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Veille juridique du 4 mai 2021

SECTION DROIT DU TRAVAIL

GÉNÉRAL

 

Syndicat des étudiant(e)s employé(e)s de l’UQAM (SÉTUE) – AFPC et Université du Québec à Montréal (C.L.), 2021 QCTA 183, 23 mars 2021

Disponible sur SOQUIJ : https://soquij.qc.ca/portail/recherchejuridique/Selection/4422255

La plaignante a déposé une plainte de harcèlement sexuel contre un collègue de travail en vertu de la politique de l’employeur. Une enquête a eu lieu et l’avocate chargée de celle-ci a conclu que la plainte n’était pas fondée.  Le Syndicat dépose un grief, contestant notamment le rapport d’enquête ayant conclu au rejet de la plainte. De plus, on y allègue que la plaignante a été discréditée et humiliée à l’occasion d’une rencontre l’informant des résultats de l’enquête.

L’arbitre Nathalie Faucher fait droit à l’objection de l’Employeur au sujet de l’arbitralité du grief et conclut que le Tribunal d’arbitrage n’a pas compétence pour trancher une question en lien avec la procédure d’enquête suivie par l’Employeur. En l’espèce, cette question ne relevait pas du grief tel que formulé ni de son contenu implicite.

Qui plus est, le Tribunal juge que faire droit à cette objection contreviendrait au principe de la proportionnalité. En effet, l’arbitre de grief n’est pas lié par le rapport et l’opinion de l’enquêteur et doit trancher en fonction de la preuve. Le Tribunal écrit : « (…) prendre du temps pour statuer de la validité d’un processus n’ayant aucun impact sur la décision qui devra être prise par l’arbitre ne me semble pas être proportionné par rapport à la finalité de la demande » (paragraphe 52).

Le Tribunal rejette cependant la requête en cassation de l’assignation à comparaître visant l’avocate qui a effectué l’enquête de l’Employeur. Bien que l’enquêtrice n’ait pas été témoin des gestes commis par le collègue visé par des allégations de harcèlement sexuel, son témoignage peut servir à établir que des déclarations ont été faites par certaines personnes au sujet des allégations contenues au grief.

Au surplus, l’arbitre rejette la prétention de l’Employeur selon laquelle la production du rapport d’enquête ne pourra pas lui être utile, favorisant l’approche de l’arbitre Maureen Flynn dans l’affaire Syndicat de la fonction publique et parapublique du Québec,  2012 CanLII 89875 (QC SAT). Dans cette dernière décision, l’arbitre a jugé utile et pertinent le dépôt du rapport de l’enquêteur à la lumière des questions en litige, tout en précisant que « (…) l’arbitre de griefs n’est certainement pas lié par l’analyse ni les conclusions faites par l’enquêteur tout comme il ne siège pas en appel ou en révision de ces recommandations » (paragraphe 19).

Le Tribunal accueille en partie les objections préliminaires formulées par l’Employeur.

 

 

Labonté c. FIQ — Syndicat des professionnelles en soins de santé de l’Ouest-de-l’Île-de-Montréal, 2021 QCTAT 1952, 23 avril 2021

Disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jfmbd

La plaignante est embauchée par l’Employeur comme infirmière le 5 juin 2017. Ce dernier met fin à son emploi le 29 septembre 2017, parce qu’il considère qu’elle a échoué sa période de probation. Elle s’adresse au Syndicat qui décide, après une première analyse, de ne pas déférer le grief à l’arbitrage.

Par la suite, à la lumière de nouveaux éléments soumis par l’avocat de la plaignante, le Syndicat décide d’effectuer un complément d’enquête. Alors qu’il est toujours en train d’effectuer cette enquête, la plaignante dépose une plainte en vertu des articles 47.2 et suivants du Code du travail.

Dans cette décision, le Tribunal applique les enseignements de l’arrêt Noël c. Société d’énergie de la Baie James, 2001 CSC 39 (CanLII) afin de déterminer si le Syndicat a manqué à son devoir de juste représentation à l’égard de la plaignante.

Le Tribunal fait le constat préliminaire suivant : le premier travail d’analyse effectué par le Syndicat manquait de rigueur lorsqu’il a tenu pour avérées les informations données par la gestionnaire sans les valider avec la plaignante. Or, cette erreur n’a pas causé de préjudice à la plaignante puisque le Syndicat a décidé d’attendre avant de retirer le grief et qu’il a ensuite effectué une analyse complémentaire, que le Tribunal qualifie de sérieuse et complète.

Après ce complément d’enquête, le Syndicat décide de retirer le grief en raison des motifs suivants : 1) les nombreuses lacunes dans la prestation de travail relatées par l’Employeur; 2) le défaut de la plaignante de soumettre sa version cérite des faits et son refus de rencontrer le Syndicat qui voulait lui présenter les résultats de son enquête et, finalement, 3) le fait qu’au moment de la fin d’emploi, la plaignante était en période de probation.

Le Tribunal conclut qu’en l’espèce, la plaignante a mis des bâtons dans les roues du Syndicat. L’arbitre Dominic Fiset rappelle que l’obligation de collaboration du salarié est le corollaire du devoir de juste représentation du Syndicat :

Le devoir de juste représentation syndicale ne va pas jusqu’à exiger qu’un syndicat se soumette aux moindres exigences du salarié qu’il représente. S’il fallait, à titre d’exemple, qu’il doive accepter qu’un salarié soit accompagné par son avocat pour une rencontre afin de discuter du bien-fondé d’un grief, avec le risque possible que ce tiers intervienne pour lui dicter la marche à suivre, son travail de représentation des salariés se trouverait indûment entravé (paragraphe 71).

Le Tribunal se dit d’avis que les interventions du Syndicat dans le cadre du complément d’enquête, puis sa décision de retirer le grief, satisfont au devoir de juste représentation qu’il avait à l’égard de la plaignante.

Le Tribunal rejette donc la plainte.

 

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POLICIERS ET POLICIÈRES

 

Association des policiers de Saint-Jérôme métropolitain inc. et Ville de Saint-Jérôme (grief syndical), 2021 QCTA 225, 27 avril 2021

Disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jfltj

Un grief est déposé par le Syndicat aux fins de contester le refus de l’Employeur de rémunérer les salariés pour les deux premières journées de congé prises en raison de maladie ou d’obligations familiales, en contravention à la norme minimale établie par la Loi sur les normes du travail (ci-après, la « LNT »).

La convention collective prévoit à l’article 15.01 que tout policier a droit, chaque année, à un montant représentant 120 heures ouvrables comme bénéfices en maladie, au salaire déterminé par l’annexe A de cette même convention. Ce montant, réparti sur une base mensuelle, est versé chaque mois par l’Employeur à la Caisse de bénéfices en maladie établie au profit des membres du Syndicat.

Le Syndicat estime que ces prestations versées par l’assureur privé ne peuvent être qualifiées comme de la rémunération et, donc, comme des congés payés. Ces prestations ne constituent pas un avantage de même nature que des congés de maladie qui seraient rémunérés par l’Employeur. La question qui se pose est donc la suivante : est-ce que la condition de travail prévue à l’article 15.01 de la convention collective est équivalente ou plus avantageuse que la norme minimale édictée aux articles 79.1, 79.7 et 79.16 de la LNT?

D’abord, le Tribunal rejette l’argumentaire du Syndicat dissociant le droit aux congés maladie de ceux pour obligations familiales. Le Tribunal se dit en accord avec la jurisprudence arbitrale qui conclut que dès lors qu’une « convention collective accorde deux journées de congé rémunérées, que ce soit à titre de maladie ou pour obligations familiales, l’obligation de l’Employeur énoncée à l’art. 79.16 est satisfaite » (paragraphe 40).

Ensuite, l’arbitre Dominique-Ann Roy précise que les particularités du régime d’assurance mis en place par le Syndicat par contrat conclu entre la Caisse de bénéfices en maladie et l’assureur ne modifient pas les conditions de travail négociées, lesquelles octroient 120 heures rémunérées pour maladie par année à chaque salarié. Le Tribunal ajoute qu’on ne peut pas reprocher à l’Employeur, un tiers par rapport au contrat d’assurance, des modalités d’application qu’il ne contrôle pas, alors qu’il verse les sommes selon les engagements convenus.  

Selon le Tribunal, bien que le délai de carence de 36 heures prévu par le régime d’assurance collective ait pour effet de priver un adhérant de rémunération au début de son absence maladie, il n’en demeure pas moins que les 120 heures accordées sont globalement plus avantageuses pour un bénéfice de même nature. D’ailleurs, le Tribunal précise qu’il n’a pas compétence pour examiner et réviser les prescriptions du contrat d’assurance.

Le Tribunal conclut donc que la convention collective est plus avantageuse puisqu’elle prévoit le versement de 120 heures pour absence en maladie par année, soit l’équivalent de plus ou moins 15 jours rémunérés, alors que la LNT n’en prévoit que deux.

Le Tribunal rejette le grief.

 

 

Ville de Montréal et Fraternité des policiers et policières de Montréal (griefs individuels, Charles Lavallée, autres et grief syndical), 2021 QCTA 232, 29 avril 2021

Disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jfnd4

La Fraternité des policiers (ci-après, la « Fraternité ») formule un grief à l’encontre du processus de sélection concernant le concours « Agent d’intervention 2017 » et à l’encontre de la décision de l’Employeur de ne pas avoir retenu la candidature des policiers Charles Lavallée, Frédéric Mercier et Sébastien Pelletier à la suite de la formation réalisée dans le cadre du concours « Agent d’intervention 2017 ».

Alors que lors des processus de sélection précédents, il suffisait aux candidats qui avaient réussi un test physique de suivre une formation de trois semaines et de réussir l’examen portant sur le maniement du bâton PR24 pour être inscrit sur la liste d’éligibilité des agents d’intervention, les candidats doivent désormais être évalués et notés sur chaque élément de la formation prévu à une grille d’évaluation. De plus, pour se voir inscrits sur la liste d’éligibilité, ils doivent obtenir une note de 85 % à chacun des quatre volets de la formation, réussir l’examen portant sur le maniement du bâton PR24 et obtenir les notes minimales de 4 sur 4 pour le groupe d’éléments « Attitude », 2 sur 3 pour le groupe d’éléments « Gestion du stress » et 2 sur 3 pour le groupe d’éléments « Analyse et prise de décision ».

La Fraternité prétend que l’Employeur n’a pas respecté les règles établies par la jurisprudence en matière de processus de sélection.  Notamment, elle soumet que les participants au processus de sélection n’ont jamais été informés des critères d’évaluation, que, durant la formation, les policiers n’ont été informés de leurs lacunes, que les critères de sélection sont subjectifs, déraisonnables et non pertinents afin d’évaluer la capacité des candidats à exercer la fonction d’agent d’intervention et que le processus d’évaluation est arbitraire, déraisonnable, abusif et contraire à la convention collective.

Dans ses motifs, l’arbitre précise le pouvoir du Tribunal dans un cas semblable: il doit d’abord s’assurer que la décision de l’employeur n’est pas déraisonnable, abusive, arbitraire, discriminatoire ou encore empreinte de mauvaise foi. Ensuite, en accord avec un courant jurisprudentiel majoritaire, il doit également s’assurer que la décision est exempte d’erreur en son mérite, c’est-à-dire, « une erreur si importante qu’elle aurait pu influer sur la décision de l’employeur, qu’elle soit de mauvaise ou de bonne foi, et donner lieu à une injustice » (Le Syndicat des travailleurs et travailleuses de Spectube Inc. (FSSA) et Spectube Inc., 9 janvier 2004, arbitre Carol Girard).

L’arbitre précise que le fardeau de preuve repose sur la partie réclamante, en l’espèce, la Fraternité. En premier lieu, le Tribunal rejette la prétention de la Fraternité voulant que les critères de sélection qui composent la grille d’évaluation soient subjectifs, déraisonnables et non pertinents aux fins d’évaluer la capacité des candidats à exercer la fonction d’agent d’intervention :

Dans l’affaire qui nous occupe, on ne saurait mettre en doute la pertinence de la technique de sélection choisie par l’Employeur. Il souhaitait évaluer les capacités des candidats à exercer la fonction d’agent d’intervention par le biais de simulations d’événements auxquels peuvent être confrontés les agents d’intervention dans leur travail de tous les jours. Même si cette technique d’évaluation faisait appel à une certaine subjectivité de la part des évaluateurs, elle était des plus pertinentes (paragraphe 238).

L’arbitre ajoute qu’en l’espèce, l’Employeur était en droit d’ajuster les éléments qui composent la grille d’évaluation puisque ces changements n’avaient pas pour objectif de léser ou d’avantager certains candidats en particulier. Quant à la note de passage établie à 85%, le Tribunal juge qu’elle n’était pas déraisonnable, abusive, discriminatoire ou empreinte de mauvaise foi de la part de l’Employeur. Il ajoute cependant ce commentaire :

Par ailleurs, je crois qu’il aurait été approprié pour l’Employeur d’informer les candidats, avant le début du processus, de la note de passage à atteindre pour être admis sur la liste d’éligibilité. Cela n’aurait révélé en rien le contenu de la grille et n’aurait que fait prendre conscience aux candidats à quel point le processus était sélectif. Le fait toutefois de ne pas avoir informé les candidats de la note de passage préalablement au début de la partie Formation ne saurait toutefois être considéré comme ayant créé quelque injustice que ce soit (paragraphe 251).

Quant au reproche selon lequel les candidats n’ont pas pu prendre connaissance du contenu de la grille d’évaluation avant le début du processus, le Tribunal juge valables les explications de l’Employeur : « [s]i un candidat sait d’avance dans quelle situation son employeur évaluera ses réactions, ce candidat cherchera à se comporter de la façon qu’il estimera lui être la plus avantageuse pour les fins de son évaluation » (paragraphe 254).

Finalement, relativement à la prétention syndicale à l’effet que jamais au cours de la formation les candidats n’ont été informés de leurs lacunes, le Tribunal conclut que la preuve a plutôt été à l’effet contraire.

Passant en revue le cas de chacun des policiers concernés par le grief et la preuve présentée devant lui, l’arbitre conclut que la Fraternité ne l’a pas convaincu par une preuve prépondérante que l’évaluation avait été arbitraire, déraisonnable, abusive ou empreinte de mauvaise foi au point de créer une injustice grave à l’endroit de l’un ou l’autre des candidats. En effet, malgré l’existence de certaines erreurs, celles-ci n’ont pas entaché le résultat de l’évaluation des candidats.

Le Tribunal rejette le grief.

 

 

Dowd c. Beaulieu-Dulac, 2021 QCCQ (500-80-040150-204), 29 avril 2021

Disponible sur demande seulement

Dans cette décision, le Commissaire à la déontologie porte en appel la décision rendue par le Comité de la déontologie policière relativement aux manquements déontologiques à l’endroit de trois agents cités.

Les faits à l’origine sont les suivants. À la suite d’un appel 9-1-1, les policiers interviennent auprès d’un suspect racisé au sujet d’un possible enlèvement d’enfant en cours de perpétration. Une arme est pointée sur lui et il est par la suite arrêté. Les circonstances ont révélé que l’enlèvement n’était pas fondé. Dans sa décision, le Comité conclut que les policiers n’ont pas agi de manière contraire aux articles 5, 6, 7 et 11 du Code de déontologie.

Le Commissaire avance que le Comité a erré en droit en ce que le cadre d’analyse approprié au profilage racial a été complètement escamoté. Il plaide également que le Comité a erré en abordant l’acte dérogatoire prévue à l’article 11 du Code de déontologie selon le mauvais critère de « prudence et discernement ». Finalement, le Commissaire reproche au Comité d’avoir tiré des conclusions factuelles erronées relativement aux autres manquements relevant des autres articles du Code de déontologie.

Le juge Éric Dufour énonce que le cadre applicable en matière de profilage racial relativement à l’article 5 (4) du Code de déontologie s’inspire, à toutes fins pratiques, de celui de l’article 10 de la Charte des droits et libertés. Par conséquent, il requiert que le Commissaire établisse un des trois éléments constitutifs de discrimination par prépondérance, à savoir l’existence d’une distinction, d’une exclusion ou d’une préférence, en l’occurrence par l’interpellation, la détention ou l’arrestation. Ainsi, le décideur qui tranche une affaire relevant de profilage racial doit se demander : Y-a-t-il eu, selon la preuve disponible, un écart de conduite de la part d’un policier par rapport aux pratiques habituelles dans des circonstances semblables? Ce dernier aurait-il agi différemment si le plaignant n’avait pas été membre, ou présumé membre, d’un groupe protégé par la Charte ?

Le juge Dufour souligne qu’il ne suffit pas de vérifier si l’intervention policière était appropriée, mais plutôt de vérifier si le droit de la personne racisée à la reconnaissance ou à l’exercice de ses droits a été compromis en raison du caractère discriminatoire de l’acte. La race ou la couleur n’ont pas à être les facteurs prédominants de la différence de traitement. Il suffit qu’elles y aient contribué dans une certaine mesure. De plus, cette analyse doit s’effectuer à chacune des étapes de l’intervention, car il se peut que les caractéristiques personnelles d’un suspect aient influencé le policier ou la policière à une étape précise dans l’intervention alors que ce n’était pas le cas jusque-là. C’est pourquoi le juge évoque que le fait qu’une intervention soit justifiée ne peut, à elle seule, repousser une allégation de profilage racial. De plus, en présence d’une intervention impliquant plusieurs policiers, l’analyse doit être individualisée à chacun d’eux. Le profilage racial dont est empreint un acte policier spécifique, peut, ou pas, contaminer les autres. Il n’y a pas d’automatisme possible.

En l’espèce, en ce qui a trait au cadre juridique appliqué, le juge Dufour affirme que le Comité ne s’est pas astreint au cadre analytique qu’impose une allégation de profilage racial prévue au paragraphe 5 (4) du Code de déontologie. L’erreur du Comité consiste à avoir jugé des chefs disciplinaires sans se demander si à chacune des étapes de leur intervention, les policiers ont, même inconsciemment, d’une façon ou d’une autre, modulé leurs actes par le fait que le plaignant est racisé et de manière à compromettre son droit à la non-discrimination. Le Comité ne pouvait pas uniquement tenir compte de la légalité de l’intervention policière pour repousser le profilage racial. Il ne s’agit que d’un facteur parmi d’autres. Bref, le Comité devait motiver les raisons pour lesquelles il estimait que le comportement des policiers n’a pas eu pour effet de pénaliser le plaignant en lui niant un droit ou une liberté. Il s’agit d’une erreur de droit.

Or, malgré cette erreur, le juge avance que le Commissaire n’a pas démontré que les policiers ont commis un écart de conduite par rapport aux pratiques habituelles dans les circonstances et qu’ils auraient agi différemment s’ils avaient eu affaire à un membre non racisé de la société.

En conclusion, le juge Dufour s’en est remis à l’ensemble de la preuve. La seule perception du plaignant, tout comme le contexte social, ne suffit pas pour établir un cas de profilage racial tout comme à l’inverse, la seule dénégation d’un agent policier ne mène pas à la conclusion qu’il n’y en a pas eu. Pour troublants que puissent avoir été les événements en cause, de l’avis du juge, ils ne constituent pas la preuve que le plaignant a été victime de profilage racial. Alors qu’on les analyse en tenant compte de l’ensemble de la preuve, et qu’on les met en perspective d’une action urgente, non planifiée et destinée à cesser le plus rapidement possible, le juge confirme que les agents étaient justifiés d’agir de cette façon. La preuve démontrait que l’intervention des trois agents, prise individuellement, n’était pas empreinte de profilage racial.

Quant aux autres moyens du Commissaire, le juge les rejette. La décision du Comité était assez motivée pour qu’elle soit à l’abri d’une intervention. Il s’agit de questions factuelles qui ne pointent aucune erreur manifeste et déterminante.

L’appel est donc rejeté.

Bravo à Me Mario Coderre pour son excellent travail !

 

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TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER

 

Anabel Poitras et Services préhospitaliers Paraxion inc., 1213890-09-2102, 27 avril 2021

Disponible sur demande seulement

Le 2 décembre 2020, la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail rend une décision dans laquelle elle refuse l’admissibilité de la travailleuse au programme Pour une maternité sans danger édicté par la Loi sur la santé et la sécurité du travail. Cette décision est maintenue en révision. La travailleuse, une technicienne ambulancière, demande de reconnaître son droit de bénéficier de ce programme, arguant que son travail comporte des risques de nature biologique et chimique pouvant constituer un risque pour son enfant allaité.

Le Tribunal rappelle que le fardeau de la preuve repose sur les épaules de la travailleuse. Elle doit démontrer, par une prépondérance de preuve, que ses conditions de travail et ses tâches présentent un danger pour son enfant allaité.

En l’espèce, le Tribunal juge que, bien que la travailleuse ait démontré qu’elle pouvait être exposée à des substances biologiques ou chimiques, cela n’est pas suffisant pour faire droit à sa contestation :

Toutefois, le risque zéro n’existe pas. Pour réussir dans sa demande, la travailleuse doit démontrer plus que des craintes ou des inquiétudes Le risque doit être réel tout en tenant compte des moyens de prévention mis en place. Une possible exposition n’est pas suffisante pour être considérée comme un danger. De plus, il faut démontrer que les risques dans le cadre de son travail présentent un danger pour son enfant allaité. Il faut une démonstration prépondérante qu’une telle contamination est susceptible d’atteindre l’enfant par l’allaitement. Il n’y a aucune preuve à cet effet au dossier. À tout le moins, la preuve au dossier ne présente pas de probabilité significative qu’un danger existe pour l’enfant allaité.

Le Tribunal considère que la preuve au dossier ne démontre pas que les tâches de la travailleuse présentent un danger pour son enfant allaité et rejette en conséquence sa contestation.

 

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POMPIERS ET POMPIÈRES

Rien à signaler.

 

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ARTISTES

 

Association des réalisateurs et Société Radio-Canada (Georges Amar), 2021 QCTA 142, 19 février 2021 

Disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jdlj7

Amar est réalisateur et employé de la Société Radio-Canada et il est suspendu avec salaire, le 10 novembre 2020, pour fins d’enquête, à la suite d’allégations de comportements et commentaires inappropriés, pour une période indéterminée.

L’Association soutient que la suspension administrative imposée est illégale et que la Société a enfreint l’article 18.1 de la convention collective qui oblige l’Employeur à communiquer au réalisateur toute plainte ou accusation susceptible de nuire à son avancement ou à sa réputation dès qu’elle est formulée. Elle considère que les allégations à leur face même ne justifient pas une suspension nécessaire pour protéger les intérêts légitimes de la Société et réclame par voie d’ordonnance de sauvegarde que le plaignant soit réintégré dans ses fonctions, et ce, même si l’enquête est toujours en cours.

Le Tribunal doit déterminer si la demande d’ordonnance de sauvegarde ordonnant le retour au travail du plaignant en cours d’enquête satisfait les trois conditions définies par la jurisprudence, à savoir 1) l’apparence de droit; 2) le préjudice sérieux et irréparable et 3) la prépondérance des inconvénients.

L’apparence de droit

L’arbitre adhère au courant jurisprudentiel selon lequel on ne devrait pas émettre une ordonnance interlocutoire sur la seule base d’une cause défendable : un arbitre doit plutôt exiger la preuve d’une « véritable apparence de droit » (prima facie).

Le Tribunal rappelle que la demande d’ordonnance provisoire est une mesure d’exception préalable à l’audition au fond de l’affaire. L’arbitre se dit d’avis qu’en l’espèce, l’Association n’a pas réussi à démontrer l’apparence de droit, s’exprimant ainsi :

Le droit de suspendre avec solde à la suite d’un signalement d’une conduite inappropriée, le temps de faire une enquête, relève des prérogatives de l’Employeur et constitue une mesure qu’il peut appliquer en pareil cas. Ce choix ne contrevient pas à la convention collective. De plus, si ladite mesure s’avère abusive dans le cadre de l’audition au fond, le tribunal pourra remédier aux dommages encourus par le plaignant (paragraphe 30)

De plus, concernant la prétention de l’Association au sujet de la contravention à l’article 18.1 de la convention collective, le Tribunal conclut que M. Amar a été informé des allégations avant sa première rencontre avec l’enquêtrice et qu’il a eu l’occasion de faire valoir ses prétentions à l’égard de ces allégations.

Le préjudice sérieux

L’Association plaide qu’à moins qu’une ordonnance provisoire ne soit émise, le plaignant subira un préjudice auquel une décision favorable sur le mérite du grief ne pourra remédier. Le Tribunal est en désaccord avec cette prétention :

Je retiens que l’Association n’a pas fait la démonstration d’un préjudice sérieux qu’une décision au fond ne pourrait remédier, ni que les inconvénients subis sont supérieurs aux inconvénients normaux reliés à une suspension avec solde ou que des circonstances particulières attribuables à ses fonctions entraineraient un préjudice irréparable au fond (paragraphe 45)

La prépondérance des inconvénients

En l’espèce, l’arbitre conclut que l’Association n’a pas démontré le caractère urgent de sa demande qu’une sentence au fond ne saurait réparer. De plus, selon le Tribunal, la balance des inconvénients milite en faveur de l’Employeur puisque l’enquête est toujours en cours et qu’une réintégration provisoire serait susceptible de perturber le climat de travail.

Le Tribunal rejette donc la demande d’ordonnance de sauvegarde.

 

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SECTION DROIT CRIMINEL

GÉNÉRAL

 

Procureur général de l’Ontario c. Clarke, 2021 CSC 18, 30 avril 2021

Disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jfnmq

Le procureur général de l’Ontario se pourvoit à l’encontre d’une décision de la Cour d’appel de l’Ontario autorisant l’exercice d’un recours fondé sur une faute dans l’exercice d’une charge publique.

Les faits à l’origine sont les suivants. Trois policiers de Toronto ont procédé à l’arrestation de deux suspects. Ces derniers ont été accusés et ont formulé une requête en arrêt des procédures aux motifs que les policiers les avaient battus et gravement blessés lors de l’arrestation. La procureure n’a pas appelé les policiers à témoigner et a concédé que les agressions ont eu lieu. L’arrêt des procédures n’a pas été accordé en première instance, mais la Cour d’appel y a fait droit. Alors qu’elle y avait mis fin, l’Unité des enquêtes spéciales a rouvert l’enquête à l’égard des policiers et a conclu que les blessures subies par les accusés étaient postérieures à l’arrestation et que les allégations n’étaient pas fondées par la preuve.

Les trois policiers ont donc intenté une poursuite civile contre le procureur général pour faute et négligence dans l’exercice de la charge publique en raison du préjudice irréparable à leur réputation et à leur crédibilité.

La Cour suprême est donc appelée à répondre si elle doit restreindre encore plus l’immunité du poursuivant pour permettre à des policiers de poursuivre un procureur de la couronne pour faute commise dans l’exercice d’une charge publique en raison des décisions prises au cours de poursuites criminelles.

Pour la majorité, la juge Abella décrète que les poursuivants n’ont pas d’obligation légale précise envers la police en ce qui concerne la façon dont ils mènent une poursuite. Elle avance qu’on ne peut recourir à des allégations de faute dans l’exercice d’une charge publique pour contourner cette réalité. En fait, pour la majorité, lever l’immunité reviendrait à obliger les procureurs à rendre compte de leurs actes à la police. Il s’agit d’une démarche qui placerait les poursuivants dans une situation « perpétuelle » d’éventuel conflit d’intérêts face aux devoirs que leur incombe leur charge publique.

La Cour nous rappelle que l’immunité du poursuivant protège l’intérêt public en permettant aux procureurs de prendre des décisions discrétionnaires sans ingérence externe. Permettre aux policiers de poursuivre des procureurs au sujet d’une décision prise dans le cadre d’un procès criminel est une « recette » pour les placer dans une situation de conflit d’intérêts face à leur devoir de protéger l’intégrité du processus et le droit de l’accusé à un procès juste et équitable. L’indépendance et l’objectivité du poursuivant, tout comme l’intégrité du système de justice criminel serait compromise. La juge Abella souligne que la confiance du public en la capacité indépendante et objective des poursuivants de mener des procès équitables serait ébranlée. Les droits garantis d’un accusé et l’intérêt public risqueraient d’être occultés par l’anxiété que susciterait chez le poursuivant la question de savoir s’il a suffisamment tenu compte des intérêts de la police. Les devoirs du poursuivant envers l’accusé seraient mis en péril si sa responsabilité était engagée envers des policiers dont les intérêts sont contraires à ceux de l’accusé. Bref, autoriser que la police exerce un contrôle sur les poursuites par le truchement du droit civil serait fondamentalement incompatible avec les rapports mutuellement indépendants entre la police et les poursuivants.

En conclusion, la majorité de la Cour a déterminé qu’en l’espèce, les agissements des deux procureures visées par la poursuite ne pouvaient être qualifiés de répréhensibles, ou même d’erreur de jugement. Le pourvoi est donc accueilli et la Cour donne droit à la requête en rejet de la demande des policiers. La juge Côté est dissidente.

 

 

Vera Camacho c. R., 2021 QCCA 683, 29 avril 2021

Disponible sur CanLII : https://canlii.ca/t/jfp70

Dans cet arrêt, l’appelant interjette appel d’une peine prononcée, laquelle le condamne à une période d’emprisonnement de quinze (15) ans, pour vingt (20) chefs d’infractions sexuelles diverses, dont sept à l’égard de mineures. L’appel proposé demande à la Cour d’appel d’intervenir à l’égard de la peine pour deux motifs. Comme premier moyen d’appel, l’appelant estime que l’obligation d’imposer des peines consécutives comme le prévoit l’alinéa 718.3(7)b) du Code criminel doit être déclaré contraire à l’article 12 de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette disposition prévoit que la peine qu’un tribunal inflige pour une infraction sexuelle commise contre un enfant est purgée consécutivement à celle qu’il inflige pour une infraction sexuelle commise contre un autre enfant. Comme deuxième moyen, l’appelant prétend que la peine de quinze (15) ans s’écarte manifestement des autres cas semblables. Il plaide que la juge devait répartir différemment les peines consécutives et concurrentes pour arriver à une peine de plus courte durée et donc qu’elle a erré dans l’application des principes de la proportionnalité et de la totalité.

Le juge Vauclair conclut que le libellé de l’alinéa 718.3(7)b) du Code criminel oblige le juge à imposer des peines consécutives dans les cas qui y sont mentionnés. Il souligne que les tribunaux ont toujours été conscients que la perpétration de plusieurs crimes distincts entraîne généralement, mais pas obligatoirement des peines consécutives. La décision d’infliger des peines concurrentes ou consécutives doit être traitée avec retenue. C’est le principe de la proportionnalité qui est primordial dans l’exercice de leur discrétion. Or, le paragraphe 718.3(7)b) C.cr. supprime ce pouvoir discrétionnaire au juge chargé de la détermination de la peine. Par conséquent, il déclare l’alinéa 718.3 (7)b) du Code criminel invalide et inconstitutionnel, car il est contraire à l’article 12 de la Charte.

Quant au deuxième moyen, le juge Vauclair en dispose en réitérant que la juge pouvait envisager d’imposer des peines consécutives sous réserve du principe de totalité. En l’espèce, l’appelant n’a relevé aucune erreur de la juge ni dans l’exercice ni dans le résultat pour que la Cour intervienne. La requête pour permission d’appeler de la peine accueillie.

La Cour rejette l’appel de la peine.