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Veille juridique du 23 juin 2020

SECTION DROIT DU TRAVAIL 

GÉNÉRAL

 

Turenne Brique et pierre inc. c. FTQ-Construction 2020 QCCS 1794

https://www.canlii.org/fr/qc/qccs/doc/2020/2020qccs1794/2020qccs1794.pdf

 

Il faut remonter à 2011 pour retracer les faits à l’origine de cette action collective. Lorsque la Ministre Thériault initie une modification législative avec la loi 33, le secteur de la construction est directement visé. Par ce projet de loi, on vise la fin du régime de placement syndical. Comme le reconnaît la Cour supérieure, le projet de loi a des conséquences importantes pour les travailleurs du milieu de la construction. Les différents syndicats amorcent des actions de visibilité relativement à ce projet de loi, mais c’est toutefois la FTQ-Construction et l’Inter qui sont à l’avant-plan de la contestation comme en témoigne cet extrait de la décision :

[12] Bien que l’objectif principal du projet de loi soit l’abolition du placement syndical et la modification du rôle de la CCQ à cet égard, d’autres dispositions risquent d’avoir des effets négatifs pour la FTQ-C, telles que la modification du pouvoir de négocier les conventions collectives, les changements apportés au système de votation à l’occasion du maraudage et le transfert du fonds de formation à la CCQ. Les représentants syndicaux convainquent les travailleurs que ces enjeux les affecteront de manière importante et auront un effet néfaste sur leurs conditions de travail, bien qu’en réalité, ce soit surtout la centrale syndicale qui en sera touchée. La frustration est palpable dans l’industrie et les allégations de corruption et de collusion rendent les travailleurs vulnérables à la démagogie et à la propagande. L’opposition au PL 33 provient principalement des deux syndicats les plus importants dans le domaine et donc de ceux qui avaient le plus à perdre, soit la FTQ-C et l’Inter. Les autres centrales syndicales, entre autres la Confédération des syndicats nationaux (la CSN) et la Centrale des syndicats démocratiques (la CSD) se dissocient de la campagne de la FTQ-C et de l’Inter. La campagne conjointe de marketing de la FTQ-C et de l’Inter vise à jeter un regard critique sur l’information présentée par le gouvernement et aussi à renseigner les travailleurs et les médias sur les véritables enjeux de la réforme projetée. Des publicités sont distribuées sur des milliers de chantiers, lesquels sont visités par les représentants de ces centrales dans le but d’expliquer le projet de loi et d’informer et de mobiliser les membres.

Les mécontentements des salariés mènent aux dates fatidiques du 21, 24 et 25 octobre 2011. Sur ces trois jours, de nombreuses perturbations ont lieu sur les différents chantiers du Québec. Le 24 octobre, la grande majorité des chantiers sont interrompus par un arrêt de travailleurs des salariés à travers la province. Que ce soit, le chantier du CHUM, de l’autoroute 10 ou de la Romaine, entre 50 et 200 chantiers sont arrêtés. La Cour supérieure doit déterminer s’il s’agit de grève illégale. Pour le juge Granosik, il ne fait aucun doute qu’il s’agit d’un arrêt concerté de travail. La grève est donc illégale. Or, est-ce que la fermeture des chantiers est à l’initiative des dirigeants de la FTQ-Construction?

La Cour supérieure est venue à la conclusion que la preuve n’est pas concluante relativement à l’action des dirigeants. Rien n’a été soumis au tribunal démontrant que les dirigeants ont été impliqués dans l’organisation de la grève. Par contre, le tribunal impute une faute d’omission au syndicat. Informée de la grève, la FTQ-Construction devait prendre les moyens nécessaires afin que cesse la grève illégale. Pour le juge, le syndicat a tardé à réagir et il s’est donc rendu responsable des dommages liés à la journée du 25 octobre 2020. Ces dommages sont évalués à près de dix millions de dollars.

[100] Ce comportement, plus précisément le refus de prendre ses responsabilités dans le contexte de cette grève illégale, constitue une faute civile. Les dirigeants de la FTQ-C n’ayant agi que le 25 octobre 2011, ils ont procédé au moins un jour trop tard et ont ainsi commis une faute causant les arrêts de travail de cette même journée. Il est manifeste que s’ils avaient agi le 24 octobre, le travail aurait repris le lendemain, le 25 octobre 2011, tout comme il a été repris le mercredi 26 octobre 2011 à la suite de leur communiqué de la veille.

 

Fortin et RTC Chauffeurs 2020 QCTAT 1814

https://www.canlii.org/fr/qc/qctat/doc/2020/2020qctat1814/2020qctat1814.pdf

Le 16 janvier 2018, le travailleur subit une déchirure cutanée au 4e doigt de sa main gauche, alors que sa bague reste momentanément coincée dans une tige en métal faisant partie de la structure d’une porte d’un cabinet de toilette. Le travailleur est un chauffeur d’autobus. Attendant la navette de l’employeur devant l’emmener au départ de son trajet, il décide d’aller aux toilettes. Notons que le plaignant travaille sur un horaire coupé. Cette journée-là, il a fait un premier quart de travail entre 6 h 59 et 8 h 43. Il retourne ensuite chez lui pour prendre une pause. Le plaignant retourne au Centre métrobus de Lebourgneuf vers midi. Son intention est alors de prendre une navette à 12 h 35 fournie par l’employeur, devant le transporter à la Place d’Youville pour 13h00, afin qu’il puisse débuter son second trajet.

Pour le tribunal, bien que l’accident survienne sur les lieux appartenant à l’employeur, au moment des faits, le plaignant n’est pas rémunéré par l’employeur et il reste plus d’une heure avant le début de son quart. Ce faisant, le plaignant ne s’est pas blessé « à l’occasion du travail ».

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Therriault et Service correctionnel du Canada 2020 QCTAT 401

https://www.canlii.org/fr/qc/qctat/doc/2020/2020qctat401/2020qctat401.pdf

Dans cette affaire, le salarié, un maitre-chien, est en déplacement pour son employeur. Lors d’un arrêt à une halte routière, il doit sortir son chien de la voiture pour ses besoins. L’animal étant paralysé des pattes postérieures, le travailleur n’a d’autres choix que de le soulever. Lors de la manœuvre, le salarié ressent une vive douleur au dos.

Lors de ce déplacement, consistant à amener le chien au vétérinaire, le plaignant est rémunéré par l’employeur et le déplacement est autorisé. En somme, le tribunal reconnaît que le lieu de travail du salarié est influencé par la nature du travail, soit celle de s’occuper du chien 24 heures sur 24.

[31] En l’espèce, lors de l’événement, le travailleur est rémunéré et est autorisé à se déplacer hors des lieux du travail. Ainsi, le Tribunal considère que le déplacement du travailleur est une tâche comprise dans son travail de maître de chien et le véhicule de l’employeur est un endroit où le travailleur effectue une partie de son travail.

Par conséquent, le tribunal applique la présomption de l’article 28 LATMP et reconnaît l’accident de travail. Cette décision apporte une reconnaissance de la nature continue des tâches d’un maitre-chien devant assurer la garde de l’animal en tout temps.

 

Association internationale des machinistes et des travailleurs et travailleuses de l’aérospatiale (AIMTA), section locale 869, district 11 et Rolls-Royce Canada limitée (grief syndical) 2020 QCTA 205

https://www.canlii.org/fr/qc/qcsat/doc/2020/2020canlii30648/2020canlii30648.pdf

La surveillance en milieu de travail demeure un sujet très polarisant, cette décision s’ajoute au corpus jurisprudentiel traitant de l’installation de caméra sur les lieux de travail. À la suite de deux incidents sur des moteurs d’avion, à un poste de travail nommé « Rigging Station », l’employeur décide d’installer une caméra fixe sur ce poste de travail. Il est à savoir que dans cette cellule de travail, les salariés effectuent des contrôles fonctionnels de l’intégrité du moteur. Il s’agit de la dernière étape dans la chaîne de réparation et l’avant-dernière étape avant la livraison chez le client. En somme, à deux reprises, en moins de six mois, des incidents majeurs sont survenus à ce poste de travail qui aurait pu causer des conséquences très graves. L’employeur a fait enquête sur les deux évènements, mais la source de l’incident n’a pu être décelée, c’est pourquoi il procède à l’installation de ladite caméra.

L’employeur prend certaines dispositions. La caméra est fixe, elle n’enregistre pas le son. Les bandes s’effacent aux 14 jours et elles sont sous le contrôle du département de sûreté. Le visionnement nécessite une requête écrite qui est autorisée par le Chef du Département qui implique aussi un membre de l’équipe des relations de travail afin d’en évaluer la pertinence.

Pour le tribunal, l’employeur a montré un motif sérieux. Les deux incidents auraient pu être catastrophiques pour l’entreprise.

[28] Considérant la nature des activités commerciales de l’entreprise et des risques au niveau de la sécurité publique, il est impératif que le moteur d’avion ne présente aucune faille au moment de la livraison. Le Tribunal retient de la preuve soumise que dans cet environnement de travail qualifié de « critique », la protection de la qualité et de l’intégrité du processus de réparation des pièces est capitale. Compte tenu de la gravité de l’impact potentiel des bris, la preuve suffit pour conclure qu’il existe un motif sérieux et réel au soutien de la décision d’installer la caméra.

Les enquêtes de l’employeur sont demeurées infructueuses afin de trouver les raisons de l’incident, il n’existerait donc pas d’autres moyens pour prévenir de tels incidents que l’installation d’une caméra. Poursuivant son analyse, l’arbitre constate que l’employeur a pris plusieurs dispositions afin de s’assurer que l’atteinte est la moins intrusive possible. Pour ces raisons, le tribunal rejette le grief.

 

Fraternité des constables et agents de la paix de la STM-CSN et Société de transport de Montréal (griefs individuels, Carlos Jacobs-Munoz et autres) 2020 QCTA 212

https://www.canlii.org/fr/qc/qcsat/doc/2020/2020canlii31854/2020canlii31854.pdf

Dans cette affaire, l’arbitre Lamy doit évaluer le comportement de plusieurs inspecteurs de la STM étant intervenue physiquement avec un usager qui a tenté de s’enfuir à la suite d’une vérification des titres de passages.

L’événement survient dans le métro. Les salariés Jacobs et Dupont débutent une opération sur le quai à la station Préfontaine. Cette opération se solde par une interception physique d’un usager qui refusait de s’identifier et qui a tenté de prendre la fuite. Pour les fins de l’histoire, l’usager craignait l’intervention puisqu’il était visé par un mandat d’arrestation. Le tribunal doit analyser l’intervention des inspecteurs, mais aussi les rapports qu’ils ont rendus à la suite de l’événement. L’employeur est d’avis que les inspecteurs Jacobs et Dupont ont fait usage d’une force excessive et ont abusé de leur autorité. De plus, l’employeur reproche aux inspecteurs Jacobs, Dupont, Lévesque, Bravo et Masiello d’avoir produit des rapports faux et mensongers à l’employeur ainsi qu’au SPVM.

Dans un premier temps, l’arbitre se prononce sur la suspension pour fins d’enquête, sans solde, de M. Jacobs. Considérant les faits reprochés, soit d’avoir utilisé une force excessive contre un usager et d’avoir abusé de son autorité à l’endroit d’un usagé, l’arbitre Lamy analyse les critères de la suspension administrative. Elle se distancie rapidement de l’arrêt Cabiakman. Le tribunal rappelle que cet arrêt survient dans le cadre de rapports individuels du travail. Si l’arbitre reconnaît que les principes de Cabiakman peuvent être appliqués en rapports collectifs du travail, la décision précise que tel est le cas uniquement en présence d’une convention collective silencieuse sur le sujet. En l’espèce, la convention collective prévoyait des critères distincts pour la suspension administrative sans solde. Ainsi, la convention prévoit qu’une suspension pour fins d’enquête est sans solde si le manquement reproché est d’une gravité pouvant entrainer le congédiement. Se fiant à ce libellé, le tribunal constate que les reproches formulés à l’endroit du plaignant sont suffisamment graves pour entrainer le congédiement.

Par la suite, l’arbitre se penche sur les fautes reprochées. Le tribunal parcourt la jurisprudence afin de différencier la faute disciplinaire, de la faute civile, criminelle et déontologique en matière d’emploi de la force injustifiée. Dans une analyse fort intéressante, l’arbitre Lamy rapproche la faute disciplinaire de la faute civile en précisant que l’employeur est en droit d’établir des directives pouvant circonscrire le pouvoir d’intervention. Or, la nature même de l’emploi doit être prise en compte puisque l’usage de la force fait partie intégrante de la fonction. Au terme de son analyse, le tribunal reconnaît un manquement sur l’usage de force excessif de l’inspecteur Jacobs. Celui-ci a asséné 9 coups de diversion dans les côtes de l’usager pendant que son collègue le maitrisait par une prise au cou. Selon le tribunal, le nombre est supérieur à ce qui est requis. Finalement, le tribunal sanctionne l’ensemble des salariés, sauf M. Lévesque, concernant le manquement de production de faux rapports. Chacun des inspecteurs a ajusté son rapport afin de donner une image défavorable à l’usager tout en omettant de rapporter certains actes commis par les inspecteurs Dupont et Jacobs.

 

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                  POLICIERS ET POLICIÈRES

Chartrand et Ville de Montréal 2020 QCTAT 2327

https://www.canlii.org/fr/qc/qctat/doc/2020/2020qctat2327/2020qctat2327.pdf

Chartrand est un policier-cadre au sein du SPVM. Désirant contester une suspension sans solde et une réclamation pour allocation vestimentaire, il dépose une plainte au Tribunal administratif du travail en vertu de l’article 72 de la Loi sur les cités et villes. L’employeur s’oppose à la compétence du TAT en pareille matière. Pour la Ville de Montréal, la réduction de traitement est un recours spécifiquement prévu par la Loi sur la police à l’article 87. Ce recours devait donc être initié devant la Cour du Québec.

Le Tribunal accueille le moyen déclinatoire de la Ville de Montréal. Que ce soit une suspension administrative ou disciplinaire, la réduction de traitement d’un policier-cadre est implicitement prévue par la Loi sur la police devant avoir préséance sur les dispositions générales de la Loi sur les cités et villes.

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Commissaire à la déontologie policière c. Archambault, 2020 QCCDP 20

https://www.canlii.org/fr/qc/qccdp/doc/2020/2020qccdp20/2020qccdp20.pdf 

Dans cette affaire, le Comité avait décidé que la conduite des policiers avaient fait preuve de négligence ou d’insouciance à l’égard de la santé ou de la sécurité d’un tiers sous leur garde.

Les faits ayant donné lieu à cette affaire sont les suivants. Un individu est arrêté par le policier intimé et un collègue pour violence conjugale. Il est fouillé sommairement sur le lieu de son arrestation puis amené au poste de New Richmond. Au poste de police, le détenu est fouillé par palpation par le policier intimé qui lui retire ses lacets et sa ceinture et qui constate qu’il porte trois paires de pantalons. Le détenu est placé en cellule et y reste pendant une bonne partie de la journée. Vers 11 h, l’autre policier intimé arrive au poste pour commencer son quart de travail. Le détenu lui remet un rouleau de fil de fer servant à fabriquer des collets à lièvre. Le policier lui demande s’il a autre chose sur lui, mais il n’effectue pas de fouille. À aucun moment les policiers n’effectuent une nouvelle fouille.

Le détenu est transporté au palais de justice de New Carlisle. Dans le véhicule, il est menotté à l’avant et ses effets personnels se trouvent à proximité de lui. Après sa comparution, il est placé dans une salle d’interrogatoire en attendant son admission à l’établissement de détention. Les intimés n’assurent pas une surveillance constante du détenu, effectuant plutôt des rondes de surveillance aux cinq minutes. Lors d’une des rondes, l’un des policiers intimés constate que le détenu a tenté de se suicider en accrochant un fil de collet à la porte.

Après avoir considéré la gravité de l’inconduite, les circonstances et les dossiers déontologiques vierges des intimés, le Comité est d’avis que, à l’égard de chacun des policiers, une période de deux jours de suspension est appropriée comme sanction.

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TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER

 

Rien à signaler

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POMPIERS ET POMPIÈRES

Rien à signaler.

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ARTISTES

Rien à signaler.

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SECTION DROIT CRIMINEL

GÉNÉRAL

R. c. Zora, 2020 CSC 14

https://www.canlii.org/fr/ca/csc/doc/2020/2020csc14/2020csc14.pdf

Dans cet arrêt, la Cour suprême tranche unanimement la question de la mens rea de l’infraction d’omission de se conformer aux conditions d’une promesse ou d’un engagement du paragraphe 145(3) du Code criminel: une mens rea subjective est exigée.

Au procès, l’appelant avait été trouvé coupable d’avoir contrevenu à la condition de ne pas s’être présenté à la porte de sa résidence dans un délai de cinq minutes lorsque la police ou une personne en charge de la surveillance de sa liberté sous caution se présente pour confirmer qu’il respecte le couvre-feu. Son appel en Cour supérieure avait été rejeté, tout comme son appel à la Cour d’appel de la Colombie-Britannique (la juge Fenlon, dissidente, aurait pour sa part accueilli l’appel).

Rejetant les arguments de la Cour d’appel et de la Couronne, la Cour suprême estime que le libellé de l’article 145(3) C.cr. ne fait pas tomber cette infraction dans les catégories d’infractions fondées sur une obligation, puisque les termes habituels d’obligation ou de devoir ne sont pas inclus.

Par conséquent, il n’est pas nécessaire de recourir à une norme sociale uniforme pour bien comprendre à quelle norme de diligence une personne doit se conformer dans le cadre du respect des conditions de sa mise en liberté sous caution, et il n’est pas nécessaire d’examiner ce qu’une personne raisonnable aurait fait dans les circonstances pour comprendre l’obligation imposée par le par. 145(3). Autrement, sans cette capacité de faire la distinction entre un écart marqué et un simple écart, il existe un risque que la norme de la faute objective entraîne insidieusement une responsabilité absolue pour l’infraction prévue au par. 145(3).

La Cour dénonce le fait que cette infraction «peut criminaliser une conduite par ailleurs légale, les accusations peuvent s’accumuler rapidement et les déclarations de culpabilité (et même les accusations) peuvent avoir une incidence sur la capacité de la personne prévenue à obtenir une mise en liberté sous caution dans le futur.» (par. 53). :

 

«[l]es déclarations de culpabilité pour des infractions d’omission de se conformer à une condition peuvent par conséquent mener à un cercle vicieux où des conditions de mise en liberté sous caution de plus en plus nombreuses et sévères sont imposées lors de la déclaration de culpabilité, ce qui rend le respect desdites conditions encore plus difficile, menant ainsi la personne prévenue à faire l’objet de plus d’accusations de manquement et à se voir imposer des conditions de mise en liberté sous caution plus restrictives, voire une détention avant procès» (par. 57).

 

Les accusations criminelles sous 145(3) C.cr. seront seulement justifiées dans le cas de manquements à une condition visant une conduite qui est par ailleurs criminelle ou qui cause du tort ou constitue une menace à autrui, par exemple, lorsqu’une personne prévenue viole une condition d’interdiction de communiquer en menaçant ou en intimidant une victime, puisque les poursuites et la déclaration de culpabilité au titre du par. 145(3) devraient constituer une mesure de dernier recours, conçue pour répondre avant tout aux manquements préjudiciables et intentionnels à des conditions de mise en liberté sous caution lorsque les mesures possibles dans le cadre des processus de révision et de révocation de la mise en liberté sous caution seraient insuffisantes (par. 70).

La Cour dénonce les conditions de mise en liberté sous caution inutiles, déraisonnables, indûment restrictives, trop nombreuses ou qui, dans les faits, vouent la personne prévenue à l’échec comme contrevenant au principe de la retenue qui a toujours été la pierre angulaire du droit régissant l’établissement des conditions de mise en liberté sous caution. Ainsi, comme l’explique la Cour:

« Seules les conditions qui sont expressément adaptées à la situation personnelle de la personne prévenue peuvent satisfaire à ces critères. Les conditions de mise en liberté […] doivent être imposées avec retenue, non seulement parce qu’elles restreignent la liberté d’une personne présumée innocente de l’infraction sous‑jacente, mais aussi parce que le par. 145(3) a souvent pour effet de criminaliser un comportement qui serait autrement légal. En fait, chaque condition de mise en liberté sous caution imposée crée une nouvelle source de responsabilité criminelle éventuelle propre à la personne prévenue visée.» (par. 25)

La mens rea subjective de l’infraction prévue au par. 145(3) peut être établie lorsque la Couronne prouve les éléments suivants :

La personne prévenue connaissait les conditions de sa mise en liberté sous caution ou faisait preuve d’aveuglement volontaire à leur égard;

La personne prévenue a sciemment omis d’agir conformément aux conditions de sa mise en liberté sous caution, c’est‑à‑dire qu’elle connaissait les circonstances qui exigeaient qu’elle se conforme aux conditions de l’ordonnance dont elle faisait l’objet, ou qu’elle faisait preuve d’aveuglement volontaire face aux circonstances, et qu’elle a omis de se conformer aux conditions malgré le fait qu’elle les connaissait; ou

La personne prévenue a par insouciance omis d’agir conformément aux conditions de sa mise en liberté sous caution, c’est‑à‑dire qu’elle était consciente qu’il y avait un risque important et injustifié que sa conduite ne respecte pas les conditions de sa mise en liberté sous caution mais qu’elle n’a pas cessé d’agir de la sorte.» (par. 109).

Vu ce nouveau cadre d’analyse, la Cour accueille l’appel et ordonne un nouveau procès en l’espèce.

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