir TRIBUNAL — PHARMACIENS — 1 (T.P., 1976-04-14), SOQUIJ AZ-76041110, [1976] D.D.C.P. 223.

[4] À cet effet, voir Frenette c. Opticiens d’ordonnances (Corp. professionnelle des), (T.P., 1993-11-23), SOQUIJ AZ-94041020, D.D.E. 94D-23, [1994] D.D.C.P. 301.

[5] R. c. Wigglesworth, 1987 CanLII 41 (CSC), [1987] 2 RCS 541, <https://canlii.ca/t/1ftkn>.

[6] Art. 156 du Code des professions, RLRQ, chap. C-26 : Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable d’une infraction visée à l’article 116, une ou plusieurs des sanctions suivantes sur chacun des chefs contenus dans la plainte:

a) la réprimande;

b) la radiation temporaire ou permanente du tableau, même si depuis la date de l’infraction il a cessé d’y être inscrit;

c) une amende d’au moins 2 500 $ et d’au plus 62 500 $ pour chaque infraction;

d) l’obligation de remettre à toute personne à qui elle revient une somme d’argent que le professionnel détient ou devrait détenir pour elle;

d.1)   l’obligation de communiquer un document ou tout renseignement qui y est contenu, et l’obligation de compléter, de supprimer, de mettre à jour ou de rectifier un tel document ou renseignement;

e) la révocation du permis;

f) la révocation du certificat de spécialiste;

g) la limitation ou la suspension du droit d’exercer des activités professionnelles.

[…]

[7] Sébastien Tisserand, « Existe-t-il vraiment une amende minimale en droit disciplinaire? », Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, 2019, vol. 458, Éditions Yvon Blais, disponible au lien suivant.

[8] Art. 156, al. 3 du Code des professions : « Le conseil de discipline impose au professionnel déclaré coupable de s’être approprié sans droit des sommes d’argent et autres valeurs qu’il détient pour le compte de tout client ou déclaré coupable d’avoir utilisé des sommes d’argent et autres valeurs à des fins autres que celles pour lesquelles elles lui avaient été remises dans l’exercice de sa profession, au moins la radiation temporaire conformément au paragraphe b du premier alinéa ».

[9] Sylvie Poirier, La discipline professionnelle au Québec, principes législatifs, jurisprudentiels et aspects pratiques, 1998, Éditions Yvon Blais à la p. 170.

[10] Art. 59.1 du Code des professions : « Constitue un acte dérogatoire à la dignité de sa profession le fait pour un professionnel, pendant la durée de la relation professionnelle qui s’établit avec la personne à qui il fournit des services, d’abuser de cette relation pour avoir avec elle des relations sexuelles, de poser des gestes abusifs à caractère sexuel ou de tenir des propos abusifs à caractère sexuel. »

[11] Art. 156, al. 2 du Code des professions.

[12] Leslie Azer et Rachel Rioux-Risi, « Tolérance zéro en matière d’inconduite sexuelle chez les professionnels : où en sommes-nous depuis l’entrée en vigueur de la Loi 11 ? », Développements récents en déontologie, droit professionnel et disciplinaire, 2019, vol. 458, Éditions Yvon Blais, disponible au lien suivant.

[13] Ibid.

[14] Ibid à la p. 12.

[15] Psychoéducateurs et psychoéducatrices (Ordre professionnel des) c. Fluet, 2019 CanLII 8547 (QC CDPPQ), <https://canlii.ca/t/hxds9> au para. 57.

[16] Nicolas Le Grand Alary et Fanie Pelletier, « Le droit disciplinaire à l’ère du mouvement #MoiAussi (#MeToo), Revue du Barreau, Revue du Barreau, 2019, Éditions Yvon Blais.