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La plainte pour manquement au devoir de représentation syndicale

Me Sophia M. Rossi

 

La plainte pour manquement au devoir syndical communément appelé, plainte selon l’article 47.2 du Code du travail, RLRQ, c. C-27 (ci-après « le Code »), soulève plusieurs questions auprès des syndicats.

Dans le présent article, nous examinons les fondements d’un tel recours, exposons les conditions d’ouverture et identifions le tribunal compétent pour en décider.

Fondement de la plainte pour manquement au devoir de représentation syndicale

Parmi les principes fondamentaux du droit du travail québécois se retrouve celui du monopole de représentation syndicale. C’est-à-dire qu’une fois que le syndicat est accrédité pour représenter un groupe donné de salariés, tous les salariés de ce groupe font partie de ce qu’on appelle l’unité de négociation et doivent, en vertu du Code, participer au financement du syndicat (cotisation syndicale) et ce, qu’ils aient ou non adhérés au syndicat[1].

Le monopole de représentation signifie aussi que l’accréditation détenue par le syndicat lui donne le droit et l’obligation de représenter, auprès de l’employeur, tous les salariés compris dans l’unité visée par cette accréditation et ce, dans le cadre de la négociation et de l’application de la convention collective. Cette représentation s’applique aux membres et aux non-membres du syndicat.

Pour l’application de la convention collective, le syndicat peut exercer les recours des salariés qu’il représente (principalement les griefs)[2]. En somme, le syndicat est le seul porte-parole autorisé des salariés de l’unité de négociation, en vertu du Code[3]

Ce monopole de représentation a donné lieu à de la jurisprudence établissant et délimitant la portée de l’obligation de représentation. Les obligations liées à la représentation syndicale et les recours en cas de manquement ont ainsi été inclus aux articles 47.2 à 47.6 du Code.  

Le recours pour manquement au devoir de représentation syndicale (la plainte selon l’article 47.2)

L’article 47.2 du Code prévoit qu’un syndicat ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire, ni faire preuve de négligence grave à l’endroit de tous les salariés compris dans une unité de négociation pour laquelle il a été accrédité.

Lorsqu’un salarié croit que le syndicat qui le représente a contrevenu à ces obligations, il peut porter plainte contre celui-ci auprès du Tribunal administratif du travail (ci-après « le TAT »). Cette plainte doit être soumise dans les six (6) mois de la connaissance de l’agissement dont le salarié se plaint[4].  

À titre d’exemple, un salarié pourrait prétendre à un tel recours si son syndicat omet (par mauvaise foi, de manière arbitraire ou discriminatoire ou en cas de négligence grave) de déposer un grief dans le délai prescrit à la convention collective pour contester son congédiement, l’empêchant ainsi de voir son congédiement annulé.

Le tribunal saisi du recours détermine alors si le syndicat a agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou discriminatoire ou s’il a fait preuve de négligence grave à l’endroit du salarié dans le cadre du traitement du grief qui le concerne.

Le tribunal ne se penchera pas, par ailleurs, sur le bien-fondé du congédiement. Cette décision demeure du ressort exclusif de l’arbitre de grief. 

Ainsi, si le TAT estime que le syndicat a contrevenu à l’article 47.2, il peut autoriser le salarié à soumettre sa réclamation à un arbitre pour que celui-ci en décide comme s’il s’agissait d’un grief valablement formé. Le syndicat pourrait alors devoir payer les frais encourus par le salarié. Le Tribunal peut aussi rendre toute autre ordonnance qu’il juge nécessaire selon les circonstances.

a) Compétence exclusive du TAT

Le TAT détient la compétence exclusive pour décider de toute demande découlant d’une contravention à l’article 47.2 du Code. Il existe toutefois deux exceptions pouvant donner ouverture à un recours devant les tribunaux de droit commun (Cour du Québec ou Cour supérieure)[5].  

Les voici :

dans les circonstances décrites par l’arrêt Dupuis c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 1306 ;

ou

lorsque cette demande se rattache à la vie associative ou à la régie interne du syndicat.

 

Première exception : l’affaire Dupuis

 Dans cette affaire, le salarié avait été privé de la possibilité de faire valoir ses droits à la suite d’un congédiement en raison de deux erreurs commises par le syndicat. La première erreur portait sur la procédure de grief et la deuxième erreur était à l’effet que le syndicat n’avait pas avisé le salarié qu’il disposait d’un recours contre lui en vertu de l’article 47.2 du Code.

La Cour avait vu dans cette affaire un degré supérieur d’injustice et d’iniquité justifiant la poursuite en responsabilité civile du salarié Dupuis contre son syndicat en Cour supérieure[6] et non devant le TAT. Il s’agit somme toute d’une situation exceptionnelle.

 

Deuxième exception: cas relié à la « vie associative » ou à la régie interne des affaires du syndicat

L’article 47.2 du Code ne s’applique pas à la « vie associative » et à la régie interne du syndicat, c’est-à-dire ce qui a trait aux relations entre le syndicat et ses membres.

Ceci inclut, par exemple, la destitution d’officiers syndicaux, l’appartenance et l’adhésion au syndicat, les modalités de vote en assemblée générale, les irrégularités dans l’application des statuts et règlements internes du syndicat ou un mauvais comportement de la part d’officiers envers un membre.

Un désaccord relevant de telles situations devra être contesté devant les tribunaux de droit commun et non pas devant le TAT.

 

Conclusion

En somme, en raison du monopole de représentation dévolue au syndicat, le syndicat et ses officiers syndicaux doivent s’assurer d’agir de manière diligente dans le traitement de tous les dossiers des membres compris dans son unité d’accréditation.

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[1] Noël c. Société d’énergie de la Baie James, [2001] 2 R.C.S. 207, au para. 41.

[2] Article 69 C.t.

[3]   Michel COUTU, Laurence Léa FONTAINE, Georges MARCEAU, Urwana COIQUAUD, Droit des rapports collectifs de travail au Québec, 2e édition, vol 1, Éditions Yvon Blais, au para. 322.

[4] Article 47.5 C.t.

[5] La Cour d’appel dans la décision récente, Syndicat des professionnelles et professionnels du gouvernement du Québec c. D.B., 2019 QCCA 459, rappelle ces deux exceptions.

[6] Dupuis c. Syndicat canadien des communications, de l’énergie et du papier, section locale 130, 2008 QCCA 837 (C.A., demande d’autorisation d’appel à la Cour suprême rejetée, 18 octobre 2008, n°32711).