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Nos criminalistes résument l'affaire Deslauriers récemment rendue par la Cour d'appel

Me Denis Gallant, Ad.E.

Me Kim Simard

 

Deslauriers c. R., 500-10-006539-173 (arrêt rendu le 26 mars 2020, disponible sur demande)

Le 26 mars dernier, la Cour d’appel du Québec rendait un arrêt fort attendu dans le milieu policier, soit l’appel du sergent Éric Deslauriers de la Sûreté du Québec d’une décision le déclarant coupable d’homicide involontaire par acte illégal, soit d’avoir intentionnellement déchargé son arme à feu sans se soucier de la vie ou de la sécurité d’autrui et de négligence criminelle causant la mort.

Les évènements tragiques ayant donné lieu aux accusations se sont produits au mois de janvier 2014, lorsque le sergent Deslauriers, dans l’exercice de ses fonctions, est sur le point d’intercepter le conducteur d’un véhicule volé à Sainte-Adèle. Après avoir localisé le véhicule volé, le sergent Deslauriers est sorti de son véhicule de patrouille afin d’intercepter le jeune conducteur avec son arme de service pointée vers le sol à un angle de 45 degrés. Le conducteur fait vrombir son moteur à trois ou quatres reprises en fixant le sergent Deslauriers d’un air narquois. Le sergent s’approche ensuite du véhicule après avoir sommé son conducteur de montrer ses mains, ce dernier s’exécutant de manière équivoque. Alors que le sergent Deslauriers se trouve à une quinzaine de pieds du véhicule, le conducteur appuie à fond sur l’accélérateur en sa direction. Craignant pour sa vie, le sergent fait feu en sa direction à deux reprises. Le deuxième coup de feu s’est avéré mortel pour le conducteur.

A) Le jugement de la majorité

Avant d’entreprendre son analyse des moyens d’appel, le juge Chamberland revient sur l’intention criminelle requise pour les infractions d’homicide involontaire coupable en ayant déchargé intentionnellement une arme à feu et de négligence criminelle causant la mort. Le juge Chamberland laisse en suspens la question de savoir si l’insouciance comme forme d’intention requise revêt une composante objective, comme le plaide l’appelant. Pour le juge, cette question n’a pas à être tranchée puisque le volet objectif, soit que la conduite de l’accusé se justifie eu égard aux circonstances, sera presque toujours analysée lorsqu’il présente un moyen de défense fondé sur la légitime défense ou sur l’emploi nécessaire de la force dans l’application de la loi. Il faudra attendre à un autre moment pour avoir une réponse claire de la Cour à ce sujet.

Sur l’infraction de négligence criminelle, la Cour rappelle que l’intention requise exige la preuve que le comportement de l’accusé constitue un écart marqué et important par rapport à celui qu’aurait adopté une personne raisonnable. Il est intéressant de noter qu’il s’agit ici du premier cas d’application par notre Cour d’appel des enseignements de la Cour suprême dans l’arrêt Javanmardi à un policier faisant l’objet d’accusations de négligence dans l’exercice de ses fonctions. Dans ce cas, le juge Chamberland est catégorique à l’effet que la norme applicable aux infractions de négligence est celle du policier raisonnable placé dans les mêmes circonstances. Finalement, le juge Chamberland fait la revue des deux moyens de défense présentés par le sergent Deslauriers à son procès, soit la légitime défense et l’emploi nécessaire de la force dans l’application de la loi.

Sur les six moyens d’appel présentés par l’appelant, la majorité de la Cour en retient trois qui commandent la tenue d’un nouveau procès.

i)La divulgation de la preuve relative au comportement du conducteur

Le juge Chamberland détermine que la juge de première instance a erré en droit en refusant la divulgation de documents en lien avec trois enquêtes criminelles impliquant le conducteur (introduction par effraction dans un commerce en avril 2013, homicide en février 2012 et vol en octobre 2012. Ces documents satisfont au premier test de l’arrêt O’Connor, puisqu’ils sont vraisemblablement pertinents pour démontrer que le conducteur avait une propension à la violence (ou à l’insubordination).

ii) L’appréciation de la preuve

Le juge Chamberland estime que la juge de première instance a tiré des conclusions de fait déraisonnables qui sont incompatibles avec la preuve. Par exemple, sur la question cruciale de savoir à quel moment l’appelant a mis le conducteur en joue ou, encore, celle de savoir si le véhicule fonce sur lui, ou non.

iii)La preuve d’expert

Lors de son procès, l’appelant a témoigné et a fait entendre deux témoins experts : un expert en reconstitution ainsi que monsieur Bruno Poulin, expert en emploi de la force et en intervention policière de l’École nationale de police du Québec (ENPQ).

Au terme de son témoignage, l’expert Poulin a donné son opinion à l’effet que, quoi que l’intervention ne fût pas parfaite, celle-ci était conforme avec l’enseignement prodigué par l’ENPQ.

La juge de première instance n’a pas retenu les conclusions de l’expert Poulin au motif d’absence de pertinence dans le contexte d’une poursuite criminelle et de partialité. Selon la juge Roy, le document « Modèle national de l’emploi de la force », émanant de l’ENPQ a « très peu de valeur probante »[1]. Enfin, la juge considère que « la finale de l’interrogatoire principal [de l’expert] se veut d’un biais étonnant et sans limites »[2].

Contrairement à la juge de première instance, le juge Chamberland est d’avis que l’expertise de M. Poulin en matière d’emploi de la force et d’intervention policière s’avérait, en l’espèce, pertinente et nécessaire afin de déterminer si le geste ou l’omission de l’accusé constituait un écart marqué et important par rapport à la norme de diligence que respecterait une personne raisonnable, donc un policier placé dans la même situation que lui.  Pour le juge de la Cour d’appel, la juge de première instance « devait être éclairée quant au degré de force qui doit être utilisé lors d’une intervention policière en fonction des enseignements prodigués en cette matière dans les écoles de police ».[3]

De plus, le juge Chamberland est d’avis que la preuve de l’expert Poulin était tout aussi pertinente quant à l’applicabilité des moyens de défenses codifiées aux articles 25 (emploi de la force par un agent de la paix) et 34 du Code criminel (légitime défense). Ces dispositions exigent d’examiner si le sergent Deslauriers, lors de l’intervention, avait des motifs raisonnables d’utiliser son arme à feu et si, dans le contexte, l’emploi de cette force potentiellement létale était justifié. Tout en rappelant que le juge des faits n’est pas lié par l’opinion d’un expert, le juge Chamberland est d’avis que « de savoir ce que l’on enseignait aux policiers en matière d’emploi de la force et, de manière plus pointue encore, de connaître l’opinion de l’expert en ce qui a trait à la conduite de l’accusé par rapport à ces enseignements à chaque étape de l’intervention »[4], était pertinent en l’espèce.

Le juge Chamberland est totalement en désaccord avec la juge du procès sur la prétendue partialité de l’expert Poulin. Les experts ont l’obligation envers le tribunal de donner un témoignage d’opinion qui soit juste, objectif et impartial. Énonçant un principe juridique bien établi, le juge Chamberland rappelle que pour qu’un juge rejette le témoignage d’un expert pour cause de partialité, « il faut plus qu’une simple apparence de partialité. Il faut un motif qui justifierait le juge de conclure que l’expert ne peut pas, ou ne veut pas, s’acquitter de son obligation d’aider le tribunal [5]». De l’avis du juge de la Cour d’appel, ce n’était absolument pas le cas en l’espèce.

Le rejet du témoignage de l’expert Poulin, « n’est fort probablement pas sans conséquence et cette erreur justifie la tenue d’un nouveau procès sur ce moyen d’appel également »[6].

Accueillant l’appel du sergent Deslauriers sur ces trois motifs, le juge Chamberland avec l’assentiment de son collègue le juge Mark Schrager, ordonne de retourner le dossier à la Cour du Québec pour la tenue d’un nouveau procès sur les deux chefs d’accusation.

B)La dissidence

De son côté, la juge Nicole Duval Hesler, estime non fondés les trois moyens d’appel accueillis par ses collègues de la majorité. Pour la juge en chef, le jugement de première instance étant exempt d’erreur et l’ordonnance d’un nouveau procès n’est pas justifiée en l’espèce.

i)La divulgation de la preuve

La juge en chef est d’avis que la juge de première instance a correctement appliqué les principes de l’arrêt O’Connor, puisqu’elle était la mieux placée pour évaluer le critère de la pertinence probable et estime « qu’il n’existe aucune possibilité que les dossiers réclamés par l’appelant aient pu aider sa défense, sauf en colorant les faits ».[7]

ii)L’appréciation de la preuve

Rappelant les enseignements de la Cour suprême du Canada à l’effet que les cours d’appel ne peuvent pas modifier les inférences et conclusions de fait du juge du procès, à moins qu’elles soient manifestement erronées, non étayées par la preuve ou par ailleurs déraisonnables, la juge en chef rejette ce motif d’appel. À son avis, l’analyse factuelle de la juge de première instance ne recèle aucune erreur évidente et déterminante qui aurait pu rendre le verdict déraisonnable. Au contraire, la juge Duval Hesler considère que le verdict de culpabilité rendu en l’espèce était raisonnable vu l’ensemble de la preuve.

iii) La preuve d’expert

Selon la juge en chef, Il ressort des motifs que même si le contenu du témoignage de M. Poulin avait été pertinent, elle ne lui accordait qu’une très faible valeur probante. Elle conclut « qu’en l’absence d’une erreur manifeste et déterminante, cette conclusion mérite déférence puisqu’elle relève de l’exercice discrétionnaire de la juge d’instance »[8]. La question du caractère raisonnable de l’utilisation de la force qui a tué la victime « ne relevait pas de la compétence de l’expert, mais bien de celle de la juge d’instance qui devait la trancher conformément aux articles 25 et 34 du Code criminel »[9]. Enfin, la juge en chef ne remet aucunement en question la conclusion à l’effet que l’expert Poulin était partial en l’espèce.

Conclusion

Force est de constater que ce dossier est loin d’être terminé. En effet, la dissidence de la juge en chef donne aux procureurs du DPCP l’opportunité d’interjeter appel de plein droit devant la Cour suprême du Canada sans avoir à obtenir la permission préalable de celle-ci pour ce faire.[10] Le cas échéant, l’affaire ne sera pas entendue par la Cour suprême avant plusieurs mois, laissant ainsi le sergent Deslauriers dans une très longue période d’incertitude avant de finalement savoir s’il aura droit ou non à un nouveau procès comme l’a ordonné la Cour d’appel du Québec. Nous suivrons ce dossier avec attention.

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[1] Jugement de première instance, par. 83.

[2]  Jugement de première instance, par. 75

[3]  Motifs du juge Chamberland, par. 124

[4] Motifs du juge Chamberland, par. 122

[5] Motifs du juge Chamberland, par. 134

[6] Motifs du juge Chamberland, par. 135

[7] Motifs de la juge en chef, par. 163

[8] Motifs de la juge en chef, par. 175

[9] Motifs de la juge en chef, par. 175

[10] Art. 693 (1) a) C.cr. Lorsqu’un jugement d’une cour d’appel annule une déclaration de culpabilité, le procureur général peut interjeter appel devant la Cour suprême du Canada sur toute question de droit au sujet de laquelle un juge de la cour d’appel est dissident.