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LE CYBER-PIQUETAGE - Dernières tendances en droit du travail aux États-Unis 1/5

PAR ME FRÉDÉRIC NADEAU

 

Dans certains de ses numéros parus récemment, le Harvard Law Review élabore sur divers thèmes émergeants en droit du travail aux États-Unis. Nous croyons intéressant d’en faire un compte-rendu sommaire dans une série d’articles qui débute avec celui-ci.

 

Dans son édition de juin 2023, le Harvard Law Review développe le concept de cyber-piquetage visant à permettre l’évolution de ce moyen de pression afin de l’adapter à la réalité du commerce en ligne[1]. On rappelle d’abord les trois objectifs principaux du piquetage : 1) informer le public de l’existence d’un conflit de travail chez l’employeur visé ; 2) dissuader le consommateur de fréquenter l’établissement de l’employeur durant le conflit afin de l’amener à le régler ; 3) imposer au consommateur un choix symbolique entre soutenir la cause des travailleurs en s’abstenant de franchir la ligne de piquetage ou ne pas les soutenir en la traversant.

Ce modèle centenaire suppose la présence d’une place d’affaire physique devant laquelle les travailleurs peuvent se réunir et transmettre leur message. Il est protégé par l’article 7 de la National Labor Relations Act(« NLRA ») qui a reçu une interprétation sommes toute favorable au fil du temps par le National Labor Relations Board (« NLRB »). Par exemple, la jurisprudence indique que les travailleurs peuvent faire du piquetage devant l’établissement visé par le conflit ou devant tout autre établissement où l’employeur exerce ses activités, même s’il s’agit d’une filiale, d’une compagnie sœur, etc. Le droit des employés de faire du piquetage sur le terrain appartenant à l’employeur est aussi protégé.

Qu’en est-il des entreprises qui font affaire en ligne, comme Amazon ? Le Harvard Law Review propose un modèle qui s’inspire des lois en matière de vie privée qui forcent les sites internet à défiler une banderole permettant à l’internaute d’exercer le choix d’accepter les cookies ou non avant de poursuivre sa route sur le site.

Dans le cas du cyber-piquetage, une telle banderole apparaîtrait pour informer l’internaute de la présence d’un conflit de travail chez l’entreprise et du fait qu’il y a une ligne de piquetage virtuelle devant le site de vente en ligne. L’internaute devrait alors « choisir » de franchir la ligne de piquetage en cliquant sur le bouton approprié dans la banderole. S’il choisit de franchir la ligne de piquetage, il aurait alors accès au site internet sans autre formalité.

Évidemment, une telle proposition n’est pas sans soulever certaines difficultés d’application, à commencer par la rédaction du texte de la banderole. Selon le Harvard Law Review, c’est le syndicat qui devrait élaborer le message, tout comme il le fait sur une ligne de piquetage conventionnelle.

Comment ensuite amener un employeur à mettre sur son site internet cette banderole ? Il est évident que le syndicat devrait, dans tous les cas, assumer les frais de la mise en place de celle-ci. Pour l’instant, la seule voie envisageable par le Harvard Law Review est celle des tribunaux. Un syndicat demande à un employeur de mettre en ligne une banderole de cyber-piquetage, celui-ci refuse et le syndicat s’adresse ensuite aux tribunaux, soit le NLRB, pour obtenir une ordonnance en vertu de la NLRA. Les dispositions de cette loi qui protègent l’activité syndicale semblent suffisamment larges, à première vue, pour permettre un tel recours.

Un recours de cette nature comporterait néanmoins son lot d’écueils. Au premier chapitre, le Harvard Law Review identifie un argument sur la liberté d’expression. Cette liberté comprend le droit de ne pas être forcé de livrer un message (« Compelled Speech Doctrine ») qui pourrait être invoqué par les employeurs pour contester une ordonnance les obligeant à modifier le contenu de leur site internet. Il reste que le message serait clairement identifié comme émanant du syndicat et ne reflèterait évidemment pas l’opinion de l’employeur qui ne fournirait que le moyen de transmission. En cela, selon le Harvard Law Review, la situation ne diffère pas de celle de l’employeur qui doit permettre à des travailleurs de faire du piquetage sur son terrain dans le cas d’un commerce tenu dans un lieu physique.

Qu’en est-il au Québec où l’activité de piquetage jouit d’une protection constitutionnelle ? Bien que cette protection pourrait faciliter une démarche pour faire reconnaître le cyber-piquetage, il reste que la modification des lois du travail demeure la façon la plus simple d’adapter le piquetage aux réalités du 21ième siècle. Cette avenue pourrait être particulièrement utile dans le cas d’entreprises qui fonctionnent en mode hybride, soit avec des magasins conventionnels et un site de vente en ligne.

 


 

[1] Harvard Law Review, volume 136, numéro 8, Juin 2023, page 2108.