Lors de la négociation d’une convention collective, le syndicat et l’employeur doivent s’entendre sur plusieurs conditions de travail et la portée de ces conditions. Les clauses de rétroactivité régiront les droits et obligations des parties ainsi que des membres visés par l’accréditation.
Quelles sont les modalités pouvant être prévues par les parties pour encadrer les clauses de rétroactivité? Quels sont les devoirs et responsabilités du syndicat lorsqu’il négocie une clause de rétroactivité? Est-ce que le syndicat doit également négocier pour les salariés qui ne sont plus à l’emploi de l’employeur?
Principes
La négociation collective peut porter sur toutes les conditions de travail qui ne sont pas contraires à l’ordre public ni prohibées par la loi[1]. Autrement dit, sous réserve de ces restrictions, les parties sont libres de négocier toutes conditions de travail, notamment les clauses de rétroactivité.
En ce qui concerne les clauses de rétroactivité, en général, les syndicats visent à obtenir une rétroactivité complète et totale de l’ensemble des clauses à incidences monétaires. Pour ce faire, les parties auront des pourparlers afin de tenter de définir les clauses de rétroactivité. Le cas échéant, des modalités et la portée de ces clauses seront établies. Notamment, les parties peuvent prévoir quelles clauses sont rétroactives, au bénéfice de quels salariés, le mode et le délai de versement.
Depuis plusieurs années, il est reconnu qu’un syndicat peut négocier une clause limitant le versement des salaires rétroactifs aux salariés à l’emploi de l’employeur au moment de la signature de la convention collective.
L’arrêt Tremblay c. SEPB, [2002] 2 R.C.S. 627
En 2002, dans l’arrêt Tremblay c. Syndicat des employées et employés professionnels-les et de bureau, section locale 57[2], la Cour suprême du Canada se penche sur la légalité de la clause de rétroactivité salariale limitant le versement de salaires rétroactifs aux salariés à l’emploi de la Ville de Montréal lors de la signature de la convention collective.
Dans cette affaire, le syndicat obtient une accréditation pour représenter un groupe d’avocats salariés de la ville. Me Valérie Tremblay, membre du syndicat, quitte son poste au cours de la période de négociation de la première convention collective. L’entente finale conclue entre le syndicat et la ville prévoit des réajustements salariaux rétroactifs, mais restreint l’application aux salariés à l’emploi de la ville lors de la signature de la convention collective. Me Tremblay intente une poursuite en dommages-intérêts contre son syndicat et contre la ville. Au soutien de son recours, cette dernière allègue que la clause contrevient au Code du travail et à la Charte des droits et libertés de la personne. Me Tremblay dénonce aussi le comportement de son syndicat, prétendant qu’il n’a pas exécuté adéquatement son obligation de juste représentation.
Dans son analyse, la Cour suprême du Canada édicte la prémisse suivante :
« Rien dans le Code du travail n’impose une obligation de rétroactivité de l’entente dans une telle situation de conclusion d’une première convention collective, comme d’ailleurs d’un renouvellement de celle-ci. » [3] « Le Code du travail ne comporte pas non plus de présomption de rétroactivité implicite. La question relève des négociations. »[4]
D’abord, Me Tremblay allègue que la clause de rétroactivité contreviendrait au Code du travail, la Cour suprême du Canada nous enseigne que cette clause ne contrevient pas au Code du travail et respecte le principe d’unicité prévu à l’art. 67 du Code. La Cour suprême énonce que :
« L’exigence d’unicité a été respectée. Comportant certaines modulations des conditions de travail, la convention demeurait un contrat unique définissant les conditions d’emploi de l’ensemble de l’unité de négociation. Pour l’ensemble de celle-ci, il prévoyait un réajustement des salaires calculés sur la base du service passé, mais payable uniquement aux employés alors en poste. Il s’agissait d’une stipulation que le Code du travail n’interdit pas. »[5]
En outre, Me Tremblay soutient que la clause est illégale puisqu’elle contreviendrait à la Charte des droits et libertés de la personne. La Cour suprême du Canada décide que la clause ne contrevient pas à l’art. 19 de la Charte, qui prévoit qu’un employeur doit, sans discrimination, accorder un traitement égal pour un travail équivalent[6]. L’appelante n’a pas démontré que le traitement différent découle d’une forme de discrimination prévue à l’art. 10 de la Charte[7]. La clause de rétroactivité n’est pas non plus déraisonnable au sens de l’art. 46 de la Charte, puisqu’elle ne viole ni le Code du travail, ni les dispositions impératives de la Charte, ni aucune disposition connue de la législation du travail, ni même, par hypothèse, l’obligation de représentation du syndicat[8].
Le dernier moyen de Me Tremblay se résume à une allégation de violation de l’obligation de représentation. À ce sujet, la Cour suprême explique que :
« Dans le cadre d’une négociation où les parties tentaient de définir une clause de rétroactivité, la situation des personnes qui avaient exécuté un travail régi par l’accréditation, mais qui avaient laissé leur emploi, pouvait faire partie des intérêts affectés par l’issue des pourparlers. (…) Le cadre juridique applicable à la négociation collective ne leur reconnaissait aucun droit acquis à l’égard de la rétroactivité. (…) Le syndicat peut difficilement garantir l’issue d’une négociation »[9].
Finalement, la Cour suprême du Canada décide que le syndicat n’avait pas commis une faute pouvant engager sa responsabilité civile, en signant une convention collective qui ne prévoyait pas de rétroactivité pour les employés qui n’étaient plus à l’emploi au moment de la signature.
En conclusion
Aux termes de ce qui précède, lors d’une négociation d’une première convention collective ou de son renouvellement, les parties peuvent prévoir diverses conditions de travail. Lors des pourparlers sur les clauses de rétroactivité, les parties peuvent s’entendre sur diverses modalités des clauses de rétroactivité et conclure une convention collective clause limitant le versement aux salariés à l’emploi de l’employeur au moment de la signature de la convention collective.
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[1] Article 62, Code du travail, chapitre C-27
[2] Tremblay c. SEPB, [2002] 2 R.C.S. 627
[3] Id, page 636.
[5] Id, page 637.
[8] Id, page 639.
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