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Revue de l'année 2023 en droit du travail - Partie 1

PAR ME MYLÈNE LAFRENIÈRE ABEL ET ME LYLIA BENABID

 

Dans cet article (partie 1/2), nous vous proposons de revenir sur des décisions qui ont marqué le droit du travail au courant de l’année 2023.

 

  • Un accident du travail peut-il avoir lieu en télétravail ? 

En 2021, dans la décision Air Canada et Gentille-Patti, 2021 QCTAT 5829, le Tribunal administratif du Travail (ci-après, TAT) avait accepté la réclamation d’une travailleuse qui avait chuté dans l’escalier de son domicile alors qu’elle se dirige à son heure de dîner. Dans ce dossier, la lésion professionnelle de la télétravailleuse est reconnue notamment « puisque le fait d’aller dîner constitue, notamment, une activité de confort dont bénéficie l’employeur ». Sa chute a eu lieu dans son domicile, soit son lieu de travail, lorsqu’elle quitte son aire de travail et emprunte l’escalier pour aller dîner au rez-de-chaussée.

En 2023, dans la décision A. et Promotuel Horizon Ouest, 2023 QCTAT 1027, le TAT refuse la réclamation de la télétravailleuse qui a chuté dans les escaliers extérieurs de son domicile pendant sa pause repas. Pour conclure que l’accident n’est pas intervenu à l’occasion de son travail, le TAT a considéré que la chute a eu lieu dans la sphère d’activités personnelles de la travailleuse qui voulait ramasser un objet personnel (son téléphone cellulaire) lors de sa chute. De plus, le Tribunal retient que sa chute a lieu à l’extérieur de son domicile et durant sa pause-repas non rémunérée.

Ainsi, un accident du travail peut avoir lieu en télétravail, mais ça dépendra des circonstances !

 

  • Dans un dossier de harcèlement, l’engagement de confidentialité énoncé à la politique interne de l’employeur se transpose-t-il à l’arbitrage?

Dans le dossier Association des réalisateurs et Société Radio-Canada, 2023 QCTA 207, un réalisateur a été fait l’objet d’une suspension sans solde de trois mois en raison de comportements hostiles et manque de respect à l’égard de diverses personnes dans son milieu de travail. L’employeur invoque six motifs qui correspondent aux conclusions d’un rapport déposé par une enquêtrice indépendante retenue par l’employeur pour enquêter sur diverses allégations visant le plaignant. À titre d’exemple, on lui reproche d’avoir employé un ton sec, tranchant et rude à l’endroit de ses collègues.

L’arbitre doit se prononcer sur le bien-fondé d’une requête en précision de la part de l’Association. Selon cette dernière, les motifs au soutien de la suspension disciplinaire du plaignant sont imprécis, vagues et ambigus.

Quant à l’employeur, il explique que le refus de fournir les précisions demandées par le syndicat est essentiellement une question de confidentialité et de protection des témoins. Les rencontres en cours d’enquêtes sont faites selon un engagement de confidentialité.

L’arbitre constate que les demandes de précision de l’Association ne visent pas la transmission de preuve, elles visent à clarifier les prétentions factuelles de l’employeur à l’égard du plaignant. Il rejette l’argument concernant la confidentialité soulevée par la partie patronale.  L’engagement de confidentialité énoncé à la politique interne de l’employeur ne se transpose pas à l’arbitrage.

La requête en précision de la partie syndicale est donc accueillie et il est ordonné à l’employeur de transmettre au syndicat les précisions demandées à l’égard des plaintes dont le salarié a fait l’objet, et ce, malgré la confidentialité promise aux personnes ayant participé au processus d’enquête. De telles précisions participent au droit d’être entendu et aux règles de justice naturelle.

Le Tribunal d’arbitrage a par la suite rejeté la demande de l’employeur de rendre une ordonnance de non-divulgation, de non-publication, de non-diffusion et de huis clos, relativement à l’ensemble des documents et des témoignages devant être rendus en cours d’audience ainsi que l’anonymisation de la décision en découlant[1].

La procureure patronale soutenait que ces ordonnances étaient nécessaires afin de protéger le mécanisme de harcèlement au travail de l’employeur et d’assurer le respect de la vie privée, l’intégrité et la sécurité psychologique des personnes ayant participé au processus d’enquête.

L’employeur s’est pourvu en contrôle judiciaire de cette décision et il a obtenu le sursis de la sentence le 3 octobre 2023.

Un dossier à suivre en 2024 !

 

  • Est-ce que l’interception par l’employeur de courriels adressés au syndicat peut constituer une contravention au droit d’association ?

Oui ! Les salariés ont une expectative de vie privée que l’employeur ne devrait pas enfreindre sauf s’il a des motifs raisonnables de le faire. Lorsqu’un employeur intercepte des courriels entre des salariés et leur syndicat, il enfreint potentiellement non seulement leur droit à la vie privée, mais aussi leur droit d’association.

C’est ce qu’a décidé un arbitre dans la décision Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS) et Centre intégré de santé et de services sociaux de la Côte-Nord, 2023 QCTA 126. Dans cette affaire, alors qu’un article de journal est sur le point d’être publié et qui viendrait entacher la réputation de l’employeur, un centre jeunesse de la Côte-Nord, celui-ci décide d’intercepter des courriels entre les salariés « les plus revendicateurs » et leur syndicat par crainte que ceux-ci aient fuité de l’information à la journaliste.

L’arbitre estime que les membres sont en droit de s’adresser de manière privée à leur syndicat et que l’interception de ses courriels constitue une contravention au droit d’association. De plus, l’employeur ne justifiait pas de motifs sérieux et raisonnables pour justifier l’atteinte à la vie privée des salariés. L’arbitre s’exprime ainsi : « un simple soupçon ou une intuition sans réel motif ne peut constituer un « blanc- seing» à la fouille des boites courriel des six salariés » (para. 183).

Pour ces motifs, presque tous les courriels interceptés par l’employeur sont déclarés inadmissibles en preuve.

 

  • Doit-on suspendre la décision de l’employeur de modifier pour les salariés en télétravail le nombre de jours en présentiel ?

Tout récemment, un arbitre a statué que le syndicat avait rempli les critères pour obtenir une ordonnance de sauvegarde visant le maintien statu quo jusqu’à la décision finale de l’arbitre sur la politique de télétravail de l’employeur.

Dans l’affaire Association des employés de secteurs financiers et Desjardins sécurité financière, Desjardins gestion des opérations des produits de placement inc., Groupe technologies Desjardins inc. (grief syndical), 2023 QCTA 489, l’employeur désire mettre fin au mode de travail 4-1 (soit quatre jours en télétravail et un jour en présentiel par semaine) et de le remplacer par un mode de travail de 3-2 (soit trois jours en télétravail et deux jours en présentiel par semaine).

Les parties sont liées par des lettres d’entente prévoyant les modalités relatives au télétravail.

Jusqu’à l’obtention de la décision de l’arbitre sur le fond, l’arbitre conclut que le syndicat a réussi à prouver :

1/ Qu’il existe un droit apparent. Aux vues des lettres d’entente, le syndicat semble avoir une « cause défendable »

2/ Que plusieurs préjudices sérieux existent, notamment les heures importantes de transport, l’incapacité de concilier ce nouveau mode de travail et les obligations familiales, un grand stress et un impact négatif considérable sur la santé et l’équilibre de vie des travailleurs.

3/ Que la balance des inconvénients penche en faveur du syndicat en raison de ces préjudices sérieux et irréparables.

Ainsi, l’arbitre ordonne à l’employeur de suspendre l’application de la modification du mode de télétravail jusqu’à l’obtention d’une décision au fond sur le sujet.

[1] Association des réalisateurs et Société Radio-Canada (Sylvain Lampron), 2023 QCTA 372 (pourvoi en contrôle judiciaire et demande pour suspendre l’exécution d’une décision, 2023-09-27 (C.S.) 500-17-127037-235).