Par Me Emmanuelle Arcand et Me Genesis R. Diaz
SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
CHU de Québec – Université Laval c. Racine, 2023 QCCS 1834
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Le demandeur, CHU de Québec–Université Laval (CHU), présente une demande de pourvoi en contrôle judiciaire à l’encontre d’une sentence arbitrale rendue le 31 octobre 2022 par le Tribunal d’arbitrage. La sentence arbitrale concernait trois griefs déposés par le Syndicat relativement à l’obligation d’effectuer du temps supplémentaire au département d’Urgence du CHU, lesquels ont été accueillis.
Le demandeur allègue que l’arbitre a commis une erreur déraisonnable en permettant le dépôt de pièces, qui aurait eu comme effet de transformer les griefs individuels en griefs syndicaux puisqu’elles n’étaient pas pertinentes pour l’analyse des griefs individuels. La Cour reconnait que les pièces débordent du cadre des trois griefs déposés. Toutefois, il conclut que l’arbitre pouvait décider de tenir compte d’une preuve du contexte existant au moment du dépôt des griefs puisque cette décision est fondée sur une analyse cohérente et rationnelle au sens de l’arrêt Vavilov. Ainsi, cette façon de faire n’a pas transformé les griefs individuels en griefs syndicaux.
Le demandeur prétend également que l’arbitre ajoute au texte de la convention collective lorsqu’il souligne que le recours au temps supplémentaire doit être exceptionnel. L’arbitre a interprété les dispositions de la convention collective, en recherchant l’intention des parties en plus de procéder à une analyse contextuelle et globale. Son interprétation lui permet de conclure que l’employeur pouvait obliger une salariée à effectuer du temps supplémentaire, mais que ça doit demeurer exceptionnel. De plus, il précise qu’il revient à l’employeur de démontrer qu’il a pris les moyens nécessaires pour éviter le temps supplémentaire. La Cour conclut que le raisonnement de l’arbitre est intelligible et que sa conclusion se justifie au regard des principes d’interprétation.
Finalement, le demandeur soutient que la conclusion de l’arbitre ne constitue pas une issue possible ou acceptable au regard des faits et du droit. Il prétend que l’arbitre s’ingère dans la gestion organisationnelle du travail. La Cour est plutôt d’avis qu’il a procédé à l’évaluation des moyens mis en place par l’employeur pour éviter le temps supplémentaire, ce qu’il devait faire. Ne pouvant substituer son appréciation du droit ou de la preuve à celle de l’arbitre, la Cour conclut que la décision de ce dernier est bien motivée, son raisonnement est transparent et intelligible et le résultat fait partie des issues possibles ou acceptables.
La demande de pourvoir en contrôle judiciaire est rejetée.
Guertin et Corporation d’Urgences-santé, 2023 QCTAT 2832
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Le travailleur, qui est commandant et chef de division opérationnel chez Corporation d’Urgence-Santé, dépose une réclamation pour surdité professionnelle à la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (ci-après « Commission) le 21 avril 2022. Au soutien de sa réclamation, il dépose une attestation médicale datée du 8 février 2021 où une oto-rhino-laryngologiste pose le diagnostic de surdité neurosensorielle compatible avec l’exposition aux bruits. Deux rapports d’audiogramme réalisés le 5 mars 2020 et le 4 avril 2022 sont aussi annexés à la réclamation. La Commission rejette la demande au motif qu’elle a été produite au-delà du délai de six mois prévu à la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles (ci-après « Loi »). Le travailleur conteste cette décision.
Le Tribunal souligne que la réclamation a été produite hors délai puisque dès le mois de mars 2020, le travailleur avait une connaissance suffisante du diagnostic et de la relation causale possible avec l’emploi exercé. Ainsi, le travailleur a déposé sa demande plus de six mois après la connaissance.
Toutefois, le Tribunal conclut que le travailleur a démontré qu’il avait un motif raisonnable pour déposer sa réclamation hors délai. Il souligne que la notion de motif raisonnable doit être interprétée de façon large, généreuse et non rigide afin d’assurer qu’un justiciable ne perde pas un droit à cause de la procédure. En l’espèce, le travailleur explique qu’en mars 2020 il n’avait aucun intérêt réel à produire une réclamation. Ensuite, il a vécu une situation difficile dans sa vie professionnelle et personnelle.
De mars 2020 à la période des fêtes 2021, le travailleur a appliqué des conseils et astuces de professionnels de la santé qui le rendaient fonctionnel au quotidien. Dans l’intervalle, son père est décédé, en juin 2020 et il est devenu le proche aidant de sa mère. En février 2021, l’oto-rhino-laryngologiste qu’il consulte ne lui dit pas qu’elle a complété l’attestation médicale à l’attention de la Commission. En décembre 2021, l’obligation du port du masque en tout temps crée un obstacle important à l’emploi du travailleur puisqu’il ne peut plus lire sur les lèvres. De plus, le Tribunal retient l’intérêt réel du travailleur de poursuivre ses démarches avec la Commission pour obtenir des prothèses auditives.
Le Tribunal est d’avis que les explications du travailleur ne sont pas farfelues, absurdes ou sans aucun bon sens. De plus, le retard n’est pas le résultat d’un comportement négligent ou insouciant. La contestation est accueillie.
POLICIERS ET POLICIÈRES
La Fraternité des policiers de Châteauguay inc. et Ville de Châteauguay, 21 juillet 2023, Me Nathalie Massicotte
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Le travailleur est congédié en juin 2021 pour absentéisme chronique et non-respect d’une entente de dernière chance. En effet, au moment du congédiement, il était en retour progressif et devait maintenir sa sobriété. Or, il a échoué un test de dépistage d’alcool. Il occupait alors le poste de sergent superviseur de patrouille et travaillait pour l’employeur depuis 22 ans.
En premier lieu, le Tribunal conclut que le congédiement possède un caractère mixte puisque l’entente de dernière chance visait à corriger le comportement fautif du travailleur, ce qui constitue une mesure disciplinaire.
Quant à l’absentéisme du travailleur, le Tribunal conclut qu’elle était liée à des troubles psychologiques entrainant un trouble de l’usage de l’alcool, ce qui constitue un handicap. L’employeur avait donc une obligation d’accommodement en l’espèce. Le taux d’absentéisme du travailleur était de 83% sur 9 ans, un taux considéré excessif. Or, l’employeur n’a pas rempli son fardeau de preuve quant à la contrainte excessive. En effet, le Tribunal conclut que le pronostic de retour au travail n’était pas sombre au point de conclure que le travailleur ne pouvait y retourner dans un avenir rapproché.
Le médecin du travailleur a témoigné à l’effet que le résultat du test de dépistage ne remettait pas en question le retour progressif. Il considérait le travailleur apte au travail. Les difficultés rencontrées par le travailleur, à l’hiver 2021, étaient causées par la médication pour son PTSD, ce qui était à la connaissance de l’employeur. Étant donné que le dosage du médicament était en voie d’être réglé et que le travailleur était apte au travail, le Tribunal conclut qu’il n’y avait pas de contrainte excessive pour l’employeur.
Quant à l’entente de dernière chance, le Tribunal est d’avis que le travailleur a contrevenu à son engagement de maintenir sa sobriété lorsqu’il a échoué un test de dépistage. Toutefois, il conclut que l’entente manque de clarté et ne permettait pas de comprendre qu’un résultat positif à un test de dépistage entrainerait son congédiement. En effet, la dépendance à l’alcool n’était pas une faute sanctionnable par l’entente, ni les absences du travailleur. Elle visait plutôt à lui donner une dernière chance concernant des infractions disciplinaires.
Le Tribunal annule le congédiement du travailleur et y substitue une suspension de deux mois pour avoir contrevenu à un des engagements de l’entente.
Le cabinet RBD représentait le Syndicat dans ce dossier.
Lavallée c. Dowd, 500-80-038503-190 (14 juillet 2023)
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L’appelant a interjeté un appel à l’encontre d’une décision sur sanction par le Comité de déontologie lui imposant une suspension sans traitement de soixante (60) jours, à la suite d’un plaidoyer de culpabilité à une infraction criminelle prévue à la Loi sur les drogues, le trafic d’une substance illicite. Selon le policier, le Comité devait considérer la longue période de quatre ans au cours de laquelle il a été suspendu du service de police, sans traitement.
Au terme des procédures criminelles, l’appelant a été absout inconditionnellement en raison des nombreuses démarches entreprises pour se réhabiliter. Devant le comité de discipline, l’appelant a fait la preuve de circonstances particulières ce qui a justifié une sanction autre que la destitution, soit quatre-vingts (80) jours de suspension.
La Cour constate que le Comité n’a jamais traité spécifiquement de la période de suspension sans solde de quatre ans imposés à l’appelant, bien qu’il ait indiqué que l’article 235 du Code de déontologie s’appliquait en l’espèce. Une période prolongée sans aucun revenu est lourde de conséquences pour un policier. Les conséquences financières découlant de pareille suspension ont été considérables pour l’appelant qui est même retourné vivre chez ses parents des années après avoir quitté le domicile familial. En ignorant à cette longue période de suspension de quatre ans, le Comité a commis une erreur de droit ayant une incidence sur la détermination de la peine. Le Comité est lié par l’article 235 de la Loi sur la police et devait s’expliquer quant aux raisons pour lesquelles il a choisi d’imposer cette sanction, en plus de 1 000 jours sans salaire déjà subis par l’appelant. La décision du Comité est muette à ce sujet. En plus de constituer une erreur de droit, cette omission participe également de l’erreur de principe puisqu’elle bat en brèche les principes de l’individualisation et de la proportionnalité qui s’imposent.
L’appel est accueilli. La sanction imposée est infirmée pour rendre la décision qui aurait dû être rendue. La Cour impose une sanction de huit (8) heures de suspension sans traitement.
Le cabinet RBD représentait le Syndicat dans ce dossier.
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Rien à signaler.
POMPIERS ET POMPIÈRES
Rien à signaler.
ARTISTES
Union des artistes (UDA), 2023 QCTAT 2551
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L’Union des artistes (ci-après « UDA ») et l’Alliance of Canadian Cinema and Radio Artists (ci-après « ACTRA ») demandent une reconnaissance, en vertu de l’article 12 de la Loi sur le statut professionnel des artistes des arts visuels, du cinéma, du disque, de la littérature, des métiers d’art et de la scène (ci-après « LSA ») pour représenter un des deux secteurs de négociation suivants :
L’UDA : « Tous les coordonnateurs d’intimité œuvrant dans le domaine du film, à l’exclusion des personnes occupant cette fonction dans le cadre d’une production faite et exécutée en anglais et destinée principalement à un public de langue anglaise. »
L’ACTRA : « Tous les coordonnateurs d’intimité dans le domaine du film en langue anglaise. »
Le Tribunal retient que le coordonnateur d’intimité œuvrant dans le domaine du film est une fonction d’artiste au sens de l’article 1.1 LSA. En effet, ses tâches consistent notamment à conseiller les interprètes et les autres créateurs dans l’interprétation, l’élaboration ou la création d’une séquence dans les scènes d’intimité, et ce dans le respect des objectifs du réalisateur. Une partie de son travail consiste également à créer des chorégraphies des mouvements impliqués dans une scène d’intimité. De plus, les tâches du coordonnateur d’intimité s’apparentent aux tâches du chef de troupe. Cette fonction est comprise dans un secteur de négociation représenté par l’UDA depuis 1993. Le Tribunal conclut donc qu’il serait incohérent de nier le statut d’artiste au coordonnateur d’intimité.
Le Tribunal conclut également qu’il est approprié de définir deux secteurs de négociation ne comprenant que la fonction de coordonnateur d’intimité. Il rappelle qu’un secteur de négociation n’a pas à être le plus approprié, il doit seulement l’être. Il serait contraire à l’objectif de la LSA de priver les coordonnateurs d’intimité de leur droit d’être représentés par une association reconnue pour négocier leurs conditions d’engagement, étant donné que cette loi milite en faveur d’une interprétation large de la notion de caractère approprié. De plus, le domaine et la langue de production visés par les demandes de reconnaissance se collent à ceux de secteurs de négociation regroupant les artistes-interprètes.
Le Tribunal conclut que, bien que les deux secteurs de négociation demandés ne soient pas idéaux, ils sont appropriés et qu’il y a lieu de les définir tel que demandés.
SECTION DROIT CRIMINEL
GÉNÉRAL
Lapierre c. R., 2023 QCCA 847
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Dans cette affaire, l’appelant se pourvoi à l’encontre d’un verdict le déclarant coupable d’avoir proféré des menaces de mort, de voies de fait, d’agression sexuelle et d’un bris d’ordonnance. Il a été acquitté des accusations de voies de fait contre son fils et de séquestrations de sa conjointe. Selon l’appelant, les déclarations de culpabilité de voies de fait et d’agressions sexuelles sont des verdicts déraisonnables, car ils sont incompatibles avec l’acquittement relatif à la séquestration. Il prétend également que le juge du procès s’est mépris dans la norme applicable à la faute requise pour commettre l’infraction de proférer des menaces de mort.
L’intimé a concédé que le juge de première instance a erré dans l’interprétation du critère subjectif pour conclure à la commission de l’infraction, donnant ainsi droit à un acquittement sur le chef d’avoir proféré des menaces de mort. Quant aux autres moyens, la Cour estime que malgré l’apparence de verdicts incompatibles, les motifs du juge du procès comprennent des conclusions claires selon lesquelles, dans la séquence des évènements, les éléments constitutifs des trois infractions reprochées ont été prouvés. De plus, l’analyse du juge appuie la conclusion selon laquelle les éléments constitutifs de la séquestration dans la suite des évènements ne pouvaient être séparés des éléments soutenant les infractions de voies de fait et d’agression sexuelle, de manière à prouver des comportements distincts. Selon la Cour, les acquittements de séquestration découlent d’une erreur de droit, mais sont conciliables avec les déclarations de culpabilité sous les chefs d’agressions sexuelles, de sorte que les acquittements ne sont pas déraisonnables. Bien que l’existence d’un verdict déraisonnable soit qualifiée comme étant une question de droit par l’appelant, cette détermination exige une attention particulière aux déterminations factuelles qui expliquent le fondement sur lequel le verdict est fondé. Ces déterminations relatives à la crédibilité et à la fiabilité exigent un degré élevé de déférence en appel pour lesquelles la Cour n’interviendra pas.
L’appel est accueilli partiellement. La Cour acquitte l’appelant d’avoir proféré des menaces et rejette les autres moyens d’appel.
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