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L’utilisation du temps supplémentaire obligatoire (TSO) et l’abus du droit de direction

Le 26 mars 2024

 

PAR ME LYLIA BENABID

 

Est-ce que l’arbitre qui a conclu que le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval avait exercé son droit de direction de manière abusive en utilisant les heures supplémentaires obligatoires de façon systématique pour combler les besoins de personnel au service de néonatalogie d’un centre hospitalier a pris une décision raisonnable ?

 

Dans la décision Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval c. Blouin, 2024 QCCS 528, la Cour supérieure détermine que l’arbitre de griefs a rendu une décision raisonnable en concluant que le Centre intégré de santé et de services sociaux de Laval (l’employeur) avait exercé son droit de direction de manière abusive en utilisant les heures supplémentaires obligatoires de façon systématique pour combler les besoins de personnel au service de néonatalogie d’un centre hospitalier.

Dans cette affaire, le Syndicat des infirmières, inhalothérapeutes et infirmières auxiliaires de Laval avait contesté l’utilisation systématique du temps supplémentaire obligatoire (TSO) pour combler les besoins de personnel. D’une part, le syndicat avait plaidé que cette pratique, en raison de son caractère systématique, est déraisonnable et abusive et elle contrevient à la convention collective, ainsi qu’à la Loi sur les normes du travail. Par ailleurs, l’imposition de temps supplémentaire met en péril la santé, la sécurité et le bien être des membres du syndicat et du public en tant que bénéficiaires des services de santé prodigués dans de telles conditions.

Dans ce contrôle judiciaire de la décision arbitrale, l’employeur ne parvient pas à démontrer que les conclusions de l’arbitre reposent sur un raisonnement intrinsèquement incohérent et injustifié. De plus, l’arbitre n’a pas excédé sa compétence en imposant des obligations et des contraintes à l’employeur qui n’existent pas dans la loi ou la convention collective. Finalement, l’argument selon lequel l’arbitre a tranché l’impasse par sympathie n’est pas retenu.

La Cour rappelle qu’en matière de TSO, deux courants jurisprudentiels s’opposent. D’une part, la jurisprudence arbitrale est à l’effet qu’en l’absence de disposition portant sur le TSO dans la convention collective, il faudrait conclure que le temps supplémentaire ne peut être exercé que sur une base volontaire puisque décider autrement viendrait imposer aux salariés une obligation qui n’a pas été négociée (para. 27).

D’autre part, la jurisprudence majoritaire est à l’effet que la théorie des droits résiduaires en matière de gestion autorise, en cas de silence de la convention collective, l’employeur à contraindre un salarié à exécuter du travail, incluant des heures supplémentaires, sans égard à son consentement, à moins que ce dernier ne dispose de la faculté de refuser en vertu d’une autre source de droit. Notamment, les sources de droit qui permettent à une infirmière de refuser du TSO sont le Code de déontologie des infirmières et infirmiers qui prévoit le devoir de s’abstenir d’exercer sa profession si le professionnel est dans un état susceptible de compromettre la qualité des services, le droit à des conditions de travail justes et raisonnables selon la Charte des droits et libertés de la personne, le Code civil du Québec et la Loi sur la santé et la sécurité au travail, ainsi que le droit de refuser de travailler au-delà de ses heures habituelles selon certains barèmes prévus à la Loi sur les normes du travail (voir en particulier l’article 59.0.1).

Considérant le silence de la convention collective, l’arbitre a adhéré, en l’espèce, au deuxième courant qui reconnaît à l’employeur le droit d’imposer du TSO tout en respectant l’ensemble du cadre législatif applicable et l’obligation implicite d’exercer son droit de gestion de bonne foi. Ainsi, au fil du temps, les tribunaux ont reconnu que l’imposition du TSO dans le milieu de la santé pouvait constituer, selon les circonstances, un exercice abusif du droit de gérance.

Selon la preuve soumise, l’arbitre conclut que l’employeur ne fait pas usage du TSO en dernier recours, dans des circonstances ponctuelles et exceptionnelles, mais en fait plutôt un usage habituel et constant depuis au moins trois ans. Cette pratique est devenue un mode de gestion.

La Cour supérieure conclut que le cadre juridique appliqué par l’arbitre prend appui dans la jurisprudence, que sa décision est tributaire des faits qui lui ont été soumis et que ses conclusions font partie des issues raisonnables.

Le pourvoi en contrôle judiciaire est rejeté et la sentence arbitrale maintenue.