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Le T.A.T. déclare inopérant l'article 1l) du Code du travail qui prive les cadres du recours à l'accréditation syndicale

La juge administrative, Irène Zaïkoff, a rendue une décision historique, permettant à des cadres d’Hydro-Québec et de la Société des casinos du Québec de se syndiquer en déclarant l’article 1L) par. 1° du Code du travail  inopérant dans le cadre de la requête en accréditation des deux associations ( l’ACSCQ et L’APCPNHQ). Les cadres concernés par cette décision sont les cadres de premier niveau des deux sociétés d’État.

Les prétentions des associations

Les associations plaident conjointement que l’exclusion des cadres du Code entrave substantiellement leur droit à un véritable processus de négociation collective. Elles soulèvent l’insuffisance de l’indépendance de l’association et l’impossibilité de négocier collectivement des conditions de travail. De plus, elles soulignent l’absence de mécanismes permettant d’établir un rapport de force entre les parties : l’absence de recours à un tribunal spécialisé pour sanctionner un manquement à l’obligation de négocier de bonne foi;  le non-accès à un mécanisme impartial et exécutoire afin de régler les litiges découlant de l’entente pour des conditions de travail; la privation du droit de grève ou d’un mécanisme de substitution en cas d’impasse lors des négociations, droit reconnu comme fondamental par l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour en 2015. Elles soulignent que cette atteinte à la liberté d’association n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique et que les objectifs de cette exclusion n’ont pas fait l’objet d’une preuve appropriée. Elles demandent la déclaration d’inconstitutionnalité.

Les prétentions des employeurs, les sociétés et de la Procureure Générale du Québec

Les employeurs et la PG prétendent qu’il importe de faire une distinction entre le droit d’association et le droit à l’accréditation. L’ACSCQ et L’APCPNHQ devaient donc démontrer que l’exclusion du Code rend impossible la constitution d’une association et entrave substantiellement l’exercice de la liberté d’association, ce qu’elles ont échoué à faire. Selon les employeurs, les associations revendiquent un modèle précis afin d’obtenir le monopole de représentation et les autres droits qui découlent du Code, ce qui n’est pas protégé par la liberté d’association.

Motifs de la juge Zaïkoff

Suite à une étude approfondie de l’évolution historique et jurisprudentielle de la liberté d’association, la juge a estimé que l’exclusion des cadres de la définition de salariés dans le contexte soumis porte atteinte à la liberté d’association garantie par l’article 2 d) de la Charte canadienne et par l’article 3 de la Charte québécoise et qu’elle n’est pas justifiée dans une société libre et démocratique.

La juge énonce que bien que l’objet de l’exclusion des cadres au régime du Code du travail vise à prévenir les conflits d’intérêts, le résultat véritable de cette exception est d’empêcher les cadres de négocier collectivement. Ainsi, les effets de cette exclusion entravent substantiellement le processus véritable de négociation collective des associations demanderesses, droit qui a été formellement reconnu comme protégé par l’article 2 d) de la Charte canadienne par la Cour suprême dans l’arrêt Health Services & Support et réitéré par la Cour Suprême dans des arrêts subséquents, notamment dans la trilogie de 2015[1]. La preuve révèle qu’actuellement les cadres concernés bénéficient uniquement du droit d’être consultés, donc de soumettre des représentations à l’employeur et au droit que celui-ci les prennent en considération, ils ne possèdent aucun droit à un véritable processus de négociation. De plus, l’indépendance des associations est incomplète et leur reconnaissance dépend entièrement de leur employeur respectif. Ils n’ont pas plus accès à un mécanisme permettant d’assurer le respect des obligations de négocier de bonne foi et avec diligence. L’absence d’un mécanisme permettant de sanctionner l’obligation de négocier de bonne foi et la suppression du droit de grève sans autre alternative, contrairement au principe énoncé par la Cour suprême dans Saskatchewan Federation of Labour[2], ne permettent pas d’établir un rapport de force entre les cadres de premier niveau et les employeurs, et cela, constitue une entrave substantielle dans un tel contexte. Le statut des membres de l’ACSCQ et de l’APCPNHQ ne devrait pas avoir pour conséquence de les priver de leur droit de négocier leurs conditions de travail ni dispenser leur employeur de participer à un véritable processus de négociation.

La juge blâme l’État pour cette entrave substantielle, car contrairement à la prétention de la procureure générale du Québec, l’absence d’un régime de relations de travail pour les cadres ne s’inscrit pas dans un vide juridique. Elle est plutôt la conséquence de l’exclusion des cadres du régime général d’accréditation. Le juge déplore le non-respect des engagements internationaux du Canada en la matière, ce qui a été dénoncé à maintes reprises par le Comité de la liberté syndicale, organisme qui s’assure du respect des conventions internationales en matière de relations de travail[3]. Finalement, la juge conclut que cette atteinte n’est pas justifiée en regard de l’article 1 de la Charte canadienne et de l’article 9.1 de la Charte québécoise. Le gouvernement n’a pas démontré que l’objet de l’exclusion du statut de cadre, soit la prévention de conflits d’intérêts et de l’ingérence de l’employeur auprès des autres employés ainsi que le maintien d’un équilibre lors d’un conflit de travail, était un objectif réel et urgent. Le fait d’exclure de façon générale les cadres du régime d’accréditation n’a pas de lien rationnel avec l’objectif de maintenir la loyauté et l’absence de conflit d’intérêts. Bref, voir la syndicalisation comme un mode qui nuit nécessairement aux relations de travail est dépourvu de fondement. Par conséquent, la juge conclut l’exclusion prévu à l’article 1 L) 1° du Code du travail est inopposable aux parties demanderesses et elle ne peut empêcher l’examen de leurs requêtes en accréditation.

La décision de la juge Zaïkoff crée un précédent important, c’est un tournant pour les droits des travailleurs cadres, car ce jugement devrait ouvrir plusieurs portes aux associations semblables.

[1] Association de la police montée de l’Ontario du Canada ( Procureur général), [2015] 1 RCS 3., Meredith c. Canada (Procureur général) [2015] 1RCS 125, Sask. Fed of Labour c. Saskatchewan, [2015] 1 RCS 245.

[2] Sask. Fed of Labour c. Saskatchewan, [2015] 1 RCS 245.

[3] La Convention (n°87) sur la liberté syndicale et la protection du droit syndical, 1948 et La convention (n°98) sur le droit d’être protégé contre l’ingérence et le droit à la négociation collective.