Dans un jugement en date du 5 novembre 2018 mettant en cause les cadres de premier niveau de la Société des casinos du Québec, la Cour supérieure a cassé une décision du Tribunal administratif du travail (« TAT ») qui avait déclaré inopérante l’exclusion des cadres de l’application du Code du travail, parce qu’elle portait atteinte à leur liberté d’association.
Essentiellement, la Cour considère que les entraves substantielles à la liberté d’association révélées par la preuve administrée ne sont pas attribuables à l’exclusion par l’État de l’application du Code du travail à l’égard des cadres, mais plutôt au comportement de l’employeur. Or, la Cour conclut que les cadres de la Société des casinos du Québec ont des recours juridiques à leur disposition pour faire respecter leur liberté d’association par leur employeur. La Cour considère que le TAT a erré en comparant la situation des cadres à celle d’un salarié couvert par le Code du travail. En effet, la protection constitutionnelle de la liberté d’association ne comprend pas, selon la Cour, l’obligation pour l’État de fournir un régime de rapports collectifs de travail spécifique.
Le recours devant le TAT avait été initié par l’Association des cadres de la Société des casinos du Québec (« l’Association »), laquelle représente certains cadres de premier niveau à l’emploi de la Société, soit les superviseurs des opérations (« SDO »). L’Association s’est formée en syndicat professionnel et elle a entrepris des négociations avec la Société. Au terme des discussions, la Société a refusé de signer une entente. Les demandes de l’Association acceptées par la Société ont plutôt été intégrées au Manuel de l’employéqui énumère les conditions de travail des SDO. L’Association a déposé une demande d’accréditation au TAT en demandant de déclarer inopposable l’exclusion des cadres prévue au Code du travail. Le TAT a d’abord entendu les arguments constitutionnels et a rendu une décision interlocutoire déclarant inopérant l’exclusion des cadres prévue à l’article 1 l) 1° du Code du travail.
Dans ses motifs, le TAT a conclu que l’Association ne bénéficiait pas d’une indépendance suffisante aux fins de l’exercice de sa liberté d’association. Il indiquait également que l’absence de recours en cas de négociation de mauvaise foi et l’absence d’application des dispositions entourant le droit de grève avaient pour effet de causer une entrave substantielle au droit de négocier des SDO. La Cour supérieure n’est pas de cet avis. Elle estime qu’un recours peut être entrepris par les cadres pour faire respecter l’obligation de négocier de bonne foi protégée par la liberté d’association ; elle indique aussi que le droit de faire la grève existe de façon indépendante à l’extérieur du régime prévu au Code du travail. Ainsi, l’inapplicabilité du Code du travailn’empêche pas les cadres de faire la grève.
La Cour supérieure identifie deux types de contestations constitutionnelles relatives à la liberté d’association : 1) la contestation d’une ingérence de l’État et 2) la réclamation d’une intervention positive de l’État. Ces deux types de contestations commandent des analyses différentes. Dans le cas d’une ingérence active de l’État, il suffit de déterminer si celle-ci constitue une entrave substantielle à la liberté d’association. Dans le cas d’un comportement passif, la Cour décrit le test applicable en trois volets :
- S’agit-il de la revendication d’un régime particulier ou de la possibilité d’exercer la liberté d’association ?
- L’exclusion des cadres constitue-t-elle une entrave substantielle à la liberté d’association ?
- L’État est-il responsable de l’entrave substantielle ?
La Cour supérieure, au terme de son analyse, indique que le recours de l’Association s’inscrit dans le deuxième type, soit la réclamation d’une intervention positive de l’État, plutôt que la contestation d’une ingérence.
La Cour distingue l’arrêt rendu par la Cour suprême du Canada en 2015 dans l’affaire Association de la Police Montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général) (arrêt « APMO ») du dossier de l’Association. Dans cet arrêt, la Cour suprême a jugé inconstitutionnelle l’exclusion des membres de la GRC de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Ce dossier présente une grande similitude avec le dossier de l’Association puisqu’il s’agit de deux situations où un groupe d’employés est exclu d’un régime législatif de rapports collectifs de travail par le biais d’une exception à une définition (« fonctionnaire » dans la Loiet « salarié » dans le Code).
La Cour supérieure y voit cependant des différences en ce qui concerne l’objet des dispositions législatives en cause. Selon elle, l’objet de l’exclusion des membres de la GRC était de leur imposer un régime de relations qui ne respectait pas leur liberté d’association. Par contre, l’exclusion des cadres de l’application du Code du travailn’a pas pour but de leur imposer un régime en particulier mais plutôt de les distinguer des salariés, afin de ne pas les placer en conflit d’intérêts en étant assujettis au même régime de relations de travail que les employés qu’ils supervisent.
Même si l’objet de la disposition législative n’est pas de brimer la liberté d’association des cadres, la Cour supérieure examine néanmoins si elle a pour effet de porter atteinte à cette liberté.
C’est dans le cadre de cette analyse que la Cour supérieure constate que la Société cause une entrave substantielle à la liberté d’association, notamment en modifiant unilatéralement et sans consultation préalable les conditions de travail applicables au SDO. Cependant, la Cour conclut que cette entrave n’est pas le fait de l’État, mais de l’employeur. Ainsi, comme la responsabilité de l’État n’est pas démontrée, la Cour ne peut conclure que l’exclusion des cadres de l’application du Code du travailviole la liberté d’association.
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