Le 28 avril 2016, la Cour supérieure de l’Ontario a accueilli un recours intenté par le Syndicat des travailleurs et des travailleuses des postes (STTP) qui conteste la constitutionnalité d’une la loi adoptée en 2011 imposant un retour au travail et fixant unilatéralement certaines conditions de travail. La Cour déclare la Loi inconstitutionnelle parce qu’elle viole la liberté d’expression et la liberté d’association protégées respectivement par les alinéas 2b) et 2d) de la Charte canadienne des droits et libertés (La Charte).
Cette décision s’inscrit dans la foulée de la nouvelle trilogie d’arrêts rendus par la Cour suprême sur les libertés syndicales en janvier 2015. Le texte de la décision est disponible à :
http://www.canlii.org/en/on/onsc/doc/2016/2016onsc418/2016onsc418.html
Les faits
En juin 2011, le gouvernement conservateur adopte la Loi sur le rétablissement de la livraison du courrier aux Canadiens, L.C. 2011 ch. 17 (la Loi). Cette loi fait suite à des négociations infructueuses en vue du renouvellement de la convention collective expirée depuis le 31 janvier de la même année entre le STTP et la Société canadienne des postes (l’employeur). Le STTP, craignant une telle législation, choisit d’effectuer une série de grèves rotatives et ponctuelles dans différentes régions du pays plutôt qu’une grève générale illimitée. Embêtée par ces grèves, la Société canadienne des postes déclenche un lock out général. La même journée, le gouvernement annonce l’adoption rapide d’une loi de retour au travail. La Loi est adoptée 11 jours plus tard.
Les principales caractéristiques de la Loi sont : 1) Le retour immédiat au travail ; 2) l’interdiction de faire toute grève ou tout lock out ; 3) l’imposition d’un arbitrage de type « choix d’une offre finale ; 4) L’imposition unilatérale de certaines conditions de travail soit les augmentations salariales et la durée de la convention collective ; 5) L’imposition de sanctions pénales sévères en cas de contravention à la loi.
Le texte de la loi : http://lois-laws.justice.gc.ca/PDF/2011_17.pdf
Après l’adoption de la Loi, les négociations se poursuivent et le STTP revoit ses propositions à la baisse alors que l’employeur durcit les siennes. Une entente est éventuellement conclue sans qu’un arbitre de différend ait à rendre une sentence.
La décision
S’inspirant largement des arrêts récents de la Cour suprême, le juge Firestone de la Cour supérieure de l’Ontario conclut que le Loi contrevient à la liberté d’association protégée par la Charte. En effet, la Loi constitue une entrave substantielle au droit à un processus véritable de négociation collective, tel que décrit dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour (voir les références ci-après).
Le juge analyse les circonstances factuelles afin de déterminer si l’équilibre des forces entre les parties syndicale et patronale a été déréglé ; ou, plus particulièrement, si la capacité des salariés à négocier collectivement leurs conditions de travail a été brimée de façon significative. Le juge estime que la privation du droit de grève imposée par la Loi eu cet effet. Il s’appuie notamment sur les changements de positions des parties durant les négociations tenues après l’adoption de la Loi.
Le juge n’accorde pas d’importance au fait que le STTP ait pu exercer son droit de grève pendant une certaine période de temps avant l’adoption de la Loi, contrairement aux salariés visés dans l’affaire Saskatchewan Federation of Labour qui avaient été privés de ce droit dès le départ. Pour le juge, la privation du droit de grève constitue une violation de la liberté d’association, peu importe la durée de cette privation.
Le juge rejette également l’argument selon lequel la poursuite des négociations après l’adoption de la Loi démontre l’absence d’entrave. Pour le juge, il n’est pas nécessaire de démontrer une entrave totale ; il suffit de démontrer que l’équilibre des forces en présence a été déréglé.
Le juge conclut également que la Loi porte atteinte à la liberté d’expression. Rejetant les arguments du Procureur général, il indique que la grève est une forme d’expression en soi, indépendante des activités accessoires que sont le piquetage et la distribution de tracts.
Dans le deuxième volet de son analyse, le juge estime que la violation ne peut se justifier dans une société libre et démocratique au sens de l’article 1 de la Charte. Bien que la Loi réponde à un objectif urgent et réel et que ses dispositions aient un lien rationnel avec l’objectif visé, le juge estime cependant que l’atteinte aux libertés fondamentales n’est pas minimale, comme le requiert le test de l’arrêt Oakes.
Le juge conclut que le mécanisme d’arbitrage imposé par la Loi pour remplacer le droit de grève ne permet pas de rétablir l’équilibre des forces. Il lui reproche principalement l’exclusion de certaines conditions de travail :
« Taking wage increases and the term of the agreement off the table was fatal to the constitutionality of the impugned legislation in the case at bar. »
Le juge déclare ainsi la Loi inconstitutionnelle et ce, rétroactivement à la date de son adoption, comme le veut le principe général en matière d’inconstitutionnalité des lois.
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