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Veille juridique du 14 décembre 2021

 

SECTION DROIT DU TRAVAIL

GÉNÉRAL

 

Syndicat des travailleurs de Chlore Alcali de Beauharnois (CSN)et Axiall Canada inc. (Nicolas Lepage), 2021 QCTA 583

https://soquij.qc.ca/portail/recherchejuridique/ConsulterExtExpress/8652250431965B38DB780D8AC0B8C132?source=EXPTRAV

Cette affaire porte sur la modification législative de la Loi sur les normes du travail (ci-après, la « LNT ») concernant l’ajout de deux congés rémunérés pour obligations familiales. L’arbitre Rosaire Houde accueille un grief en considérant que la convention collective en litige ne comportait aucune disposition liée au concept d’obligations familiales. L’arbitre rejette la thèse patronale à l’effet que la convention collective contient plusieurs autres formes de congés de manière à créer une norme plus avantageuse que ce qui est prévu par la LNT.

Au 1er janvier 2020, l’employeur cesse de rémunérer les absences pour obligations familiales à la suite de certaines décisions dans la jurisprudence confirmant sa prétention à l’effet que la convention collective possède des avantages supérieurs à ce qui est nommé dans la loi. À ce titre, l’employeur réfère à la possibilité de fractionner les journées de vacances, à une disposition créant deux journées mobiles qui sont assorties de conditions et des congés accumulés à la suite de temps supplémentaire. Pour le tribunal, l’employeur ne peut se soustraire aux obligations de la loi en pigeant dans des bénéfices conventionnés. L’arbitre écrit :

[20] Outre le fait que cette approche de l’employeur ne relève pas d’une comparaison « disposition par disposition », tous ces congés, pris séparément ou collectivement ne permettent pas à l’employeur de prétendre qu’il satisfait à son obligation en vertu de la Loi.

[21] C’est à l’employeur qu’il revient d’assumer la rémunération de ces deux journées que la Loi lui ordonne de rémunérer, et non au salarié en utilisant les bénéfices qu’il reçoit déjà. Ceci revient à réduire ces bénéfices.

[22] Lorsque le salarié utilise une journée mobile ou une journée de vacances, c’est lui qui paie son congé à même des bénéfices que la convention collective lui accorde par ailleurs. C’est une méthode pour éviter une baisse de revenu lors de la paie de la période qui compte les jours de congés pour maladie ou pour obligations familiales.

Pour ces raisons, le tribunal accueille le grief du syndicat.

 

Unifor, section locale 177 c. Groupe CRH Canada inc., 2021 QCTAT 5639

https://canlii.ca/t/jkxtp

L’employeur déclare un lock-out. Cela l’amène à utiliser certains salariés et représentants de l’employeur pour effectuer les fonctions de salariés couverts par le certificat d’accréditation en place. Le syndicat prétend que l’employeur contrevient au Code du travail, notamment l’article 109.1. Tout d’abord, le tribunal procède à l’analyse classique de la détermination du statut d’emploi des individus visés par le recours du syndicat. Il en arrive à la conclusion que certains doivent être considérés comme des représentants de l’employeur et qu’ils ont donc le droit d’effectuer les fonctions contestées. Pour d’autres, le tribunal considère que ce sont des salariés.

Cependant, le litige ne s’arrête pas à la détermination des statuts d’emploi. L’employeur prétend que les dispositions anti-briseurs de grève ne peuvent s’appliquer aux individus qui effectuent des tâches à partir de leur domicile, alors qu’ils sont en télétravail. Au soutien de sa prétention, l’employeur énonce les termes de la loi en apparence clairs sur la notion d’établissement :

109.1. Pendant la durée d’une grève déclarée conformément au présent code ou d’un lock-out, il est interdit à un employeur:

[…]

g) d’utiliser, dans l’établissement où la grève ou le lock-out a été déclaré, les services d’un salarié qu’il emploie dans cet établissement pour remplir les fonctions d’un salarié faisant partie de l’unité de négociation en grève ou en lock-out

Pour l’employeur, celui-ci n’utilise pas « dans l’établissement » un salarié pour remplir les fonctions d’un autre salarié.  L’employeur demande une interprétation stricte de la notion d’établissement, un lieu physique. Pour le syndicat, le Code du travail doit être interprété en fonction de l’évolution de la société, notamment de la croissance importante du télétravail en lien avec la pandémie.

Le tribunal partage l’avis du syndicat. L’établissement est un concept qui partage à la fois un aspect physique, un ou des bâtiments, mais il comporte aussi un aspect intellectuel, soit un rattachement aux activités de l’employeur. En ce sens, le télétravailleur n’est pas dans un établissement distinct lorsqu’il effectue des tâches reliées à l’établissement physique, comme prévu au certificat d’accréditation :

[149] C’est la nature même du télétravail et son déploiement à très grande échelle dans le monde du travail qui forcent à reconnaître que la notion d’« établissement » peut s’entendre non seulement du lieu strictement physique où les salariés fournissent leur prestation de travail, mais aussi des lieux où cet « établissement » se déploie même virtuellement et d’où les salariés exécutent leur travail, et ce, au-delà des « frontières traditionnelles » de l’« établissement ».

[150] Ainsi, dans la mesure où l’« établissement » de l’Employeur se déploie pour permettre l’exécution du travail par des salariés en télétravail à partir de leur domicile et sous l’autorité de l’Employeur, au même titre que s’ils s’étaient trouvés à l’usine de Joliette, il convient de retenir que ces salariés exécutent leur travail dans l’« établissement ».

[151] En fait, aujourd’hui, l’« établissement » peut être facilement prolongé aux espaces privés où le salarié exécute son travail pour l’Employeur, avec l’aval de ce dernier. Ce télétravail demeure caractérisé par la subordination juridique, qui est au coeur de la relation employeur-salarié, et se réalise en recourant aux technologies de l’information et de communication déployées par l’Employeur. Il s’agira, entre autres, d’un RPV auquel il permet un accès au salarié.

Fait intéressant, le tribunal retient l’argument syndical à l’effet que la trilogie de la Cour suprême de 2015 sur la constitutionnalisation du droit de grève a pour effet de donner une interprétation large et libérale à la notion d’ « établissement » afin de ne pas restreindre indûment la portée du droit de grève.

 

Champigny c. 9226-3730 Québec inc. 2021 QCTAT 5231

https://canlii.ca/t/jk6q3

Dans cette affaire, un cuisinier est congédié par son employeur à la suite d’une réclamation pour sommes dues au travailleur. Celui-ci arrive d’avance à son emploi et demande d’être rémunéré pour la période où il se déclare prêt à travailler, mais qui précède son horaire régulier. Le tribunal, bien qu’il estime que le salarié à tort sur son interprétation, considère que cette réclamation monétaire vise une disposition de la Loi sur les normes du travail (ci-après, la « LNT ») et qu’ainsi cela permet d’appliquer la présomption de l’article 122 LNT, soit une protection contre les pratiques interdites.

L’employeur prétend plutôt avoir mis fin à l’emploi en raison de son comportement toxique. Il allègue que le salarié entretenait des relations néfastes avec ses collègues et qui allaient jusqu’à saboter des plats lorsqu’il était irrité. L’employeur mentionne avoir rencontré le salarié à plusieurs reprises, mais que les avis verbaux n’ont rien changé au comportement de celui-ci. Le congédiement visait donc à protéger l’entreprise. Le salarié nie avoir été rencontré pour son comportement. Il a aussi démontré que l’employeur ne lui a jamais manifesté les motifs de son congédiement.

Pour le tribunal, l’employeur n’a pas réussi à renverser la présomption légale. En effet, le tribunal ne retient pas le témoignage des représentants de l’employeur. Les prétentions de l’employeur ne sont pas conséquentes avec la preuve administrée, notamment l’absence de progression des sanctions, une lettre de congédiement sans motif et l’absence de collègues ayant témoigné à l’instance.

Dans cette optique, le tribunal considère que le congédiement semble être un prétexte et accueille les plaintes du salarié.

 

Produits Kruger inc. et Unifor, local 50 (Pierre Beaulieu), 2021 QCTA 563

https://canlii.ca/t/jk9gb

Cette décision porte sur une objection préliminaire au dépôt en preuve par la partie syndicale de documents de nature médicale. À la suite d’un congédiement disciplinaire, un grief est déposé. Au cours de l’audience, le salarié visé est interrogé par la partie patronale et la partie syndicale. Il découle de ces deux témoignages certaines contradictions. Celles-ci s’expliqueraient par la prise de médicaments qui ont un effet sur la concentration et la mémoire du salarié. Dans ce contexte, la procureure syndicale annonce son intention de déposer en preuve la médicamentation et la posologie prescrites au salarié. L’employeur s’objecte en prétendant qu’une telle preuve doit être déposée par un expert qui pourra ensuite être contre-interrogé.

L’arbitre rend une décision intérimaire sur l’admissibilité en preuve des documents. Le tribunal considère que les documents sont de nature générale et ne porte aucunement sur une expertise en lien avec le salarié. Il s’agit plutôt de la fiche technique du médicament, des effets secondaires répertoriés et de la posologie indiquée par le professionnel de santé. Si la valeur probante est susceptible d’être affaiblie par une expertise de la partie patronale, le tribunal accepte le dépôt en preuve.

 


 

POLICIERS ET POLICIÈRES

 

Rien à signaler.

 


 

TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER

 

Gagnon et Corporation d’Urgences-Santé, 2021 QCTAT 3131

https://canlii.ca/t/jgnsp

Dans cette affaire, un paramédic subit une lésion professionnelle en 2015. Cependant, la lésion lui permet de continuer à travailler jusqu’en 2018. Il est placé dans une assignation temporaire en lien avec un projet pilote. Ce n’est qu’en 2018 que son médecin prescrit un arrêt de travail et donc, le travailleur devient admissible au versement d’indemnités de remplacement de revenus.

Le travailleur reçoit un avis de paiement de la CNESST basé sur son salaire au moment de l’accident de travail en 2015. Le travailleur réalise que son assignation temporaire lui permettait de gagner une somme plus élevée pendant les trois années suivantes. Il demande ainsi une révision de l’avis de paiement pour calculer une indemnité sur la base des douze mois précédents la réception des indemnités de remplacement de revenus.

Dans un premier temps, la CNESST néglige de rendre une décision en lien avec l’avis de paiement, ce qui oblige le travailleur à contester une note explicative. La CNESST rejette sa demande de révision en prétendant que celle-ci est hors délai. Le tribunal rejette cette prétention. C’est le comportement de la CNESST qui a obligé le travailleur à agir ainsi. Il s’est montré diligent tout au long du processus.

Toutefois, sur le fond de l’affaire, le tribunal maintient un calcul basé sur le salaire de paramédic prévu à la convention collective. L’assignation temporaire est postérieure à l’accident de travail et ne peut donc servir à l’établissement du revenu au sens des articles 67 à 74 de la loi. Le tribunal rejette aussi la demande du travailleur de recourir à un calcul sur la base de l’article 75, car le travailleur n’est pas au moment de l’accident de travail dans un emploi de nature particulière.

[35] La méthode de calcul utilisée doit également refléter le mieux possible la réalité économique du travailleur. Cependant, peu importe la méthode de calcul utilisée, elle doit obligatoirement se faire en utilisant le salaire gagné au moment du début de l’incapacité.

[36] À ce sujet, il est important de préciser que la jurisprudence a déjà qualifié d’erreur de droit, une interprétation ayant considéré que le calcul du revenu brut d’un travailleur peut se faire au moment de son arrêt de travail, plutôt qu’à la date du début de son incapacité.

Conséquemment, le tribunal refuse de considérer l’assignation temporaire ayant duré pour une période de trois ans aux fins d’établir le revenu annuel du travailleur.

 


 

POMPIERS ET POMPIÈRES

Rien à signaler.

 


 

ARTISTES

 

Lemieux et Société Radio-Canada, 2021 QCTAT 5335

https://canlii.ca/t/jkd30

Le travailleur a exercé des fonctions de caméraman pendant plus de quarante ans chez Radio-Canada. En novembre 2017, il dépose une réclamation à la CNESST pour surdité professionnelle. L’employeur prétend que la réclamation est tardive en ce que le travailleur savait depuis longtemps son état et qu’il a manifesté à plusieurs reprises des signes de surdité sur les plateaux. Or, pour le tribunal, la connaissance du travailleur doit découler d’une évaluation audiologique survenue en novembre 2017. Le travailleur n’est donc pas prescrit.

[20] Ainsi, à défaut d’un diagnostic posé, un travailleur ne peut avoir la connaissance qu’il est atteint d’une maladie professionnelle6 et soupçonner d’être atteint d’une telle maladie n’est pas suffisant.

Sur le fond, la preuve médicale appuie une surdité professionnelle. L’atteinte neurosensorielle est caractéristique d’une maladie professionnelle. Par la suite, le tribunal évalue si le milieu de travail du salarié comportait des expositions à des bruits importants. Le travailleur a témoigné à l’effet que pendant sa carrière à Radio-Canada il a été affecté à plusieurs évènements sportifs (hockey et formule 1) ainsi qu’à plusieurs concerts, tels les spectacles de la Saint-Jean. Le tribunal convient que lors de ces évènements les écouteurs du caméraman peuvent agir comme amplificateur de son. La position du caméraman lors des concerts, soit sur le « stage» près des colonnes de son, tend à démontrer que le travailleur a effectué ses fonctions dans des conditions de bruits excessifs.

La réclamation du travailleur est acceptée.

 


 

SECTION DROIT CRIMINEL

GÉNÉRAL

R c. Beaugé-Malenfant, 2021 QCCQ 11891

https://canlii.ca/t/jkklr 

Jugement sur une requête en exclusion des éléments de la preuve en vertu des articles 7, 8, 9, 10b) et 24(2) de la Charte canadienne des droits et libertés.

L’accusé est inculpé de plusieurs chefs d’infraction en matière de voyeurisme, de possession et de production de pornographie juvénile sur des enfants de moins de seize ans. Il aurait produit des enregistrements visuels subreptices de différentes personnes, dont des mineurs, au moyen de dispositifs électroniques dans des circonstances où il existe une attente raisonnable de vie privée.

Les faits au dossier sont les suivants. L’accusé reçoit une famille d’amis à son chalet, monsieur M.B. et madame M. ainsi que leurs enfants mineurs. Dans la salle de bain de l’accusé, Madame M. remarque un réveille-matin qu’elle trouve étrangement placé face à la toilette. Elle en discute avec son conjoint et à la troisième reprise qu’elle se rend à la salle de bain, elle constate que l’accusé y est retourné pour déplacer l’objet. Des recherches sur internet sont effectuées relativement à cet objet. C’est alors que l’accusé est confronté par ses invités. Monsieur M.B. se rend chez un voisin pour contacter les autorités. C’est à ce moment que l’accusé quitte dans son véhicule avec son ordinateur portable et son cellulaire. Les policiers de la sûreté municipale de Magog répondent à l’appel. Ils parviennent par la suite à localiser l’accusé. Selon les policiers, ils sont en relation d’aide vu les propos suicidaires rapportés par monsieur M.B. et madame M. Alors que l’agent Bettez communique avec le sergent Savage pour obtenir plus de détails relativement aux propos suicidaires, on lui ordonne d’arrêter l’accusé pour voyeurisme et production de pornographie juvénile. Son sergent lui demande également de saisir l’ordinateur portable et le cellulaire de l’accusé. Le droit constitutionnel de recourir à un avocat est donné par l’agent Trudeau. Ce dernier communique avec l’avocat de l’accusé, mais sans succès. Il n’y aura qu’une seule tentative d’appel.

L’agent Bettez fouille dans le véhicule, saisit le cellulaire et l’ordinateur portable de l’accusé puis décide de suspendre l’exécution de son droit à l’avocat jusqu’à l’arrivée au poste de Marieville puisqu’il n’y a pas d’appareil téléphonique à mettre à la disposition de l’accusé. Un délai d’environ une heure et demie s’est écoulé avant que l’accusé puisse parler à son avocat.

Le droit à l’avocat

Quant à la violation relativement au droit de l’accusé d’avoir recours sans délai à l’assistance d’un avocat, le juge Vanchestein estime que les policiers ont failli à leurs devoirs constitutionnels, car après la seule tentative pour communiquer avec un avocat, ils n’ont rien fait d’autre pour permettre à l’accusé de parler avec un avocat. De plus, les policiers se trouvaient à dix minutes du poste, mais ont décidé d’attendre une dépanneuse sur le bord de la route sans rien faire d’autre, faute de policiers pour les remplacer. L’accusé a été intercepté à la pointe d’armes à feu, pieds nus et menotté dans le dos. De l’avis du juge, il n’y a aucune preuve de l’existence de véritables obstacles à l’exercice du droit à l’avocat comme une urgence, un danger, ou une règle de droit. Conséquemment, l’attente d’une dépanneuse ne peut justifier l’inaction des policiers. Les policiers ont l’obligation de faciliter l’accès à un avocat et à cette fin, ils doivent prendre des mesures proactives pour que le droit à l’avocat se concrétise en « accès » à l’avocat.

Le juge souligne également que la décision de suspendre un droit constitutionnel est une décision lourde de conséquences. Elle ne sera possible qu’en présence de circonstances particulières qui pourraient menacer la sécurité des policiers ou affecter la perte d’éléments. En l’espèce, rien n’a justifié la suspension de ce droit par l’agent Bettez.

La fouille abusive

Monsieur M.B. avait remis à l’agent Martel le réveille-matin une fois arrivé sur les lieux. Ce dernier a examiné l’élément de preuve et l’a gardé en sa possession. Au poste, il rencontre l’enquêtrice attitrée et lui remet le réveille-matin. L’enquêtrice, n’ayant jamais vu un objet comme celui-ci, prend le temps de l’examiner et y voit une liste de 34 fichiers. Elle les a consultés pendant 30 minutes. L’enquêtrice n’a pas demandé de télémandat pour fouiller la carte SD bien qu’il aurait été possible d’en obtenir un.

La poursuite concède que cette fouille était abusive et contrevenait à la protection garantie par l’article 8 de la Charte mais prétend qu’elle ne devrait pas être exclue en application des principes de l’article 24 (2) de la Charte.

L’analyse de l’article 24 (2) de la Charte 

Le juge estime que dans les circonstances, la gravité de la conduite attentatoire est importante et milite en faveur de l’exclusion de la preuve. L’incidence sur les droits de l’accusé est totale et très importante. Une personne détenue par l’État est en situation de vulnérabilité, particulièrement dans une situation comme en l’espèce. Ainsi, le droit de parler avec un avocat devient « la seule ligne de survie ». En ce qui a trait à la fouille des saisies, le juge confirme que le niveau d’atteinte en matière de vie privée relativement à une carte SD est plutôt faible.

En reprenant les principes de l’arrêt Grant quant au critère de l’intérêt de la société à ce que l’affaire soit jugée au fond pour évaluer l’exclusion ou l’inclusion de la preuve, le juge considère qu’en raison de l’atteinte au droit à l’avocat, l’intérêt de la société ne milite pas pour que l’affaire soit jugée au fond, contrairement à la fouille abusive.

En raison du fort lien temporel entre l’intervention entourant l’arrestation qui a entraîné l’atteinte constitutionnelle à l’article 10b) de la Charte, et la découverte de nouveaux éléments de preuve, les déclarations faites aux policiers Bettez et Trudeau et les éléments saisis par ces derniers doivent être exclus. L’inclusion déconsidérerait l’administration de la justice.

La requête est partiellement accueillie.

 

R c. Lamarre, 2021 QCCQ 12814

https://canlii.ca/t/jl7hc

Jugement sur le prononcé de la peine. L’accusé était enseignant dans une école primaire pendant 14 ans. Il a plaidé coupable à des accusations de voyeurisme. La poursuite demandait de suspendre le prononcé de la peine et d’imposer une probation de trois ans alors que l’accusé suggérait une absolution conditionnelle.

Une douzaine de fichiers ont été retrouvés dans l’ordinateur de l’accusé où l’on voit certaines jeunes femmes qui sont filmées à leur insu. Les images rapprochées exposent les entre-jambes de ces femmes. Dans le cadre de la détermination de la peine, l’accusé a été assujetti à une expertise sexologique ainsi qu’à un rapport présentenciel. Les conclusions de ces démarches étaient positives.

L’objectif principal de l’imposition d’une peine est de protéger la société et de contribuer à la prévention du crime. Ce but est atteint par des sanctions justes qui visent un des objectifs prévus à l’article 718.1 du Code criminel. Bien que plusieurs principes pénologiques doivent guider le tribunal lors de la détermination de la peine, le principe cardinal et fondamental est celui de la proportionnalité. La peine ne doit pas excéder ce qui est juste et approprié compte tenu de la culpabilité morale du délinquant. Les facteurs aggravants considérés par le juge sont le nombre de vidéos et la durée des infractions ainsi que le facteur aggravant codifié à l’article 718.01 du Code criminel.

Le juge Jacques souligne qu’au premier critère de l’absolution, l’intérêt véritable, il n’est pas nécessaire d’exiger qu’une preuve soit faite d’une conséquence immédiate sur la vie professionnelle d’un individu, mais plutôt que cette perspective de complication future puisse exister. En l’espèce, l’accusé est détenteur d’un baccalauréat en éducation, d’un diplôme d’étude spécialisée, d’une maîtrise en administration de l’éducation et un d’un doctorat en science de l’éducation. Il a démissionné à la suite des accusations et il est peu probable qu’il récupère son poste. Un casier judiciaire pourrait mettre fin à la vie professionnelle de l’accusé et empêcher sa subsistance dans les domaines reliés à son expertise ou à d’autres domaines connexes. Quant à la notion de l’intérêt public, le deuxième critère, il doit être analysé en considérant plusieurs facteurs, dont la dissuasion générale. À cet égard, le critère doit être apprécié non pas en se référant à la personne qui se renseigne dans une certaine couverture médiatique ou via « des influenceurs sur les réseaux sociaux », mais en déterminant ce que penserait la personne raisonnable, renseignée et informée de la preuve versée au dossier.

Le juge estime que les gestes posés par l’accusé n’ont pas leur place dans une société civilisée. Cependant, bien qu’il soit normal de ressentir une forme d’indignation devant ces gestes, il n’est pas nécessaire d’accroitre la stigmatisation de l’accusé et d’anéantir l’espoir d’une vie professionnelle à moyen terme. Dans un lexique peu commun, le juge souligne que la coexistence difficile d’une condamnation et de perspectives favorables d’emploi est fréquemment la base de discussion quant à l’a-propos de l’absolution. Il n’est donc pas dans l’intérêt de neutraliser le savoir de l’accusé et de se priver d’une quinzaine d’années d’étude ou de travail universitaire. L’octroi d’une absolution n’irait pas à l’encontre d’une dénonciation du comportement de l’accusé et ne doit pas être interprété comme un obstacle au facteur de dissuasion.

Le tribunal impose donc une absolution conditionnelle accompagnée d’une ordonnance de probation de trois ans incluant l’obligation d’effectuer 150 heures de travaux communautaires.