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Temps supplémentaire et obligations déontologiques : Le droit de gérance de l’employeur doit parfois céder le pas aux obligations déontologiques de ses salariés

Me Frédéric Nadeau

 

Normalement, une personne salariée doit obtenir l’approbation de son employeur avant d’effectuer des heures supplémentaires. Mais qu’en est-il lorsque cette personne est une professionnelle qui doit faire des heures supplémentaires non autorisées pour respecter des obligations imposées par son code de déontologie ? Dans cette situation, le code de déontologie prime et l’employeur doit rémunérer le travail additionnel, comme le rappelle l’arbitre Denis Nadeau dans une sentence arbitrale de grief rendue dernièrement.

Il s’agit du cas d’une infirmière affectée à une unité transitoire qui doit s’occuper de patients qui y sont transférés en raison du débordement de l’urgence. Ne voulant pas laisser ses patients sans surveillance, elle travaille durant ses périodes de pause. Elle réclame d’être payée pour ce travail supplémentaire à taux et demi. L’employeur refuse. Un grief est donc déposé.

Dans une sentence rendue le 30 mars dernier, l’arbitre Denis Nadeau accueille le grief et ordonne que le travail effectué durant le temps de pause soit rémunéré à taux et demi.

L’employeur n’a manifestement pas autorisé le travail supplémentaire, mais la plaignante invoque la nécessité de respecter les obligations strictes du Code de déontologie des infirmières et infirmiers, RRQ, c. I-8 r.9. Ce Code prévoit notamment l’obligation de ne pas abandonner un patient (art. 43), d’intervenir promptement auprès du patient lorsque son état de santé l’exige et de prendre les moyens raisonnables pour assurer la continuité des soins et traitements (art. 44).

Or, la plaignante a indiqué que, selon son jugement professionnel, elle ne pouvait pas quitter son unité parce qu’elle était la seule infirmière en poste durant le quart de nuit. L’arbitre conclut que l’employeur, dans ces circonstances, ne peut écarter les obligations professionnelles de ses salariés. Il cite favorablement un texte rédigé en 2005 par la Juge de la Cour d’appel Marie-France Bich, qui était alors arbitre de grief :

« Mais la superposition des qualités de professionnel et de salarié a d’autres effets. Par exemple, il est important de souligner que, les codes de déontologie étant d’ordre public, ils doivent être pris en considération aux fins de définir le contenu obligationnel du contrat d’emploi qui unit l’employeur à celui ou celle qui a choisi d’exercer sa profession dans le cadre d’un contrat de travail. D’une certaine façon, on pourrait dire que l’employeur qui embauche un professionnel pour œuvrer à ce titre hérite en même temps du faisceau des exigences et des contraintes qui entourent l’exercice de la profession en cause. L’employeur ne peut donc exiger d’un professionnel que celui-ci se comporte d’une façon contraire aux prescriptions de son code de déontologie, à celles du Code des professions lui-même ou, le cas échéant, à celles de la loi particulière et des règlements qui gouvernent son ordre et sa profession. »

S’appuyant sur la preuve administrée devant lui, l’arbitre conclut que la plaignante a assumé ses obligations professionnelles de surveillance clinique et qu’elle doit être rémunérée en conséquence pour la durée de ses pauses. En vertu des dispositions pertinentes de sa convention collective, cette rémunération correspond à 150% de son taux de salaire régulier.  

 

Commentaire

Au moment où la pandémie de la COVID-19 fait rage et que plusieurs services publics sont confrontés à des manques de personnel, il est important de rappeler l’existence et l’importance que doit revêtir cette autonomie professionnelle, issue des obligations déontologiques, dans le cadre des relations du travail.

Ainsi, les obligations de base du contrat de travail doivent s’interpréter à la lumière de l’autonomie professionnelle dont dispose la personne salariée assujettie à un code de déontologie. Suivant l’article 2085 du Code civil du Québec, la personne salariée s’oblige à « effectuer un travail sous la direction ou le contrôle d’une autre personne, l’employeur », dans la mesure où, évidemment, cette direction ou ce contrôle n’entre pas en conflit avec son code de déontologie.

De même, l’article 2087 C.c.Q prévoit : « l’employeur outre qu’il est tenu de permettre l’exécution de la prestation de travail convenue et de payer la rémunération fixée [. . .] ». La prestation de travail convenue, dans le cas d’une personne salariée assujettie à un code de déontologie qui relève de l’ordre public, est nécessairement une prestation de travail qui est effectuée dans le respect de ces normes déontologiques ; l’employeur est donc réputé avoir accepté ces normes déontologiques en embauchant la personne salariée à ce titre. 

Cette autonomie professionnelle doit également s’appliquer à des personnes salariées qui ne sont pas visées par le Code des professions mais qui sont néanmoins assujetties à un code de déontologie d’ordre public, comme les policiers.

FIQ – Syndicat des professionnelles en soins de l’Outaouais et Centre intégré de santé et des services sociaux de L’Outaouais (CISSSO) (Martine Gravel) 2020 QCTA 168 (Me Denis Nadeau ad.e., arbitre).

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