Protection de la travailleuse enceinte : retrait préventif ou réaffectation

8 juillet 2025

Dans la décision Ville de Québec c. O., 2025 QCCA 825, (J.C.A Julie Dutil, Christine Baudouin et Éric Hardy), l’appelante, la Ville de Québec (ci-après, la « Ville »), se pourvoit contre un jugement rendu le 29 février 2024 par la Cour supérieure, district de Québec par l’honorable Nancy Bonsaint, qui accueille le pourvoi en contrôle judiciaire de l’intimée, casse la décision rendue par le Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») rendue le 16 décembre 2022 et retourne le dossier au TAT pour qu’il statue sur la plainte de l’intimée.

L’intimée est sergente de patrouille pour le Service de police de la Ville. Le 23 décembre 2020, elle remet à la Ville un certificat médical attestant de son état de grossesse, indiquant que ses conditions de travail comportent des dangers physiques pour elle ou son enfant à naître. Aucune offre de réaffectation ne lui est faite et elle est retirée du travail le jour même.

Compte tenu de ses tâches quotidiennes telles que la supervision des patrouilleurs et l’exécution de tâches administratives, elle demande une réaffectation. Elle souligne que son organisation, tout comme la Ville, devrait favoriser un « ajustement minimum » permettant aux femmes de « continuer à faire avancer [leurs] carrières ».

Le 13 janvier 2021, des représentants de la Fraternité des policiers et policières de la Ville de Québec (ci-après, la « Fraternité ») proposent que les policières en retrait préventif soient affectées à des postes allégés. Le 18 janvier 2021, l’intimée reçoit un courriel du capitaine responsable du Module soutien aux affaires policières de la Ville, lui offrant du travail à temps plein. Le 8 février 2021, la Commission des normes de l’équité de la santé et de la sécurité au travail (ci-après, « CNESST ») confirme son admissibilité au programme Pour une maternité sans danger (ci-après, « PSMD ») et aux indemnités de remplacement de revenu (ci-après, « IRR ») à compter du 28 décembre 2020 jusqu’au 17 juillet 2021.

Toutefois, la Ville refuse de la réaffecter. Ainsi, le 10 janvier 2021, l’intimée dépose une plainte à la CNESST en vertu de l’article 227 Loi sur la santé et la sécurité du travail (ci-après, « LSST »), alléguant avoir fait l’objet de représailles ou de mesures discriminatoires à la suite de l’exercice d’un droit prévu à l’article 40 LSST. La CNESST déclare sa plainte irrecevable le 29 avril 2022 et le TAT confirme cette décision le 16 décembre 2022. Selon ces décisions, la Ville a rempli ses obligations en la retirant du travail et son refus de réaffectation ne constitue pas une sanction au sens de l’article 227 LSST. Le TAT ajoute que la LSST ne prévoit pas de droit à la réaffectation et que l’employeur n’a aucune obligation d’y répondre puisque cette décision relève de son droit de gérance.

La Cour supérieure accueille le pourvoi en contrôle judiciaire, jugeant la décision du TAT déraisonnable. La juge estime que le TAT n’a pas traité correctement des questions en litige : 1) Est-ce que l’employeur a l’obligation de vérifier s’il y a un emploi disponible et sécuritaire pour la travailleuse lorsque celle-ci demande une affectation à des tâches ne comportant pas de danger et qu’elle est raisonnablement en mesure d’accomplir? et 2) Si un emploi sécuritaire est disponible, est-ce que l’employeur a l’obligation d’affecter la travailleuse à ce poste?

La Ville porte en appel cette décision de la Cour supérieure en invoquant que la Cour supérieure a erré dans son interprétation du droit applicable.

  1. La Cour supérieure a-t-elle erré dans son interprétation de l’arrêt Dionne c. Commission scolaire des Patriotes, 2014 CSC 33 (ci-après, « arrêt Dionne»)?

Bien que le TAT conclue à l’irrecevabilité de la plainte en soutenant que la LSST ne prévoit pas de droit à la réaffectationet que l’intention du législateur serait le retrait immédiat de la travailleuse enceinte, la Cour d’appel, en se fondant sur l’analyse de la juge Abella de la Cour suprême dans l’arrêt Dionne, affirme que l’objet de la LSST est d’offrir un filet protecteur, permettant aux travailleuses de continuer à travailler ou, si aucun emploi sécuritaire n’est disponible, de ne pas être pénalisées financièrement.

Ces mesures ont pour objectif de contrer les hypothèses discriminatoires qui attribuaient aux femmes enceintes une incapacité de travailler afin qu’une travailleuse enceinte n’ait pas à choisir entre son emploi (et son revenu) et sa santé ainsi que celle de son enfant à naître.

La Cour rappelle que le retrait du travail résulte non pas d’un refus de travailler de la femme enceinte, mais bien de l’incapacité de l’employeur de lui fournir un travail sans danger. De plus, la remise d’un certificat de retrait préventif d’une travailleuse enceinte constitue une demande de réaffectation à des tâches ne comportant pas de danger. Le TAT, en concluant que l’intention véritable du législateur est nulle autre que le retrait immédiat du travail de la travailleuse lorsque ses tâches comportent des dangers, ne respecte pas le cadre légal exposé dans l’arrêt Dionne.

La juge de la Cour supérieure a correctement analysé la décision du TAT et démontré en quoi elle était déraisonnable en exposant que la contrainte juridique imposée par l’arrêt Dionne n’a pas été respectée. Aucune erreur révisable n’a été commise.

  1. La juge a-t-elle erré en interprétant le mécanisme du retrait préventif de la travailleuse enceinte de façon contraire à l’intention du législateur, au programme PMSD de la CNESST et à la jurisprudence?

Le TAT a interprété les dispositions du retrait préventif conformément à leur texte seulement, mais omet de considérer que, contrairement à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles qui indemnise les travailleurs accidentés ou qui souffrent d’une maladie professionnelle, la LSST vise à prévenir les accidents et à protéger les travailleurs et travailleuses contre les dangers reliés à leurs fonctions, tout en gardant les travailleurs au travail, dans la mesure du possible. Le TAT a donc commis une erreur en affirmant que le retrait immédiat est l’unique intention du législateur sans prendre en considération le contexte et l’objet des dispositions législatives concernant le retrait préventif.

Le maintien au travail s’inscrit dans l’objectif de la Charte des droits et libertés de la personne. En l’espèce, l’intimée subit une perte mensuelle d’environ 800 $ auxquels s’ajoute la perte d’expérience et l’impossibilité de poursuivre sa carrière en harmonie avec une maternité. Aucune erreur révisable n’a été commise par la Cour supérieure lorsqu’elle a cassé la décision du TAT.

En effet, la décision du TAT était déraisonnable dans la mesure où elle a occulté les conséquences du retrait systématique du travail pour les travailleuses enceintes qui souhaiteraient y demeurer durant leur grossesse alors que c’est l’élimination à la source des dangers qui aurait dû guider son analyse.

Un employeur n’a pas une obligation de résultat en matière de réaffectation d’une travailleuse enceinte ou qui allaite, mais il doit prendre les moyens raisonnables pour satisfaire à son obligation de moyen. Il doit sérieusement considérer la demande de réaffectation et, si celle-ci est impossible, retirer la travailleuse tout en motivant sa décision.

Le TAT devra se prononcer sur le fond et déterminer si l’intimée a subi une sanction au sens de l’article 227 LSST. L’appel est donc rejeté.

 

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