Obligation de l’employeur de motiver un refus d’affectation dans le cadre du programme Pour une maternité sans danger

19 mars 2024

Le 19 mars 2024

 

PAR ME NADER AL-KURDI

 

Dans le contexte d’une demande de retrait préventif d’une policière enceinte, la Cour supérieure rappelle que l’employeur a l’obligation de motiver sa réponse, qu’elle soit positive ou négative. Cette Cour écrit : « Que vaut un droit de la travailleuse enceinte de demander d’être réaffectée à des tâches sécuritaires, si ce droit ne donne pas ouverture à une analyse du refus de l’employeur? ».

 

Dans l’affaire Ouellet c. Tribunal administratif du Travail, 2024 QCCS 621 (j.c.s. Nancy Bonsaint – 29 février 2024), la demanderesse demande à la Cour supérieure le contrôle judiciaire d’une décision du Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») qui déclare irrecevable une plainte qu’elle a déposée auprès de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail où elle allègue avoir été l’objet de mesures de représailles ou discriminatoires dans l’exercice de son droit de réaffectation prévu aux articles 40 et 41 de la Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après, « LSST ») vu le refus de son employeur de l’affecter à d’autres tâches en raison de sa grossesse.

Le TAT a considéré la plainte de la demanderesse irrecevable, car il est d’avis que cette dernière invoque un droit à la réaffectation que ne prévoit pas la LSST. Ce droit n’étant pas prévu à la LSST, aucune sanction, mesure discriminatoire ou représailles n’ont ainsi découlé de son exercice. La plainte est donc irrecevable. Par ailleurs, la demanderesse ne bénéficie que d’un droit d’être retirée du travail, sans plus.

La demanderesse soutient que la décision du TAT est déraisonnable. Celle-ci est d’avis que l’employeur doit effectuer un exercice de vérification, et que lorsqu’un poste ou des tâches sont disponibles ou possibles, une travailleuse enceinte doit être réaffectée. Il y aura cessation de travail seulement si, au terme de cette vérification, la réaffectation se révèle impossible. L’employeur, quant à lui, considère que la décision du TAT est raisonnable et que ses conclusions ne peuvent être substituées à celles de la Cour supérieure, étant donné la déférence due au TAT en raison de sa spécialisation.

Après avoir conclu que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable, la Cour tranche en indiquant qu’il est déraisonnable pour le TAT de conclure qu’une travailleuse enceinte bénéficie d’un droit de demander la réaffectation sans que l’employeur n’ait d’obligation de faire suite à cette demande. L’employeur doit procéder à un exercice qui permet de déterminer si l’affectation demandée est possible. Il s’agit d’un droit dont bénéficie une travailleuse enceinte. Si l’employeur refuse la demande, il doit motiver ce refus de telle sorte que l’examen de son refus soit possible. C’est à la suite de cet examen que pourra être élucidée la question à savoir si ce refus fait en sorte que la travailleuse enceinte a fait l’objet d’une mesure discriminatoire, sanction, ou représailles à cause de l’exercice d’un droit prévu à la LSST.

La Cour rappelle de plus que le droit à la réaffectation (lorsque son application chez l’employeur est possible) fut confirmé par la Cour suprême et indique qu’il est également déraisonnable pour le TAT de faire fi de ses enseignements. En effet, la Cour précise que l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes2014 CSC 33 ne peut être interprété que comme nécessitant une réponse de l’employeur, à la suite d’une demande d’affectation, qu’elle soit négative ou positive.

La Cour accueille donc le pourvoi en contrôle judiciaire, casse la décision du TAT, et retourne le dossier au TAT pour qu’il statue sur la contestation conformément aux faits et au droit.

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