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Réforme de la législation sur le statut de l’artiste : un survol des principales modifications

 

Par Me Sophia M Rossi et Me Mylène Lafrenière Abel

 

En 1987, le Québec adoptait sa première mouture de sa Loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma[1] (ci-après, la LSA) établissant un régime de rapports collectifs de travail applicable aux artistes québécois créateurs ou interprètes dont les services sont retenus par des producteurs dans certains domaines de production artistiques tels que la scène, le cinéma et la musique. Celle-ci ne visait toutefois pas certains artistes, tels que ceux œuvrant à leur compte dans les domaines des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature.

L’adoption de cette Loi visait à améliorer le statut socio-économique des artistes dont la situation d’emploi est trop souvent précaire, variant grandement en fonction de la demande du public. Précurseur dans le domaine[2], « le législateur [québécois] cherchait à établir un régime spécifique, complet, qui fournirait aux artistes un cadre dans lequel pourrait s’exercer leur liberté d’association et leur droit constitutionnel à la négociation collective »[3].

S’inspirant du Code du travail, la LSA régit donc les relations de travail entre les artistes et les producteurs qui retiennent leurs services dans les domaines de production artistique qui y sont définis. En vertu de cette Loi, les producteurs et les associations de producteurs doivent négocier, avec diligence et bonne foi, des ententes collectives avec les associations d’artistes reconnues par la LSA. La Loi prévoit également la procédure selon laquelle une association peut être reconnue par le Tribunal administratif du travail (ci-après TAT).

La LSA s’adapte cependant aux spécificités du milieu artistique. Ainsi, à la différence d’une convention collective négociée en vertu du Code du travail, une entente collective fixe seulement les conditions de travail minimales à respecter par le producteur lorsqu’il engage l’artiste. Celui-ci peut ensuite négocier individuellement avec le producteur des conditions supérieures à celles qui sont comprises dans l’entente collective.

La LSA a subi peu de modifications depuis son adoption en 1987[4]. Le 3 juin 2022, après maintes représentations des diverses associations professionnelles d’artistes qui réclamaient une réforme en profondeur de la Loi, le projet de loi 35, Loi visant harmoniser les règles relatives au statut professionnel de l’artiste[5], est enfin entré en vigueur.

Nous vous présentons les principales nouveautés de cette dernière mouture de la LSA.

 

  1. Élargissement du champ d’application de la Loi

 L’entrée en vigueur de la Loi visant harmoniser les règles relatives au statut professionnel de l’artiste a eu pour effet d’abroger la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et sur leurs contrats avec les diffuseurs[6]. Cette dernière avait pour objectif d’encadrer « l’exploitation commerciale d’œuvres déjà créées par des artistes à leur propre compte dans un certain nombre de domaines associés aux arts visuels, aux métiers d’art et à la littérature »[7].

Notamment, la Loi permettait aux associations reconnues en vertu de celles-ci de conclure avec un diffuseur une « entente générale » qui contenait certaines mentions obligatoires devant être intégré à un contrat de diffusion des œuvres des artistes représentés par l’association[8]. Elle ne garantissait cependant pas le droit à la négociation collective, faisant dire aux associations reconnues dans ces domaines artistiques, qu’elle manquait de « mordant »[9].

La nouvelle version de la LSA vise à réunir dans une même loi les dispositions encadrant le statut professionnel des artistes qui œuvrent dans les domaines des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène. L’intitulé de la Loi est en conséquence modifiée et se nomme maintenant : Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène.

Désormais, les artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature ainsi que les diffuseurs qui contractent avec eux ou qui retiennent leurs services professionnels, sont assujettis à la LSA. Celle-ci a donc pour effet d’étendre le régime de négociation d’ententes collectives à ces domaines artistiques.  Ce changement « historique »[10] ouvre la porte aux négociations collectives des conditions minimales de travail dans ces domaines artistiques.

 

  1. Mise en place de mécanismes de prévention et de protection contre le harcèlement psychologique et sexuel

Le milieu artistique a été touché de plein fouet par les vagues de dénonciation et de sensibilisation du mouvement #moiaussi. La LSA telle qu’elle se lisait avant la réforme n’offrait pas aux artistes la même protection contre le harcèlement que le législateur avait prévu pour les autres travailleurs et travailleuses. En effet, pour pouvoir bénéficier des protections offertes par la Loi sur les normes du travail, les artistes devaient être considérés comme des salariés au sens de cette Loi. Rares sont les artistes qui peuvent cumuler le statut d’artiste et de salarié et se prévaloir de cette protection, et pour cause : ceux-ci sont souvent considérés comme des travailleurs autonomes.

Résultat : les associations professionnelles d’artistes devaient négocier à la pièce, entente par entente, des clauses contre le harcèlement. Celles-ci avaient généralement pour fonction de définir les différentes formes de harcèlement ainsi que de prévoir les responsabilités des producteurs par rapport à cette problématique.

La LSA vient remédier à cette lacune et introduit des dispositions en matière de harcèlement psychologique, incluant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel. L’article 43 de la LSA prévoit que tout artiste a droit, dans le cadre de ses relations avec un producteur et avec les personnes avec qui celui-ci le met en relation aux fins de l’exécution de son contrat, à un milieu de travail exempt de harcèlement psychologique[11]. Ainsi, le producteur doit prendre les moyens raisonnables pour prévenir le harcèlement psychologique et, lorsqu’une telle conduite est portée à sa connaissance, pour la faire cesser. Il doit notamment adopter et rendre disponible aux personnes qui participent à la production ou à la diffusion d’une œuvre une politique de prévention du harcèlement psychologique et de traitement des plaintes, incluant entre autres un volet concernant les conduites qui se manifestent par des paroles, des actes ou des gestes à caractère sexuel[12].

Comme c’est le cas sous l’égide de la Loi sur les normes du travail, une plainte pourra être déposée au Tribunal administratif du travail (le TAT) dans les deux ans de la dernière manifestation de la conduite de harcèlement psychologique[13]. Les articles qui concernent le harcèlement psychologique sont réputées faire partie intégrante de toute entente collective, compte tenu des adaptations nécessaires[14]. Un artiste visé par une telle entente doit exercer son recours en vertu de celle-ci. Désormais, un producteur ou un diffuseur qui ne respecterait pas les obligations qui lui incombent en matière de prévention et d’élimination du harcèlement pourra être visé par un grief d’une association. Si l’artiste faisant l’objet de harcèlement psychologique n’est pas visé par une entente collective, il pourra déposer une plainte au TAT[15].

Il s’agit sans conteste d’un gain important pour les associations professionnelles d’artistes.

 

  1. Protection en matière d’entrave aux activités d’une association

La Cour suprême du Canada reconnaît qu’un processus de négociation collective ne peut être véritable lorsque les salariés n’ont pas la liberté de choix et l’indépendance voulues pour décider de leurs intérêts collectifs et de les poursuivre[16].

De la même manière que le fait le Code du travail[17], la LSA interdit désormais à l’employeur et à toute personne agissant pour lui, de chercher de quelque manière, à entraver, dominer ou financer la formation ou les activités d’une association de salariés[18]. La Loi interdit également l’usage d’intimidation ou de menaces pour amener quiconque à devenir membre, à s’abstenir de devenir membre ou à cesser d’être membre d’une association d’artistes ou d’une association de producteurs[19].

En cas de manquement à ces interdictions, l’association pourra déposer un recours au TAT[20]. Ce recours doit être déposé au TAT dans les 30 jours de la connaissance de la contravention alléguée[21].

                                 

  1. Introduction du devoir de juste représentation

L’association d’artistes reconnue peut notamment négocier des ententes collectives, laquelle doit prévoir un contrat-type pour la prestation de services par les artistes ou la diffusion d’œuvres[22]. Avec de grands pouvoirs viennent de grandes responsabilités. La LSA introduit le devoir de juste représentation de toute association d’artistes reconnue. L’article 24.2, inspiré de l’article 47.2 du Code du travail, se lit ainsi :

24.2. Une association d’artistes reconnue ne doit pas agir de mauvaise foi ou de manière arbitraire ou discriminatoire ni faire preuve de négligence grave à l’endroit des artistes qu’elle représente à l’occasion de la négociation d’une entente collective ou de son application, peu importe qu’ils soient ses membres ou non.

L’artiste qui croit que son association d’artistes a contrevenu au premier alinéa peut adresser une plainte au Tribunal.

Si un artiste considère que son association a manqué à son devoir de représentation, cette personne pourra alors déposer une plainte à l’encontre de celle-ci[23]. Celui-ci aura le fardeau de démontrer que l’association a agi de mauvaise foi, de manière arbitraire ou discriminatoire, ou alors qu’elle a fait preuve de négligence grave à son endroit. Si la personne plaignante obtient gain de cause, elle pourrait avoir la possibilité de porter sa réclamation devant un arbitre de griefs[24]. La plainte de l’artiste doit être déposée au TAT dans les six mois de la connaissance des faits reprochés[25].

 

  1. Autres modifications

La LSA prévoit le maintien des conditions de travail à l’expiration d’une entente collective jusqu’à ce que soit exercé un moyen de pression, qu’une nouvelle entente collective soit conclue ou qu’une sentence arbitrale en tenant lieu soit rendue[26].

De plus, avant d’exercer une action concertée, l’association doit donner au producteur visé un avis préalable de cinq jours[27]. L’avis doit mentionner la date à laquelle doivent commencer certains moyens de pression. Un nouvel avis d’au moins trois jours est requis lorsque le moyen de pression n’a pas commencé à la date annoncée[28].

La LSA introduit la possibilité d’intenter un recours au TAT en cas de manquement à l’obligation de négocier de bonne foi[29].

La LSA prévoit finalement le maintien de certaines normes relatives aux contrats individuels conclus entre les artistes des arts visuels, des métiers d’art et de la littérature et les diffuseurs[30].

***

Il sera intéressant de suivre les développements jurisprudentiels découlant de l’adoption de ces changements à la LSA. Comptez sur nous pour vous en tenir informé!

 


 

[1] Depuis le 3 juin 2022, cette Loi s’intitule : Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène, RLRQ, 1987 c. 72; 2022, c. 20 a.1.

[2] Georges MARCEAU, Laurence Léa FONTAINE, Michel COUTU et Urwana COIQUAUD, Droit des rapports collectifs du travail au Québec – Les régimes particuliers, volume 2, 2e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2014, p. 315.

[3] Union des artistes (UDA), « la révision de la loi sur le statut professionnel et les conditions d’engagement des artistes de la scène, du disque et du cinéma : un exercice de première nécessité », mémoire présenté à l’occasion des consultations menées par le ministère de la Culture et des Communications dans le cadre du processus de révision des lois sur le statut de l’artiste, 1er février 2021, p. 14.

[4] La première en 1997, la deuxième en 2004 et la troisième en 2009. Voir à ce sujet Norman A. Dionne et Laurent Lesage, Le régime de relations de travail applicable aux artistes,  Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2011, p. 15-16.

[5] Loi visant harmoniser les règles relatives au statut professionnel de l’artiste, projet de loi no 35, Qc., 2ième session, 42e lég., sanction – 3 juin 2022.

[6] RLRQ c S-32.01 (abrogée depuis le 3 juin 2022).

[7] DIONNE, préc., note 4, p. 17.

[8] Article 43 de la loi abrogée.

[9] En termes juridiques, les auteurs Norman A. Dionne et Laurent Lesage sont d’avis qu’elle relevait davantage du droit commercial que du droit du travail. Voir à ce sujet DIONNE, préc., note 4, p. 17-20.

[10] Union des écrivaines et écrivains du Québec (UNEQ), « Mémoire de l’Union des écrivaines et écrivains québécois (UNEQ) déposé dans le cadre des consultations en commission parlementaire sur le projet de loi 35 », 24 mai 2022, p. 4 et 8.

[11] Article 43, alinéa 1 de la LSA.

[12] Article 43, alinéa 2 de la LSA.

[13] Article 63.3 de la LSA.

[14] Article 45 de la LSA.

[15] Article 45 alinéa 2 de la LSA.

[16] Association de la police montée de l’Ontario c. Canada (Procureur général)2015 CSC 1, au paragraphe 81.

[17] Articles 12 et 13 du Code du travail, RLRQ, c C-27.

[18] Article 11.1, alinéa 2 de la LSA.

[19] Article 11.2 de la LSA.

[20] Article 56, alinéa 3 de la LSA.

[21] Article 63.1, alinéa 1 de la LSA.

[22] Article 24, paragraphe 7 de la LSA.

[23] Article 56, alinéa 3 de la LSA.

[24] Article 63.2, alinéa 2 de la LSA.

[25] Article 63.2., alinéa 1 de la LSA.

[26] Article 36.1 de la LSA.

[27] Article 37.1 alinéa 1 de la LSA.

[28] Article 37.1 alinéa 3 de la LSA.

[29] Article 56, paragraphe 3 et article 30 de la LSA.

[30] Section II de la LSA.