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Loi 15: Ville de Montréal c. SPPMM et als (arbitre René Beaupré - 27 juin 2016)

ARBITRAGE
EN VERTU DE LA LOI FAVORISANT LA SANTÉ FINANCIÈRE ET LA PÉRENNITÉ DES RÉGIMES DE RETRAITE À PRESTATIONS DÉTERMINÉES DU SECTEUR MUNICIPAL (L.Q. 2014, C.15)

ENTRE :

ET :

VILLE DE MONTRÉAL

ET : ET :

SYNDICAT DES PROFESSIONNELLES ET PROFESSIONNELS MUNICIPAUX DE MONTRÉAL

ET

SYNDICAT PROFESSIONNEL DES SCIENTIFIQUES À PRATIQUE EXCLUSIVE DE MONTRÉAL

ET

SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS- LES ET DE BUREAU (SEPB), SECTION LOCALE 571 (JURISTE)

ET

SYNDICAT DES EMPLOYÉES ET EMPLOYÉS PROFESSIONNELS- LES ET DE BUREAU (SEPB), SECTION LOCALE 571 (ARCHITECTE)

LES « SYNDICATS » PROCUREURE GÉNÉRALE DU QUÉBEC

SYNDICAT CANADIEN DE LA FONCTION PUBLIQUE ET ALS* LES « INTERVENANTS »

Régime no : 28739 – Régime de retraite des professionnels de la Ville de Montréal

* Voir liste en annexe

SENTENCE INTERLOCUTOIRE

Demande de suspension d’audience

 

M. René Beaupré, CRIA
Me Frédéric Poirier, Bélanger Sauvé

Me Katty Duranleau, Trudel Nadeau

Me Michel Déom
Me Nathalie Fiset
Bernard, Roy (Justice Québec)

Me Laurent Roy, Roy Bélanger
Me Céline Allaire, Phillion Leblanc Beaudry Me Ronald Cloutier, SCFP
Me Yves Morin,
Lamoureux Morin Lamoureux
Me Guy Bélanger, Roy Bélanger Me Pierrick Choinière-Lapointe, SEPB
Me Sophie Cloutier, Poudrier Bradet
Me Maude Pépin-Hallé, Laroche Martin
Me Julien David Hobson,
Roy Bélanger

Montréal

Date de la sentence : 27 juin 2016

Dossier no RB-1602-10754-RR Sentence n° 258-16

I. QUESTIONS EN LITIGE

[1] Est-ce que le présent tribunal a les pouvoirs de suspendre l’audience dans l’attente de la décision de la Cour supérieure sur cette question et, si oui, quels sont les critères applicables en semblable matière ? De façon incidente, le soussigné a-t-il les pouvoirs nécessaires, en vertu de la Loi favorisant la santé financière et la pérennité des régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal [L.Q. 2014, c.15] (ci-après appelée la Loi 15), pour se prononcer sur le caractère inopérant et l’inapplicabilité constitutionnelle de cette loi ? Tels sont les questions soulevées par la requête déposée par les Syndicats et auxquelles répond la présente sentence interlocutoire.

II. INTRODUCTION

[2] L’Employeur et les Syndicats ont choisi le soussigné, conformément à l’article 39 de la Loi 15 afin de trancher leur différend concernant les modifications à apporter au régime de retraite découlant de cette loi.

[3] En conférence préparatoire, le 21 mars 2016, la procureure syndicale informe le soussigné qu’elle entend formuler une requête demandant la suspension de l’audience jusqu’à ce que les tribunaux de droit commun disposent des questions constitutionnelles invoquées par les Syndicats à l’encontre de la Loi 15. Une audience est d’abord fixée le 11 mai 2016, puis reportée au 16 mai 2016 pour entendre cette requête.

[4] Entretemps, le tribunal reçoit des demandes d’interventions de la part de la plupart, sinon de la totalité des Syndicats visés par ladite loi afin de faire valoir leurs prétentions sur la requête des Syndicats.

[5] Les parties conviennent de permettre une intervention amicale (art. 185 et 187 NCPC) des intervenants, limitée à une présentation par un seul avocat de ces derniers et portant uniquement sur les moyens préliminaires allégués concernant la validité de la Loi15 et l’émission d’une ordonnance relative à la suspension des audiences. Me Laurent Roy sera désigné pour présenter les arguments des intervenants.

[6] Chacun de ces intervenants a déposé devant la Cour supérieure une requête introductive d’instance en jugement déclaratoire similaire à celle déposée par les Syndicats visant à faire déclarer invalide et inopérante la Loi 15. L’honorable juge Benoit Moulin est saisi de toutes ces requêtes et, dans le compte rendu d’une conférence de gestion d’instance tenue le 30 mai 2016, il y est indiqué que la cause ne sera pas entendue avant l’automne 2017, au plus tôt, et aura une durée entre 65 et 130 jours.

[7] Par ailleurs, les Syndicats font parvenir un avis d’intention, selon l’article 76 et ss NCPC, à la Procureure générale du Québec, l’informant qu’ils entendent soumettre au soussigné le caractère inopérant de même que l’inapplicabilité constitutionnelle de la

Loi 15 et, pour cette raison, l’inopposabilité de ladite loi. Enfin, ils demanderont au soussigné de surseoir à l’arbitrage du différend dont il est saisi.

[8] Le 1er juin 2016, mon collègue Claude Martin rend une sentence interlocutoire1 dans un dossier similaire à celui dont le présent tribunal est saisi entre la Ville de Montréal et la Fraternité des policiers et policières de Montréal. Le soussigné demande aux procureurs de soumettre leurs commentaires à l’égard de cette décision. Le 13 juin, le tribunal prend le dossier en délibéré.

[9] Lors de l’audience du 16 mai devant le soussigné, les procédures instituées devant la Cour supérieure par les Syndicats et les Intervenants, sont produites de même que les conventions collectives liant les parties patronale et syndicale. Dans le cadre des commentaires sur la décision mentionnée plus haut, le soussigné est saisi du compte rendu de la rencontre de gestion d’instance du 30 mai 2016 à la Cour supérieure.

III. PLAIDOIRIES

PARTIE SYNDICALE

[10] La partie syndicale soutient dans un premier temps que le présent tribunal a compétence pour se prononcer sur les questions constitutionnelles et les déclarer inopérantes même si le soussigné n’a pas le pouvoir de prononcer l’invalidité de la Loi 15. À l’appui de cette prétention, la procureure réfère à l’article 632 du NCPC qui prévoit que l’arbitre « a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence, y compris… de statuer sur sa propre compétence. »

[11] Le présent tribunal est un tribunal statutaire soumis au pouvoir de contrôle de la Cour supérieure. Il faut un retrait explicite du pouvoir du tribunal pour renverser la présomption du pouvoir de trancher les questions constitutionnelles accordées aux tribunaux statutaires ou consensuels, selon les enseignements de la Cour suprême, et notamment ceux du juge Gonthier, dans l’arrêt Nouvelle-Écosse2.

[12] Si le tribunal a la compétence pour trancher ces questions, il n’est toutefois pas opportun, selon les Syndicats, que le soussigné se saisisse de cette question, car le débat est déjà devant la Cour supérieure et il est donc légitime, justifié et opportun d’éviter que le débat se déroule devant plusieurs instances.

[13] À cet effet, la procureure insiste pour préciser que la demande syndicale en est une de suspension d’audience et non d’un sursis d’application de la Loi. La première se distingue de la seconde d’une part parce qu’il s’agit d’une simple décision de gestion d’instance, comme une demande de remise, qui ne remet pas en cause l’applicabilité

1Ville de Montréal et Fraternité des policiers et policières de Montréal et Procureure générale et SCFP et al, Me Claude Martin, arbitre, 1er juin 2016.
2Nouvelle-Écosse (Workers’ Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 R.C.S. 504.

de la Loi, mais plutôt en reporte son analyse une fois que la Cour se sera prononcée sur la légalité de celle-ci.

[14] Il est opportun de suspendre l’audience pour une saine administration de la justice parce que, selon les enseignements de la juge Hélène Langlois, dans la décision Manioli Investments 3, il y a un lien indéniable entre le débat devant la Cour supérieure et celui dont je suis saisi, la suspension du recours permet d’assurer le respect de la règle de proportionnalité, il y a un risque de jugements contradictoires relativement aux questions soumises et l’absence de suspension aurait pour effet de multiplier inutilement les procédures et les coûts pour les parties.

[15] Tous ces motifs pour ordonner la suspension d’audience sont réunis, mais aussi, le présent tribunal est saisi uniquement du recours des présents syndicats alors que la Cour supérieure aura le bénéfice d’avoir une vue d’ensemble et une perspective globale sur la validité de la Loi 15. De plus, le présent tribunal n’a pas une expertise particulière susceptible d’éclairer la Cour sur les enjeux constitutionnels discutés en l’espèce.

[16] Par ailleurs, procéder au présent dossier sans être éclairé sur la validité constitutionnelle de la Loi 15 pourrait amener le présent tribunal à rendre une décision illégale alors que ce dernier est tenu de statuer selon la règle de droit.

[17] Il est donc opportun, efficace, équitable, juste et dans l’intérêt supérieur de la justice que le présent tribunal suspende l’audience jusqu’à ce que la Cour supérieure se soit prononcée sur la validité constitutionnelle de la Loi 15.

[18] À l’appui de ses prétentions, la procureure soumet les autorités suivantes :

Hogg, Peter W. Constitutionnal Law of Canada, Volume1, Fifth Edition Supplemented 2007, Carswell, p.40-49 ;

Barin, Babak et Rigaud, Marie-Claude, L’arbitrage consensuel au Québec, 3e édition, Éditions Yvon Blais, p. 261 ;

Garant, Patrice, Droit administratif, 6e édition, Éditions Yvon Blais, 2010, p. 515 ; West Jet c. Nicole Chabot [2016] QCCA 584 ;
Cuddy Chicks Ltd c. Ontario [1991] 2 R.C.S. 5 ;
Neartic Nickels mines Inc. c. Canadian Royalties Inc. [2012] QCCA 385 ; Desputeaux c. Éditions Chouette [2003] 1 R.C.S. 178 ;

Douglas/Kwantlen Faculty Ass. c. Douglas College, [1990] 3 R.C.S. 570 ; Tétrault-Gadoury c. Canada (C.E.I.) [1991] 2 R.C.S. 22 ;
Nova Scotia (W.C.B) c. Martin [2003] 2 R.C.S. 504 ;
Cooper c. Canada (CDP) [1996] 3 R.C.S. 854 ;

Paul c. Colombie-Britannique (Forest Appeals Commission,) [2003] 2 R.C.S. 585 ;

3

Manioli Investments inc. c. Les Investissements M.L.C., [2008] QCCS 3637.

Okwuabi c. Commission scolaire Lester B. Pearson, [2005] 1 R.C.S. 257 ; R. c. Conway, [2010] 1 R.C.S. 765 ;

Association des cadres de la Société des casinos du Québec c. Société des casinos du Québec inc. et al [2010] QCCRT 0187 ;
Syndicat de l’enseignement de la région de Québec et Commission scolaire de la capitale, T.A. Me Jean-Pierre Villagi, 05-10-2010 ;
Milonais et CRSSS de la Montérégie, T.A. Me Michel Bergevin, arbitre, 15 septembre 1983 ;
Société canadienne des postes et Syndicat des travailleurs et travailleuses des postes, T. A., Me Claude Lauzon, 17 septembre 1996 ;
Sûreté du Québec et APPQ, T.A. Me André Bergeron, 25 février 2010 ;
Syndicat des professionnels de la société de transport de la CUM et Montréal (Société de transport de la Communauté urbaine de) T. A., Me Marie-France Bich, arbitre, 1er octobre 1992 ;
Henry Stopnicki c. Ministre de l’Éducation et P.G. du Québec, TAQ, section des Affaires sociales, 2 mars 2004 ;
Brian Mulroney c. Karheinz Schreiber, C.A. [2009] QCCA 116 ;
Syndicat des copropriétaires c. Le Verre-Bourgc. Robert Delarosbil et al., [2012]
QCCS 1750 ;
Manioli Investments inc. c. Les Investissements M.L.C., 2008 QCCS 3637 ;
Salah Helbawi c. Abel Helbawi, 2015 QCCQ 3073 ;
Nova constructions (Marcel Parent) c. Revêtements Alnordica inc., 2002 CanLII 62331 (QCCA) ;
Jacques Chaoulli c. P.G. du Québec et al, C.A. 24-01 2003.
PARTIE PATRONALE

[19] Pour l’Employeur, la requête du Syndicat est assimilable à une demande de suspension d’instance ou un sursis, car il faut évaluer l’effet réel de cette demande. Dans les faits, accorder la demande du Syndicat équivaut à suspendre l’application de la Loi jusqu’à ce qu’une décision finale soit rendue sur la validité constitutionnelle de la Loi.

[20] Or, la Loi 15 est présumée valide et le tribunal n’a pas compétence pour statuer sur la dimension constitutionnelle de la Loi ni pour accorder une suspension d’instance qui, selon la jurisprudence, est assimilable à une mesure provisionnelle.

[21] En effet, les articles du Nouveau Code de procédure civile qui s’appliquent au présent recours n’accordent pas de tels pouvoirs à l’arbitre nommé en vertu de la Loi 15. En effet, c’est l’article 638 du NCPC qui permet à l’arbitre d’accorder de telles mesures provisionnelles et cet article n’est pas inclus dans les articles mentionnés à l’article 48 de la Loi 15 s’appliquant à l’arbitrage en vertu de la Loi.

[22] L’arbitre nommé en vertu de la Loi 15 n’a pas les mêmes pouvoirs qu’un arbitre de grief nommé en vertu du Code du travail, car la Loi 15 ne contient pas une disposition similaire à celle prévue à l’article 100.12G du Code du travail, qui permet à l’arbitre de rendre toute décision propre à sauvegarder les droits des parties. Les pouvoirs de l’arbitre nommé en vertu de la Loi 15 sont prévus aux articles 46 et 48 de cette loi et n’incluent pas le pouvoir de suspendre l’instance.

[23] L’article 632 du NCPC, sur lequel s’appuient les Syndicats pour formuler leur demande n’a pas la portée que ces derniers veulent bien lui donner, car cet article ne vise que la gestion de l’instance durant son déroulement et ne peut permettre l’octroi de mesures provisionnelles telles que demandées.

[24] Il faut se rappeler que la Loi 15 donne un délai de six mois à l’arbitre, à compter du moment où il est saisi du dossier pour rendre décision. Ce délai ne peut être suspendu sans enfreindre la Loi.

[25] Subsidiairement, si le tribunal en venait à conclure qu’il a le pouvoir de suspendre l’audience, ce sont les critères retenus par le juge Beetz dans l’arrêt Metropolitan Stores4 qui doivent s’appliquer pour l’octroi d’une telle suspension. Or, ces critères sont similaires à ceux d’une injonction interlocutoire, soit l’apparence de droit, le préjudice irréparable et la balance des inconvénients.

[26] Or, si la Ville est prête à reconnaitre qu’il existe une question de droit sérieuse, elle considère qu’il n’y a aucune preuve d’un préjudice irréparable et la balance des inconvénients doit être évaluée en tenant compte qu’il s’agit d’une loi d’ordre public qui est présumée valide et qu’il faut d’abord prendre en considération l’intérêt public dans l’analyse de cette balance des inconvénients.

[27] La requête syndicale ne rencontre donc pas deux des trois critères retenus par la jurisprudence pour accorder une suspension d’instance et le tribunal devrait rejeter sa requête.

[28] À l’appui de ses prétentions, le procureur dépose les autorités suivantes :

Journal des débats de l’Assemblée nationale du 30 septembre 2014 ;
Journal des débats de l’Assemblée nationale du 20 novembre 2014 ;
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd [1987] 1 R.C.S. 110 ;
Québec (procureur général) c. Commission des relations du travail, 2006 QCCS 5992 ;
Paul Azeff c. Marchés mondiaux CIBC inc., CanLII 2014 QCCRT 52 ;
2431-9006 Québec Inc. (Alma Toyota) c. Québec (Procureure générale), 2015

4

QCCS 6118 ;
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd, [1987] 1 R.C.S. 110

Pages jaunes Solutions numériques et médias Ltée et Syndicat des employés professionnels-les et de bureau, section locale 574 (CTC-FTQ), Me Claude Martin, arbitre, AZ-51263523 ;
Québec (Procureure générale) c. Lord, Cour d’appel du Québec, AZ-50076190 ;
Turmel c. 3092-4484 Québec inc. [1994] RDJ 530 ;
Natrel Inc. c. F. Berardini Inc., Cour d’appel du Québec, [1995] RDJ 383 ;
Code de procédure civile : commentaires et annotations, sous la direction de Luc Chamberland, Éditions Yvon Blais.

LA PROCUREURE GÉNÉRALE

[29] Pour le représentant de la Procureure générale, le présent tribunal n’est pas un tribunal juridictionnel et n’a donc pas les pouvoirs de trancher des questions constitutionnelles et n’a pas non plus les pouvoirs d’accorder une suspension d’audience, comme demandé par les Syndicats.

[30] Sur la question du statut du tribunal, l’arbitre de la Loi 15 n’est pas un tribunal judiciaire ou juridictionnel parce qu’il n’a pas de litige à trancher entre les parties et il n’est donc pas nécessaire d’interpréter une loi pour décider du différend entre les parties sur les modifications à apporter à leur régime de retraite pour le rendre conforme aux règles prévues par la Loi 15.

[31] Le tribunal doit se demander si le législateur avait l’intention de lui attribuer une compétence pour trancher une question de nature constitutionnelle. Or, pour la Procureure générale, il ne pouvait avoir une telle intention étant donné les délais octroyés pour rendre sentence.

[32] Se référant à l’arrêt Conway5 de la Cour suprême, la Procureure générale soutient que les critères permettant de présumer que l’arbitre a la compétence expressément ou implicitement pour trancher une question de droit découlant d’une disposition législative, incluant la Charte, ne se retrouvent pas dans la Loi 15. Il faudrait une disposition similaire à celle qui se retrouve dans la Loi constitutive du TAQ ou du TAT qui mentionne que le tribunal « a le pouvoir de décider de toute question de droit ou de fait nécessaire à l’exercice de sa compétence ». Or, il n’y a rien de tel dans la Loi 15.

[33] Il en est de même en ce qui a trait à la compétence de suspendre l’audience. Il s’agit d’un pouvoir accessoire qui doit être prévu dans la convention d’arbitrage ou la loi attributive de compétence, ici la Loi 15.

[34] L’intention du législateur est de prévoir un processus urgent et rapide lorsque les parties n’ont pas réussi à s’entendre par le biais de la négociation ou de la médiation sur la modification du régime de retraite. Il est impensable que le législateur veuille

5 R. C. Conway, [2010] 1 R.C.S. 765.

 

permettre à l’arbitre de suspendre l’audience de façon à ne pas atteindre les objectifs de célérité fixés par la Loi.

[35] Par ailleurs, les pouvoirs de l’arbitre se retrouvent dans la Loi 15 et non dans le Code de procédure civile qui est là pour gérer l’instance pendant les audiences visant à trancher le différend entre les parties sur le régime de retraite. L’article 632 du NCPC, invoqué par le Syndicat, n’a pas la portée que ce dernier tente de lui donner.

[36] Subsidiairement, la Procureure générale réfère le tribunal à l’arrêt Metropolitan Stores, cité par la Ville, qui assimile très clairement la demande de suspension d’audience à l’injonction interlocutoire et applique les mêmes règles pour accorder une telle suspension.

[37] Si la Procureure générale admet, elle aussi, que la question de droit est sérieuse, elle considère qu’il n’y a aucune preuve d’un préjudice irréparable, d’autant plus que la requête introductive d’instance déposée par le Syndicat devant la Cour supérieure demande, comme conclusion, la remise en état des parties. Cela permet de croire que le préjudice subi, s’il en est, n’est pas irréparable.

[38] Concernant la balance des inconvénients, la Procureure générale reprend les mêmes arguments que la Ville en insistant sur l’importance pour le tribunal de présumer de la validité de la Loi et d’assurer son application en prenant d’abord la défense de l’intérêt public.

[39] Le représentant de la Procureure générale demande donc au tribunal de rejeter la requête des Syndicats et de procéder sur le fond du différend entre les parties.

[40] À l’appui de ses prétentions, il soumet les autorités suivantes :

R. c. Conway, [2010] 1 R.C.S. 765 ;
Meredith c Canada (Procureur général), [2015] 1 R.C.S. 125 ;
Okwuobi c. Commission scolaire Lester B. Pearson, [2005] 1 R.C.S. 257 ;
Canada (Commission des droits de la personne) c. Canadian Liberty Net, [1998] 1 R.C.S. 626 ;
Fonds de solidarité des travailleurs du Québec (FTQ) c. Commission d’enquête sur l’octroi et la gestion des contrats publics dans l’industrie de la construction, 2013 QCCS4864 (requête pour permission d’appeler rejetée, 2013 QCCA 1801) ;
Syndicat des employés professionnels-les et de bureau, section locale 573 (CTC-FTQ) c. Québec (Procureure générale), 2011 QCCS 4286 (requête pour permission d’appeler rejetée, 2011 QCCA 1564) ;
Les Placements Raoul Grenier inc. c. La Coopérative forestière Laterrière, C.S. no 160-05-000081-019, 24 mai 2002, J. Godbout ;
Manitoba (Procureur général) c. Metropolitan Stores Ltd [1987] 1 R.C.S. 110 ; Harper c. Canada (Procureur général), [2000] 2 R.C.S. 764 ;
RJR — MacDonald inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. 311 ;
Fédération professionnelles et professionnels de l’éducation du Québec (CSQ) et al c. Comité patronal de négociation de la commission scolaire Kativik et al, Tribunal administratif du travail (Division relations du travail), 2016 QCTAT 2258 (CanLII).

LES INTERVENANTS

[41] Le procureur reprend la nature de la requête présentée devant le tribunal : il s’agit d’une demande de suspension de l’audience et non d’une requête en sursis.

[42] C’est le demandeur qui détermine la nature du recours qu’il exerce et le terrain à l’intérieur duquel il désire soumettre sa requête et ce n’est pas aux défendeurs de dénaturer la demande pour leurs propres objectifs.

[43] La demande ne vise pas à paralyser la Loi, mais vise simplement à offrir une meilleure administration de la justice et elle satisfait aux critères déterminés par les différents tribunaux, tant judiciaires qu’administratifs, pour permettre l’octroi de la suspension d’audience, comme demandé.

[44] Le présent tribunal a la compétence pour entendre et être saisi des questions constitutionnelles et a le pouvoir d’en décider, mais il n’apparait pas aux Intervenants et aux Syndicats que c’est la procédure offrant les meilleures garanties de proportionnalité et permettant une meilleure administration de la justice.

[45] Répondant au représentant de la Procureure générale, il soutient que le présent tribunal est véritablement un tribunal statutaire et qu’il devra trancher des litiges tant en droit qu’en faits entre les parties dans l’exercice de sa compétence avant de décider du différend découlant de la Loi 15. En ce sens, il est un véritable tribunal statutaire et en a les pouvoirs.

[46] Il rappelle finalement que les décisions déposées par la partie syndicale et provenant de tribunaux judiciaires ou administratifs ayant accordé les suspensions d’audience, comme demandé dans le présent dossier, ont toutes été rendues postérieurement aux arrêts Metropolitan Stores, Harper ou RJR-MacDonald, citées par la Procureure générale. Elles ont, malgré tout, été traitées sur la base des critères soumis par les Syndicats.

LA DÉCISION VILLE DE MONTRÉAL ET FRATERNITÉ DES POLICIERS ET POLICIÈRES DE MONTRÉAL6

[47] Comme mentionné plus haut, le 1er juin 2016, mon collègue Claude Martin rend une décision relative à la demande de suspension des audiences dans un dossier découlant de l’application de la Loi 15. En plus des arguments soulevés par les Syndicats dans le présent dossier, la Fraternité conteste également son

6 Ibid note 1

assujettissement à cette loi. Ce dernier aspect ne change toutefois pas fondamentalement les arguments avancés pour l’obtention de la suspension d’audience.

[48] Au moment de rendre sa décision, mon collègue n’a pas accès au compte rendu de la Cour supérieure sur le calendrier des audiences relatives à la contestation par les Syndicats de la constitutionnalité de la Loi 15.

[49] Sommairement, l’arbitre décide que le tribunal de la Loi 15 est un tribunal statutaire ou administratif au sens usuel du terme, mais qu’il n’a pas le pouvoir ni expressément ni implicitement de décider de questions constitutionnelles. Il a par contre le pouvoir d’accorder une suspension d’audience. Pour ce faire, il conclut que les critères applicables en cette matière sont ceux découlant de l’arrêt de la Cour suprême dans l’arrêt Metropolitan Stores, mais qu’ils doivent toutefois être appliqués avec une certaine souplesse. Après analyse du dossier, il accorde la demande de suspension jusqu’au jugement de la Cour supérieure sur les recours entrepris par la Fraternité contestant la validité de la Loi et son assujettissement à celle-ci. L’arbitre considère que la balance des inconvénients penche en faveur de la Fraternité.

[50] Appelés à commenter cette décision, les procureurs des parties reprennent les arguments soumis devant le soussigné en approuvant les parties de la décision qui concourent à leurs prétentions et en critiquant celles rejetant leurs arguments.

IV. DÉCISION ET MOTIFS

[51] Par leur requête, les Syndicats demandent au présent tribunal de suspendre l’audience jusqu’à décision de la Cour supérieure quant à leur recours contestant la validité de la Loi 15. Ils insistent pour distinguer cette demande de celle d’un sursis en affirmant que leur demande ne vise qu’une meilleure administration de la justice en appliquant la règle de la proportionnalité et en évitant de faire un même débat sur la constitutionnalité de la Loi devant plusieurs instances avec les risques de décisions contradictoires et les coûts que cela comporte.

[52] Ils nient toute volonté de paralyser l’application de la Loi, se disant prêts à présenter leurs arguments sur la constitutionnalité de la Loi devant le soussigné si cela s’avérait ma décision de ne pas suspendre l’audience.

[53] Avant d’aborder les questions en litige, il m’apparait pertinent de faire un survol des objectifs de la Loi 15 et du processus de restructuration des régimes de retraite dans le secteur municipal prévu par la Loi.

OBJECTIFS DE LA LOI 15

[54] Dans les notes explicatives de la Loi, il est indiqué que les régimes de retraite à prestations déterminées du secteur municipal doivent être restructurés en vue d’en assainir la santé financière et en assurer la pérennité. La Loi prévoit un mécanisme visant à atteindre ces objectifs, sur lesquels il n’est pas nécessaire de s’étendre pour le moment.

[55] La Loi prévoit également un processus de restructuration à l’intérieur de délais très serrés, qui incluent une période de négociation d’une année7, pouvant être prolongée pour une période de trois mois renouvelable une seule fois8, au cours de laquelle les parties peuvent demander la conciliation9. En cas d’échec, le différend est soumis à un arbitre10 qui dispose d’une période de six mois, à partir du moment où il est saisi du différend, pour rendre sentence11.

[56] L’arbitre est choisi conjointement par les parties ou par le ministre, en cas de désaccord12. L’arbitre statue selon les règles de droit13 et doit prendre en considération un certain nombre d’éléments pour trancher le différend14. La décision de l’arbitre lie les parties dès qu’elle est rendue et n’est pas susceptible d’appel15. Toutefois, Retraite Québec peut demander une modification de la décision de l’arbitre en raison de sa non-conformité à la Loi 15 ou à la Loi sur les régimes complémentaires de retraite16.

[57] Les chapitres III et V du nouveau Code de procédure civile s’appliquent à l’arbitrage prévu par la Loi.17

[58] Il ressort de ces dispositions une préoccupation d’urgence du législateur dans l’atteinte des objectifs de la Loi et ce dernier met sur pied un mécanisme unique pour trancher le différend découlant de la restructuration des régimes de retraite.

[59] Mon collègue Serge Brault, agissant comme arbitre de grief dans une toute récente décision, dans le dossier Ville de Sherbrooke, s’exprime ainsi sur sa compréhension des objectifs du législateur en regard de la Loi 15 et des moyens mis en place pour y parvenir :

« [70] Non seulement la Loi exprime-t-elle une volonté d’agir, mais une volonté pressante et même impérieuse. La Loi impose une restructuration d’ensemble au secteur municipal et cela, dans un but explicite : assainir leur sécurité financière en vue d’assurer la pérennité des régimes de retraite municipaux. Même le titre de la Loi est sans équivoque et ne laisse guère place au doute. Aussi, l’interprétation à lui donner devra-t-elle privilégier l’atteinte de ces fins plutôt que pas.

[…]

7. Article 25, Loi 15.

8. Article 29,

9. Loi 15. Article 31, Loi 15.

  1. 10  Article 37, Loi 15.
  2. 11  Article 43, Loi 15.
  3. 12  Article 39, Loi 15.
  4. 13  Article 46, Loi 15.
  5. 14  Article 46, Loi 15.
  6. 15  Article 46, dernier alinéa, Loi 15.
  7. 16  Article 52, Loi 15.
  8. 17  Article 48, Loi 15.

[97] Les travaux parlementaires attestent de l’urgence perçue par le gouvernement à redresser la santé financière des régimes de retraite municipaux. Cette loi regorge en effet de dispositions qui sonnent la charge. Des exemples ? Les articles 4, 7, 8, 12, 16, 18, 20, 23, 25, 26, 28, 29, 31, 32, 36, 37, 40, 43, 50, 53, etc.

[98] Son but : imposer la modification fondamentale de ces régimes de retraite de trois façons : la négociation, la conciliation, l’arbitrage. C’est le chapitre 4 de la Loi qui en traite plus spécifiquement. Il englobe les articles 25 à 56.

[99] À l’évidence soucieux de diligence et même de célérité et consciente qu’on n’allait peut-être pas se bousculer aux tourniquets de la négociation ou de la conciliation, la Loi crée de toutes pièces un mécanisme de résolution par un tiers du différend qu’elle définit.

[100] Il s’agit d’un mécanisme d’arbitrage maison taillé sur mesure et chargé de la mission exclusive d’amener la modification des régimes.

[101] Il s’agit d’une législation d’exception en ce qu’elle s’éloigne résolument de celle relative aux rapports collectifs du travail. En font foi de manière éloquente ses dispositions suivantes :

53. L’existence d’une convention collective ou de toute autre entente en cours de validité n’empêche pas l’application de la présente loi.

56. Si une entente collective est en vigueur, une entente ou une décision de l’arbitre en application du présent chapitre qui en modifie les termes a l’effet d’une modification de l’entente collective. Si l’entente collective fait l’objet d’une négociation en vue de son renouvellement, l’entente ou la décision est, à compter de la date où elle prend effet, réputée faire partie de la dernière entente collective.

[102] Un autre trait qui fait exception à la législation du travail est le mécanisme de résolution des différends.

[103] Ainsi, contrairement à la sentence rendue par un arbitre de grief (Code du travail, art. 101) et Loi instituant le tribunal administratif du travail, (R.L.R.Q. c. T-15.1), art. 51), ou par un arbitre de différend agissant en vertu du Code du travail (art. 93), la décision de l’arbitre de la loi n’est pas exécutoire même si elle “lie les parties et n’est pas sujette à appel” (art. 46 de la Loi).

[104] En effet, aucune entente négociée (art. 30) ni conclue en conciliation (art. 35), ni aucune décision d’un arbitre (art. 47) de la loi ne sont jamais exécutoires. Toutes trois sont sujettes à enregistrement auprès de Retraite Québec (art. 50) accompagnées d’une nouvelle évaluation actuarielle (art. 51). Or, cet enregistrement n’est pas que simple formalité. »18 [Nos soulignés.]

18 Ville de Sherbrooke et Syndicat des pompiers et pompières du Québec, section locale Sherbrooke et als, Me Serge Brault, arbitre, 13 juin 2016.

[60] Le présent tribunal concoure à cette analyse des objectifs de la Loi et il doit en être tenu compte dans l’appréciation des questions soumises au présent tribunal.

POUVOIR DU TRIBUNAL DE SE PRONONCER SUR LES QUESTIONS DE NATURE CONSTITUTIONNELLE

[61] La première question à laquelle il est pertinent de répondre est de déterminer si le législateur a octroyé à l’arbitre nommé en vertu de la Loi 15 le pouvoir de trancher les questions de nature constitutionnelle ou d’interpréter d’autres lois que sa loi constituante.

[62] Il est pertinent de se prononcer sur cette question, d’une part, parce que les parties ont largement discuté de cette question devant nous, mais, surtout, parce que le Syndicat, alléguant que le tribunal a ce pouvoir, en tire un argument favorisant la suspension d’audience parce qu’alors, il y aurait risque de décisions contradictoires et de multiplication des recours basés sur cette question si l’on n’attend pas la décision de la Cour supérieure sur la validité de la Loi.

[63] S’il est clair que l’arbitre de grief a de tels pouvoirs en vertu de l’article 100.12 du Code du travail, tout comme les tribunaux administratifs, tels le Tribunal administratif du Travail (TAT)19 ou le Tribunal administratif du Québec (TAQ), en vertu de leur loi constituante, la compétence de l’arbitre nommé en vertu de la Loi 15 de se prononcer sur ces questions est moins claire.

[64] La doctrine et la jurisprudence nous enseignent qu’il faut examiner le mandat que le législateur a donné à un tribunal pour déterminer si ce dernier a la compétence de se prononcer sur son caractère constitutionnel.20

[65] L’arrêt Nouvelle-Écosse nous apparait le mieux circonscrire les balises à l’intérieur desquelles le soussigné doit évaluer cette question :

« 36 Il faut plutôt se demander si la loi habilitante accorde implicitement ou expressément au tribunal administratif le pouvoir d’examiner et de trancher toute question de droit. Dans l’affirmative, le tribunal sera présumé avoir le pouvoir concomitant d’examiner et de trancher cette question à la lumière de la Charte, à moins que le législateur lui ait retiré ce pouvoir. Ainsi, le tribunal administratif investi du pouvoir de trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative particulière sera présumé avoir le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition. En d’autres termes, le pouvoir de trancher une question de droit s’entend du pouvoir de la trancher en n’appliquant que des règles de droit valides

[…]

  1. 19  L.Q. ch. T-15.1, article 9.
  2. 20  Tétrault-Gadoury c. Canada (Commission de l’emploi et de l’immigration) [1999] 2 R.C.S. 22, p. 32.

41 En l’absence d’une attribution expresse de pouvoir, il faut se demander si le législateur a voulu conférer au tribunal administratif le pouvoir implicite de trancher les questions de droit découlant de l’application de la disposition contestée. Pour déterminer s’il y a attribution implicite de pouvoir, il est nécessaire d’examiner la loi dans son ensemble. Parmi les facteurs à prendre en considération, il y a la mission que la loi confie au tribunal administratif en cause et la question de savoir s’il est nécessaire de trancher des questions de droit pour l’accomplir efficacement, l’interaction du tribunal en cause avec les autres composantes du régime administratif, la question de savoir si ce tribunal est une instance juridictionnelle, ainsi que des considérations pratiques comme la capacité du tribunal d’examiner des questions de droit. Les considérations pratiques ne peuvent cependant pas l’emporter sur ce qui ressort clairement de la loi elle‐même, surtout lorsque priver le tribunal du pouvoir de trancher des questions de droit nuirait à sa capacité d’accomplir la mission qui lui a été confiée. Comme dans le cas de la compétence conférée expressément, si on conclut que le tribunal administratif a le pouvoir implicite de trancher les questions de droit découlant de l’application d’une disposition législative, ce pouvoir sera présumé englober celui de se prononcer sur la constitutionnalité de cette disposition. »21

[66] Le tribunal doit donc examiner si une disposition expresse lui permet de se prononcer sur toute question de droit et, sinon, si le législateur lui a conféré un tel pouvoir de manière implicite.

[67] Dans le présent cas, il n’existe pas, dans la Loi 15, une disposition expresse permettant au tribunal de décider de toute question de droit. L’article 48 de la Loi 15, qui édicte que le tribunal d’arbitrage doit statuer selon la règle de droit, n’est pas suffisant pour en conclure que le législateur a explicitement donné à l’arbitre le pouvoir de trancher des questions à la lumière de la Charte. Il faut une disposition prévoyant que le tribunal a le pouvoir de décider toute question de fait ou de droit nécessaire à la solution du litige. Il n’existe pas une telle disposition dans la Loi 15.

[68] La Loi confère-t-elle ce pouvoir de manière implicite ? Le juge Gonthier dans l’extrait précité indique les facteurs que le tribunal doit prendre en considération afin de déterminer une telle compétence implicite :

  •   la mission que la loi confie au tribunal ;
  •   la nécessité de trancher des questions de droit pour accomplir samission ;
  •   interaction du tribunal en cause avec les autres composantes du régimeadministratif ;
  •   le tribunal est-il une instance juridictionnelle ;
  •   la capacité du tribunal d’examiner des questions de droit.

21 Nouvelle-Écosse (Workmen Compensation Board) c. Martin, [2003] 2 RCS 504, paragr. 36.

[69] Il n’apparait pas que le législateur a voulu confier un tel mandat à l’arbitre nommé en vertu de la Loi 15. Sa mission est de régler, dans un court laps de temps, le différend entre les parties quant aux modifications à apporter à leur régime de retraite.

[70] Ce mandat est limité à des considérations très factuelles, telles que décrites à l’article 46 de la Loi : capacité de payer des contribuables, équité intergénérationnelle, pérennité du régime de retraite, respect du partage des couts et des objectifs de la Loi, congés de cotisation et améliorations apportées au régime, concessions antérieures qu’ont consenties les participants à l’égard d’autres éléments de la rémunération globale.

[71] À l’instar de mon collègue Claude Martin22, le soussigné ne croit pas que le législateur désirait faire de l’arbitre nommé en vertu de la Loi15, un tribunal administratif comparable à d’autres tribunaux administratifs québécois et la Loi 15 n’attribue pas à l’arbitre la compétence pour décider de questions de droit à la lumière de la Charte. Cela ne ressort ni de la mission confiée au tribunal ni du cadre légal choisi par le législateur pour trancher le différend entre les parties.

[72] Le tribunal en vient donc à la conclusion qu’il n’a pas le pouvoir de se prononcer sur les prétentions relatives à la conformité de la Loi 15 à l’égard des Chartes, contrairement aux prétentions des Syndicats.

POUVOIR DE L’ARBITRE D’ACCORDER LA SUSPENSION D’AUDIENCE

[73] Afin de me prononcer sur cette question, il apparait important de bien qualifier la demande formulée par les Syndicats.

[74] Cette question est fondamentale puisque cruciale dans la détermination juridique de la demande, car, selon l’angle sous lequel le tribunal analyse le dossier, les critères de détermination de cette demande et des pouvoirs de l’arbitre de la traiter seront bien différents.

[75] Les Syndicats, nous l’avons déjà dit, insistent pour que le tribunal analyse la demande sous l’angle d’une question de gestion d’instance et qu’elle ne soit pas assimilée à une demande de sursis de l’application de la Loi, comme cela a été le cas dans l’arrêt Metropolitan Stores, précité.

[76] D’ailleurs, le procureur des Intervenants a été très clair qu’il ne demande pas une suspension de l’application de la Loi, ce qui serait assimilable à une mesure provisionnelle selon le Code de procédure civile. C’est d’ailleurs pourquoi, renchérit le procureur des Intervenants, les Syndicats n’ont pas présenté de preuve sur le préjudice irréparable qu’ils subiraient si leur demande n’était pas acceptée ni sur la prépondérance des inconvénients. Ce n’est pas le terrain sur lequel ils voulaient situer le débat.

22 Ibid note 1, p. 25

[77] Les Syndicats et les Intervenants s’appuient plutôt sur l’article 632 dudit Code prévoyant que l’arbitre a tous les pouvoirs nécessaires à l’exercice de sa compétence et qu’il est maitre de sa procédure. La demande formulée par les Syndicats n’ayant qu’un seul but procédural, l’arbitre a le pouvoir de suspendre ainsi l’audience afin de permettre une meilleure administration de la justice et éviter la multiplication des recours en attendant la décision de la Cour supérieure sur la validité de la Loi 15.

[78] Si le dossier est analysé sous cet angle, le soussigné croit qu’effectivement l’article 632 du nouveau Code de procédure civile lui permet d’analyser la demande à la lumière des critères mentionnés notamment dans l’arrêt Manioli Investments23 et d’accorder une telle suspension si le dossier respecte ceux-ci.

[79] Par contre, comme l’a souligné, à juste titre, le procureur de la Ville, le pouvoir d’octroyer des mesures provisionnelles, tels le sursis ou la suspension d’instance ou encore une ordonnance de sauvegarde, est prévu, en vertu du nouveau Code de procédure civile, à l’article 638, au chapitre IV, relatif aux mesures d’exception. Or, l’article 48 de la Loi 15 ne réfère pas à cet article comme s’appliquant à l’arbitrage en vertu de ladite loi.

[80] Dans la mesure où le tribunal assimile le recours des Syndicats à une telle mesure provisionnelle, il devra donc décliner compétence, car la Loi ne lui attribue pas, selon le soussigné, le droit d’émettre un tel type d’ordonnance de suspension d’instance.

[81] Qu’en est-il donc de la demande formulée par les Syndicats ? Ces derniers ont répété à plusieurs reprises ne pas vouloir empêcher l’application de la Loi.

[82] Le présent tribunal a beaucoup de difficultés à suivre le raisonnement du Syndicat et, surtout, à y adhérer.

[83] Le juge Beetz, dans l’arrêt Metropolitan Stores, se prononce ainsi sur cette question :

« IV Les principes régissant l’exercice du pouvoir discrétionnaire d’ordonner une suspension d’instance pendant la contestation de la constitutionnalité d’une disposition législative

27. La deuxième question en litige commande une étude des principes régissant la suspension d’instance pendant que le demandeur conteste devant les tribunaux la constitutionnalité d’une disposition législative. »24

[…]
1) Les conditions normales de la suspension d’instance […]

La suspension d’instance et l’injonction interlocutoire sont des redressements de même nature. À moins qu’un texte législatif ne prescrive un critère différent, elles ont suffisamment de traits en commun pour qu’elles soient assujetties aux

  1. 23  Ibid, note 3, p 5.
  2. 24  Ibid note 4, p. 126,127.

mêmes règles et c’est avec raison que les tribunaux ont eu tendance à appliquer à la suspension interlocutoire d’instance les principes qu’ils suivent dans le cas d’injonctions interlocutoires :.. » [nos soulignés]

[84] Que demandent les Syndicats en la présente instance : ils demandent au tribunal de suspendre les audiences en attendant d’obtenir une décision des tribunaux sur la constitutionnalité de la Loi 15. Cela m’apparait tout à fait similaire à ce que le juge Beetz qualifie de suspension d’instance, sans égard aux distinctions sémantiques de suspension d’audience ou de suspension d’instance.

[85] Les faits sont d’ailleurs assez similaires dans les deux dossiers. Dans Metropolitan Stores, l’Employeur demande de suspendre l’instance pendant qu’il conteste la constitutionnalité du Labour Relation Act du Manitoba en alléguant qu’elle contrevenait à la Charte des droits et libertés. Les Syndicats, dans le présent dossier, allèguent la même chose à l’égard de la Loi 15. Dans les deux cas, les demandeurs revendiquent de suspendre l’audience jusqu’à décision des tribunaux supérieurs. Le juge Beetz considère qu’une telle demande doit être traitée selon les mêmes règles qu’une requête en injonction interlocutoire.

[86] Le soussigné, malgré tout le talent dont ont fait preuve les procureurs syndicaux pour convaincre le tribunal que leur demande ne constitue qu’une simple demande de gestion d’instance assimilable à une demande de remise, ne peut se convaincre de traiter la demande des Syndicats selon cette approche, compte tenu des effets inéluctables qu’aurait une telle suspension sur l’application de la Loi et l’atteinte de ses objectifs.

[87] Le présent tribunal a, le premier, l’avantage d’être saisi de l’échéancier des travaux devant la Cour supérieure (information que ne possédait pas mon collègue Martin au moment de rendre sa sentence). Il est maintenant connu que les audiences devant la Cour supérieure sur ces questions ne débuteront pas avant l’automne 2017, au plus tôt, et leurs durées sont évaluées entre 60 et 135 jours.

[88] Ainsi, la demande des Syndicats a pour effet de retarder l’application de la Loi 15 dans leur dossier jusqu’au plus tôt, l’automne 2018, alors que la Loi 15 prévoit un délai de six mois pour rendre sentence à compter du moment où l’arbitre est saisi du dossier.

[89] Même si nous faisons abstraction du caractère obligatoire ou non de respecter de façon absolue ce délai de six mois, ce délai démontre, à tout le moins, une volonté du législateur que l’arbitre procède avec diligence, voire avec une certaine urgence, pour paraphraser mon collègue Brault dans le dossier Ville de Sherbrooke.

[90] Nous avons déjà souligné que la Loi 15 vise à assurer la réalisation de ses objectifs de façon rapide et urgente. Le tribunal n’a pas à juger le bienfondé de la Loi et doit présumer de sa validité. 25

25 RJR- MacDonald Inc. c. Canada (Procureur général), [1994] 1 R.C.S. p. 346.

[91] Le soussigné a déjà décidé que la Loi ne lui attribue pas la compétence pour trancher les questions constitutionnelles soulevées par les Syndicats. Il doit présumer de la validité de la Loi, à cet égard aussi.

[92] Si les tribunaux judiciaires en venaient à décider du caractère inopérant de certains aspects ou de la totalité de la Loi, les Syndicats pourraient, selon la conclusion recherchée dans leur requête introductive d’instance, demander audit tribunal de remettre leur régime de retraite dans l’état où il se trouvait avant l’entrée en vigueur de la Loi.

[93] Par contre, la Cour supérieure ne pourra jamais remédier, le cas échéant, aux effets occasionnés par le retard à corriger les régimes de retraite à l’intérieur des délais prévus par la Loi 15, si une suspension d’audience est accordée.

[94] Le présent tribunal doit favoriser l’application de la Loi dont il présume la validité et décider du différend à l’intérieur des délais prévus à l’article 43 de la Loi 15.

[95] Le tribunal ne peut donc assimiler la demande des Syndicats à une simple demande de gestion d’instance compte tenu des conséquences inéluctables de paralysie de l’application de la Loi pendant au moins deux ans alors que le législateur a prévu un mécanisme qui exige de la célérité. Pour le soussigné cette demande s’assimile davantage à une demande provisionnelle de suspension d’instance, au sens formulé par le juge Beetz et, comme mentionné plus haut, la Loi 15 n’octroie pas ce pouvoir au tribunal.

[96] Par ailleurs, même si le tribunal avait cette compétence, il devrait analyser la demande des Syndicats à la lumière des enseignements de l’arrêt Metropolitan Stores, soit en analysant l’apparence de droit, le préjudice irréparable allégué par les demandeurs et la balance des inconvénients.

[97] Selon le soussigné, la partie syndicale doit alors démontrer la réalisation de ces trois critères.

[98] Or, si les parties reconnaissent la réalisation du critère du droit apparent, la preuve ne révèle pas de préjudice irréparable si la demande de suspension n’est pas accordée. On peut tout au plus présumer d’inconvénients pour remettre les parties en état, mais il ne s’agit que d’hypothèses qui n’ont pas été démontrées.

[99] Sur cette seule base, le recours pourrait être refusé. Mais la jurisprudence prévoit aussi que, lorsqu’une loi est remise en question dans le cadre d’une requête en suspension d’instance, le tribunal doit d’abord et avant tout considérer l’intérêt public et celui-ci doit recevoir toute l’importance qu’il mérite dans l’appréciation de la balance des inconvénients.

[100] Dans le présent dossier, l’objectif de la Loi vise à favoriser la santé financière et la pérennité des régimes de retraite du secteur municipal. L’intérêt public commande que l’atteinte des objectifs de la Loi se réalise tant pour les contribuables municipaux que pour les employés afin d’assurer la pérennité de leur régime de retraite. Il est important de rappeler que les délais de réalisation du processus de restructuration font parties intégrantes des objectifs déterminés par le législateur.

[101] Encore une fois, le présent tribunal n’a pas à juger du bienfondé des moyens utilisés par le législateur pour atteindre ses objectifs en regard des régimes de retraite, mais ils doivent être présumés en faveur de l’intérêt public.

[102] Conséquemment, même si le tribunal avait jugé avoir compétence pour trancher la requête en suspension d’instance, il aurait dû rejeter la requête syndicale.

V. DISPOSITIF

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL

REJETTE la requête en suspension d’audience demandée par les Syndicats ;

CONVOQUE les parties patronale et syndicale à la poursuite des audiences les 12, 13, 14 et 15 juillet 2016.

Montréal, le 27 juin 2016

__________________________________ René Beaupré, CRIA, arbitre

Dossier no RB-1602-10754-RR Sentence n° 258-16

ANNEXE

LISTE DES SYNDICATS INTERVENANT SUR LES MOYENS PRÉLIMINAIRES DU SYNDICAT CONCERNANT LA VALIDITÉ DE LA LOI15 ET L’ÉMISSION D’UNE ORDONNANCE DE SUSPENSION DES AUDIENCES.

Syndicat canadien de la fonction publique représentant 72 associations accréditées

Fraternité des policiers et policières de la Ville de Montréal

Fédération indépendante des syndicats autonomes (FISA)

Centrale des syndicats démocratiques (CSD)

Fédération des policiers et policières municipaux du Québec
représentant 28 associations affiliées

Association des pompiers de Montréal Association des pompiers professionnels de la Ville de Québec
Association des pompiers de Laval Association des pompiers et pompières
de Gatineau
Association des pompiers et pompières de l’agglomération de Longueuil

Confédération des syndicats nationaux Fédération des employées et employés du secteur public — CSN

Syndicat des pompiers et pompières du Québec

Syndicat des employées et employés professionnels et de bureau,
section locale 610

Me Ronald Cloutier et Me Yves Morin

Me Laurent Roy

Me Sophie Cloutier Me Sophie Cloutier

Me Guy Bélanger

Me Céline Allaire

Me Maude Pépin-Hallé Me Julien David Hobson

Me Pierrick Choinière-Lapointe