Dans l’affaire Fraternité des policiers et policières de Longueuil et Ville de Longueuil (16 avril 2024), a. Francine Lamy, grief 2020-08 amendé (disponible sur demande), plaidée par Me Frédéric Nadeau, associé principal au sein de notre cabinet, il était question de défectuosités et défaillances des ordinateurs ainsi que de leurs périphériques installés dans les voitures d’autopatrouille pour servir comme terminaux véhiculaires (ci-après, les « PTV »). Le PTV est une pièce d’équipement au cœur du travail de patrouille, qui sert notamment à effectuer des recherches dans les banques de renseignements de la police (le CRPQ) sur les lieux, consulter des rapports d’enquête, être géolocalisé en continu, se repérer ou repérer des collègues ainsi que le lieu d’un appel sur le territoire, etc.
La partie syndicale prétend qu’en contraignant les policières et policiers à utiliser des PTV vétustes et désuets, la Ville contrevient à l’article 31.12 de la convention collective qui prévoit que la Ville voit à ce que tous ses véhicules et pièces d’équipement soient « toujours en bon ordre ».
Le litige se limite à la réclamation syndicale de 1 000 $ pour chaque policière et policier affecté à la patrouille en guise de compensation pour le préjudice moral subi. En effet, le grief déposé en 2020 réclamait que les PVT soient remplacés, ce qui a été fait par la Ville en 2023.
Selon le syndicat, le mauvais fonctionnement des PTV pendant la période contemporaine au grief de 2020 et jusqu’à leur remplacement en 2023 constitue une contravention à la convention collective qui justifie l’octroi de dommages moraux.
De son côté, la Ville tente de justifier le délai pris pour procéder au changement des PVT par les contraintes et obligations qui lui sont imposées en matière contractuelle et par deux événements aussi imprévisibles qu’hors de son contrôle, une cyberattaque et la pandémie de la COVID-19. Elle nie avoir commis une faute pouvant l’exposer à indemniser les policières et policiers puisqu’elle juge avoir déployé les moyens raisonnables pour régler les problématiques soulevées et améliorer le rendement des PTV.
L’arbitre Francine Lamy se prononce sur la nature de l’obligation imposée à l’employeur par la clause 31.12 de la convention collective. Selon l’arbitre, cette clause impose à la Ville une obligation de moyen.
De plus, en utilisant l’expression « toujours en bon ordre », le Tribunal est d’avis que les parties ont voulu imposer à la Ville une obligation de moyen dont l’intensité est calquée sur le paragraphe 7 de l’article 51 de la Loi sur la santé et la sécurité au travail. La Ville est ainsi tenue de mettre en œuvre tout ce qui est raisonnable et nécessaire au maintien en bon ordre de ses véhicules. L’arbitre écrit :
[28] Ainsi, il ne suffit pas de prendre des moyens raisonnables, il faut appliquer tous les moyens raisonnables disponibles pour considérer que l’employeur a exécuté ses obligations. Il doit certes réagir et corriger, mais aussi agir positivement en amont pour éliminer les dangers pouvant potentiellement se manifester, empêcher la réalisation de ce qui est prévisible.
L’obligation de moyens de la Ville se déploie en deux volets : préventif et curatif. L’arbitre précise donc que l’employeur doit agir avec efficacité et diligence dans la mise en œuvre de toutes les mesures raisonnables 1) de nature préventive pour éviter les défaillances, dysfonctions, défectuosités et 2) curative pour les éliminer promptement si elles se manifestent.
En l’espèce, la preuve a établi que les PTV présentaient des problèmes de fonctionnement. Au moment du dépôt du grief et jusqu’au remplacement opéré en 2023, la preuve a démontré que la Ville maintenait en usage des équipements dont la durée de vie estimée était expirée, dont des composantes étaient détériorées. L’équipement présentaient plusieurs problématiques récurrentes non résolues. L’arbitre conclut que les PTV n’étaient pas en bon ordre de fonctionnement.
Le Tribunal ne retient pas les justifications avancées par la Ville pour expliquer le délai de remplacement des PVT. En somme, selon l’arbitre, la Ville a contraint les policiers à utiliser de l’équipement vétuste et désuet, en contravention de la clause 31.12 de la convention collective. Elle ne peut donc être exonérée de sa responsabilité pour le préjudice pouvant découler des dysfonctions et défaillances de cet équipement.
Sur la question des dommages, l’arbitre précise d’emblée que toute faute ou contravention n’engendre pas nécessairement un dommage ni ne donne droit à une indemnité. Le syndicat a le fardeau de démontrer l’existence d’un préjudice, lequel doit découler de la faute commise par l’employeur.
Le préjudice subi par les policières et les policiers est un préjudice moral : « retards, délais, embûches, multiplication des tâches et démarches incessantes, il y a la pression, l’irritabilité et le stress augmentés de la policière ou du policier qui doit exécuter son travail efficacement sous des attentes élevées de l’employeur et du public desservi ainsi que des obligations déontologiques importantes » (paragraphe 117). Des témoins ont rapporté avoir vécu de la frustration, de la colère, un sentiment d’impuissance, etc.
Le Tribunal conclut que le syndicat a démontré que les policières et policiers ont subi un préjudice au cours de la période pertinente au litige, mais il juge la preuve est insuffisante pour accorder une indemnité à la hauteur réclamée. L’arbitre juge qu’une indemnité de 200 $ par policière et policier visé par le grief est appropriée.
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