SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
S.N. c. Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail et al., QCCS 12 février 2024 (l’honorable Stéphane Lacoste)
Disponible sur ici: <https://canlii.ca/t/k2s05>
La demanderesse se pourvoit en contrôle judiciaire d’une décision de la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la CNESST), en application de la Loi sur l’équité salariale (ci-après, la LÉS). Cette affaire soulève principalement la question de la nature de cette décision et de l’obligation de la motiver.
De mars 2005 à mai 2011, la demanderesse occupait un poste de contrôleure au sein de la société mise en cause, J. Dufresne Asphalte Ltée. (ci-après, l’employeur). À ce titre, elle procède à un exercice d’analyse de l’équité salariale au sein de l’entreprise. Les résultats de cette analyse démontraient que l’employeur devait plusieurs milliers de dollars à la demanderesse en raison de nombreux facteurs de discrimination. Insatisfait des résultats, l’employeur mandate des experts pour réaliser à nouveau les travaux d’équité salariale et les résultats indiquent plutôt qu’il ne devrait rien à la demanderesse.
La demanderesse dépose alors, en aout 2011, une plainte à la Commission de l’équité salariale (ci-après la CÉS). La CÉS étudie la plainte et ultimement, la CNESST accueille la plainte et ordonne à l’employeur diverses mesures correctives par une décision de mars 2017. En mai 2017, l’employeur procède un nouvel affichage. Peu de temps après, la CNESST informe la demanderesse par une lettre de juin 2017 que les correctifs ont été appliqués et que le dossier sera fermé, sans autre explication. Toujours insatisfaite, la demanderesse conteste cette décision auprès du Tribunal administratif du travail (ci-après, le TAT). Le TAT accueille partiellement le recours de la demanderesse et émet plusieurs conclusions et ordonne notamment à l’employeur de faire un rapport à la CNESST faisant état des mesures correctives prises.
La demanderesse transmet alors une longue lettre à la CNESST en lui soulignant les incongruités de la démarche de l’employeur. Résumé succinctement, la demanderesse prétend que l’employeur utilise des bases de données Excel différentes d’un affichage à l’autre.
S’ensuivent alors plusieurs courriels et conversations téléphoniques entre la demanderesse et la CNESST et ses intervenants. La CNESST lui laisse même croire que ses revendications sont valides et légitimes, compte tenu des lacunes dans les calculs de l’employeur. Or, ces communications qui ne fournissent aucune réelle explication à la demanderesse sur les raisons motivant la fermeture de son dossier sont au cœur du présent litige. Par ces courriels, la CNESST confirme à la demanderesse que toutes les étapes ont été suivies dans les règles de l’art par l’employeur et que son dossier est fermé. Jamais la CNESST n’explique pourquoi elle rejette les prétentions de la demanderesse quant aux bases de calcul différentes ayant un impact significatif sur les résultats. Devant une nouvelle contestation au TAT en avril 2021 intentée par la demanderesse, ce dernier décline compétence. Le dernier recours possible était donc le présent pourvoi.
Devant la Cour supérieure, la demanderesse invoque le pouvoir de contrôle et de surveillance de la cour. Elle allègue que la CNESST, par les courriels et les lettres de décision qu’elle lui a fait parvenir, commet une erreur déraisonnable et viole son devoir d’équité procédurale, notamment parce que les décisions ne sont pas assez motivées.
La Cour tranche cinq questions en litige, notamment en concluant que le pouvoir de la CNESST de fermer le dossier de la demanderesse relève du pouvoir inhérent de la Cour supérieure. En effet, même si les courriels et lettres transmises par la CNESST ne sont pas des décisions formelles, il n’est pas nécessaire que les décideurs rendent des décisions quasi judiciaires pour que la Cour intervienne. La Cour détermine que la norme de contrôle de la décision raisonnable s’applique suivant les enseignements de l’arrêt Vavilov.
Enfin, la Cour conclut que la CNESST a l’obligation de motiver ses décisions et qu’en l’espèce, elles n’étaient pas suffisamment motivées et raisonnables. La Cour s’appuie sur les cinq critères de l’arrêt Baker pour conclure en ce sens. Le fait que la décision de la CNESST de fermer le dossier devenait finale pour la demanderesse et qu’elle mettait fin à ses efforts pour obtenir réparation ont été des questions déterminantes dans l’analyse. De plus, la nature du régime vise à faciliter l’élimination de la discrimination fondée sur le sexe dans la rémunération. Enfin, la demanderesse avait des attentes légitimes que la CNESST motive ses décisions.
Le pourvoi est accueilli et le dossier est retourné à la CNESST.
Le cabinet RBD représentait la demanderesse dans ce dossier.
Syndicat des travailleuses et travailleurs de Transco – CSN c. Autobus Transco (1988) inc., 2023 QCTAT 5222
Disponible ici sur SOQUIJ
Autobus Transco inc est une entreprise œuvrant dans le milieu des transports, notamment des autobus et minibus scolaires. Le Syndicat, qui représente les chauffeurs d’autobus, a déclenché une grève en octobre 2022.
Dans cette affaire, le Syndicat requérant demandait une ordonnance provisoire dans le contexte d’une plainte en vertu de l’article 109.1 c) du Code du travail, disposition anti-briseurs de grève. Le Syndicat prétendait que l’employeur avait offert des formations à des personnes non salariées leur permettant d’obtenir un permis de chauffeur d’autobus.
Par définition, l’article 109.1 c) du Code du travail interdit à un employeur « d’utiliser, dans l’établissement où la grève a été déclaré[e], les services d’un salarié qui fait partie de l’unité de négociation alors en grève […]. ».
Le juge administratif rappelle d’abord les critères de l’ordonnance recherchée : l’apparence de droit, un préjudice sérieux ou irréparable, la prépondérance des inconvénients en sa faveur et, parfois, l’urgence. Le Tribunal doit se garder de faire une analyse du bienfondé du fond de l’affaire.
C’est sur le premier critère de l’apparence de droit que le bât blesse. Le Tribunal considère que les personnes à qui l’employeur offre la formation en question ne sont pas salariées pour l’entreprise. Elles n’ont aucun lien de subordination, ni rémunération quand vient le temps de suivre la formation, selon la preuve prépondérante. Le fait que les personnes suivent la formation sur les lieux de travail n’emporte pas automatiquement, pour elles, une rémunération et un assujettissement à la convention collective comme le voudrait le Syndicat. En tous les cas, puisque ces personnes ne détiennent pas encore de permis valides, elles ne pourraient travailler pour l’employeur comme chauffeur.
Le Tribunal ne poursuit pas davantage son analyse des autres critères et conclut que le Syndicat n’a pas démontré que l’employeur aurait contrevenu aux dispositions anti-briseurs de grève d’ordre public.
La demande d’ordonnance provisoire est rejetée.
Unifor, section locale 175 et Produits Suncor Énergie – Raffinerie de Montréal (grief syndical), 2023 QCTA 554
Disponible sur SOQUIJ
L’employeur, dans cette affaire, avait installé des caméras de surveillance à l’intérieur d’un nouvel entrepôt où travaillent plusieurs salariés responsables de l’approvisionnement. L’employeur allègue qu’il a installé lesdites caméras pour des motifs de sécurité, notamment les intrusions dans l’entrepôt pour se prémunir du vol. Les agents de sécurité de Garda ont accès aux images de ces caméras en temps réel.
Le Syndicat dépose un grief fondé sur la violation des droits et libertés fondamentales des travailleurs à des conditions de travail justes et raisonnables, en contravention des articles 5 et 46 de la Charte des droits et libertés de la personne. Selon les prétentions du Syndicat, il incombe à l’employeur de démontrer que la surveillance par caméras est justifiée eu égard à des circonstances particulières et exceptionnelles.
Le Tribunal d’arbitrage retient que l’article 46 de la Charte devient prépondérant parce qu’un droit fondamental est mis en cause, en l’occurrence celui prévu à l’article 5, soit le droit à la vie privée analysé dans un contexte de travail.
L’arbitre Me Richard Mercier conclut qu’il y a atteinte au droit à la vie privée au travail par le fait de capter l’image de quelqu’un sans son consentement et que l’employeur n’a pas réussi à justifier cette atteinte. L’arbitre attache une importance particulière au fait qu’il y avait déjà de nombreuses mesures de sécurité en place dans l’entrepôt dans son analyse de l’objectif poursuivi par l’employeur.
En l’absence de problème urgent et réel à régler, l’installation de caméras par l’employeur à l’intérieur d’un entrepôt viole le droit des salariés à des conditions de travail justes et raisonnables.
Le grief est accueilli et l’arbitre ordonne à l’employeur de retirer les caméras.
Robichaud et VIA Rail Canada inc., 2024 QCTAT 34
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/k25pk>
Par cette décision, le Tribunal administratif du travail (ci-après, le TAT) devait déterminer si le travailleur, un ingénieur de locomotive, avait subi un accident du travail, alors qu’il participait à un événement festif organisé par l’employeur. En effet, le 13 septembre 2022, l’employeur organise un « BBQ » à l’attention des employés sur l’Esplanade de la Place Ville Marie à Montréal de 11h30 à 14h. L’invitation indique que l’événement a pour but de remercier les employés de la Gare Centrale et du siège social, leur permettant également de se « reconnecter » entre collègues. Ils pourront aussi rencontrer des membres de la direction comme le président et chef de la direction.
Lors de cet événement, le travailleur fait une chute et subit une luxation de l’épaule gauche.
La Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après, la CNESST) rend une décision à la suite d’une révision administrative par laquelle elle confirme le refus de la réclamation au motif que l’événement du 13 septembre 2022 ne survient pas à l’occasion du travail. Le travailleur conteste cette décision au TAT.
La juge administrative Marie-Claude Poirier rejette la contestation du travailleur au motif qu’il n’y a pas suffisamment de lien de connexité avec le travail. Entre autres, l’accident ne survient pas sur les lieux du travail. Le quart de travail du travailleur cette journée-là avait débuté vers 4h00 a.m. et s’était terminé vers 12h30 p.m. Durant son quart de travail, l’employeur avait lancé l’invitation pour le BBQ. Selon le TAT, le seul lien entre cette activité et le travail est l’objectif de fraterniser avec des collègues. Or, le TAT retient que ce lien est trop mince afin de conclure à une certaine connexité. Le Tribunal conclut qu’en participant à ce « BBQ », l’employé était dans sa sphère d’activités personnelles. Le fait de conclure autrement aurait pour effet, selon la juge, de décourager les employeurs à organiser des événements destinés à remercier leurs employés.
La contestation du travailleur est rejetée.
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