R. c. Loyd – La Cour Suprême statue sur la constitutionnalité des peines minimales

18 avril 2016

R. c. Loyd

L a été déclaré coupable de possession de drogues en vue d’en faire le trafic. Reconnu coupable d’une infraction apparentée peu de temps auparavant, il était passible d’une peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement suivant la div. 5(3)a)(i)(D) de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances (« LRCDAS »). Cette disposition prévoit qu’une peine minimale d’un an d’emprisonnement est infligée pour trafic ou possession, en vue d’en faire le trafic, d’une drogue inscrite aux annexes I ou II au délinquant qui, au cours des 10 années précédentes, a été reconnu coupable de toute infraction en matière de drogue (sauf la possession). Le juge de la cour provinciale a déclaré que la disposition était contraire à l’art. 12 de la Charte et non susceptible de justification par application de l’article premier. La Cour d’appel a accueilli l’appel du ministère public, annulé la déclaration d’inconstitutionnalité et accru la peine en la portant à 18 mois d’emprisonnement.

Arrêt (les juges Wagner, Gascon et Brown sont dissidents en partie) : Le pourvoi est accueilli.

La juge en chef McLachlin et les juges Abella, Cromwell, Moldaver, Karakatsanis et Côté : Le juge de la cour provinciale avait en l’espèce le pouvoir de se prononcer sur la constitutionnalité de la div. 5(3)a)(i)(D) de la LRCDAS. Même si un juge d’une cour provinciale n’est pas habilité à faire une déclaration formelle selon laquelle une règle de droit est inopérante suivant le par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982, il a le pouvoir de statuer sur la constitutionnalité d’une peine minimale obligatoire lorsque la question est soulevée dans le cadre d’une instance dont il est saisi. L a contesté la peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement dont il devait écoper. Il était en droit de le faire. Le juge de la cour provinciale pouvait, lui, se pencher sur la constitutionnalité de la disposition en cause. Il a finalement conclu que la peine minimale obligatoire n’était pas exagérément disproportionnée dans le cas de L. L’emploi du verbe « déclarer » par le juge ne fait pas de sa conclusion une déclaration formelle selon laquelle la disposition est inopérante.
Même si L a concédé que la peine minimale d’un an d’emprisonnement ne constituait pas une peine exagérément disproportionnée dans son cas, elle pouvait en constituer une dans ses applications raisonnablement prévisibles à d’autres personnes. Cette situation problématique se présentait aussi dans R. c. Nur, 2015 CSC 15, [2015] 1 R.C.S. 773. Une fois encore, dans la présente affaire, la disposition qui prévoit la peine minimale obligatoire s’applique à une vaste gamme de comportements potentiels. Par voie de conséquence, elle vise non seulement le trafic de drogue hautement répréhensible, ce qui correspond à son objectif légitime, mais aussi le comportement qui se révèle beaucoup moins répréhensible, ce qui la rend vulnérable sur le plan constitutionnel.

À une extrémité de la gamme, le comportement qui tombe sous le coup de la disposition sur la peine minimale obligatoire est celui du trafiquant de drogue professionnel qui fait le commerce de drogues dangereuses pour le profit, qui est en possession d’une grande quantité de drogues et qui a maintes fois été déclaré coupable d’infractions apparentées. À l’autre extrémité, il y a le toxicomane qui fait l’objet d’une accusation de trafic pour avoir partagé avec un ami ou sa conjointe une petite quantité de drogue et qui écope d’un an de prison parce qu’il a déjà été reconnu coupable de trafic, une seule fois, neuf ans auparavant, après avoir partagé de la marihuana lors d’une réunion sociale. La plupart des Canadiens seraient consternés d’apprendre qu’une telle personne pourrait écoper d’un an de prison.

Une autre situation dans laquelle la règle de droit est raisonnablement susceptible de s’appliquer est celle du toxicomane qui est reconnu coupable de trafic une deuxième fois. Comme pour la fois précédente, il ne s’est livré au trafic que pour satisfaire son propre besoin de consommation. Dans l’intervalle compris entre la déclaration de culpabilité et la détermination de la peine, il suit un programme de désintoxication et vainc sa dépendance. Il demande qu’on le condamne à une peine moins longue afin qu’il puisse mener à nouveau une vie saine et productive. Légalement, le tribunal n’a d’autre choix que de le condamner à un an de prison. Une telle peine est également exagérément disproportionnée à ce qui est juste dans les circonstances et elle est de nature à choquer la conscience des Canadiens.

Le par. 10(5) de la LRCDAS prévoit une exception à l’application de la peine minimale d’un an d’emprisonnement lorsque le délinquant, avant la détermination de sa peine, termine avec succès un programme judiciaire de traitement de la toxicomanie ou un autre programme agréé visé au par. 720(2) du Code criminel. Or, l’exception a une portée trop étroite pour remédier au vice constitutionnel. Premièrement, elle ne vaut que pour certains programmes auxquels le délinquant en cause peut avoir accès ou non. Deuxièmement, pour pouvoir participer à un tel programme, le délinquant doit habituellement inscrire un plaidoyer de culpabilité et renoncer à son droit à un procès. Une atteinte constitutionnelle ne saurait remédier à une autre. Troisièmement, l’exigence de terminer le programme avec succès peut ne pas être réaliste lorsque le délinquant souffre d’une grande dépendance et que ses actes ne justifient pas un séjour d’un an en prison. Enfin, en ce qui concerne la plupart des programmes, le ministère public est investi d’un pouvoir discrétionnaire qui lui permet d’empêcher la participation d’un délinquant.

Le fait est que la peine minimale obligatoire qui s’applique à l’égard d’une infraction susceptible d’être perpétrée de diverses manières, dans maintes circonstances différentes et par une grande variété de personnes se révèle vulnérable sur le plan constitutionnel. La raison en est que la disposition qui la prévoit englobera presque inévitablement une situation hypothétique raisonnable acceptable dans laquelle le minimum obligatoire sera jugé inconstitutionnel. Si le législateur tient à l’application de peines minimales obligatoires à des infractions qui ratissent large, il lui faut envisager de réduire leur champ d’application de manière qu’elles ne visent que les délinquants qui méritent de se les voir infliger. Le législateur pourrait par ailleurs investir le tribunal d’un pouvoir discrétionnaire lui permettant d’infliger une peine d’une durée moindre lorsque la peine minimale obligatoire est exagérément disproportionnée et équivaut à une peine cruelle et inusitée.

Dans la mesure où elle prévoit une peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement, la div. 5(3)a)(i)(D) de la LRCDAS porte atteinte au droit à la protection contre les peines cruelles et inusitées que garantit l’art. 12 de la Charte. Cette atteinte n’est pas justifiée au regard de l’article premier. L’objectif du législateur de contrer la distribution de drogues illégales est important. Il a un lien rationnel avec l’infliction de la peine minimale obligatoire d’un an d’emprisonnement en application de la div. 5(3)a)(i)(D) de la LRCDAS. Cependant, la disposition ne porte pas atteinte le moins possible au droit garanti par l’art. 12.

Étant donné que la peine minimale obligatoire en cause contrevient à l’art. 12 de la Charte, point n’est besoin de se demander si elle porte aussi atteinte à l’art. 7. Quoi qu’il en soit, la disposition ne contreviendrait pas à l’art. 7 de la Charte, car la proportionnalité dans la détermination de la peine ne constitue pas un principe de justice fondamentale.

Enfin, le juge de la cour provinciale qui a déterminé la peine appropriée a droit à la déférence. Dans la présente affaire, la Cour d’appel a estimé que le juge de la cour provinciale n’avait pas appliqué la bonne fourchette de peines. Ce n’est pas ce qui ressort de la lecture attentive des motifs du juge de la cour provinciale. Ce dernier a signalé que des peines de trois à quatre mois avaient été confirmées dans quelques cas exceptionnels, mais il a ajouté que la peine appropriée en l’espèce se situait entre 12 et 18 mois. Compte tenu de certaines circonstances atténuantes, il a condamné L à 12 mois d’emprisonnement. Quoi qu’il en soit, même si le juge avait retenu une fourchette erronée, la Cour d’appel n’aurait pas été admise à intervenir. La Cour d’appel n’a pas fait la démonstration qu’une peine de 12 mois d’emprisonnement était manifestement injuste en l’espèce.

Les juges Wagner, Gascon et Brown (dissidents en partie)

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