Veille juridique du 26 juillet 2022

26 juillet 2022

SECTION DROIT DU TRAVAIL

GÉNÉRAL

Nadeau c. Groupe Desgagnés inc., 2022 QCCS 2516

https://canlii.ca/t/jqd90

À l’époque de son licenciement, le travailleur occupe le poste de coordonnateur des technologies de l’information, section navire. Son contrat de travail prévoit un salaire annuel de 85 500 $ pour la période du 1er avril 2020 au 31 mars 2021 et de 88 000 $ pour les 12 mois suivants, auquel s’ajoutent certains avantages sociaux. Suivant la pandémie de la COVID-19, les activités de Groupe sont maintenues tout comme la prestation du travailleur, laquelle, toutefois, se fait à distance à compter de mars 2020, et ce, jusqu’au mois d’août 2020. Le 9 septembre 2020, invoquant que la pandémie a eu des impacts financiers importants chez Groupe, la défenderesse le licencie alors qu’il est âgé de 56 ans. À la suite de son licenciement, le travailleur réclame un délai de congé équivalent à 21 mois.

Le Tribunal est d’opinion que la baisse de revenu de plusieurs millions de dollars qu’a subi Groupe dans les mois qui ont suivi la pandémie ne peut être considérée comme une force majeure la dégageant de son obligation de donner un délai de congé raisonnable. Bien que le Tribunal puisse conclure au caractère imprévisible de la situation au moment de son apparition, celle-ci a tout au plus rendu l’exécution de l’obligation par Groupe plus difficile, sans la rendre impossible d’une manière absolue et permanente.

Quant au délai de congé, le Tribunal rappelle qu’il ne doit pas être d’une durée telle qu’il rend illusoire le droit de résiliation de l’employeur et qu’à cet égard, le délai de 24 mois est la limite supérieure du spectre de la période de préavis et n’est accordé que dans des circonstances très particulières. Dans les circonstances et suivant les critères énumérés dans l’arrêt Transforce, le Tribunal conclut qu’un délai de congé approprié aux circonstances du présent dossier se situe à 12 mois. Le total pour la période de 12 mois s’élève à 96 839,48 $ duquel il faut déduire les gains obtenus chez un autre employeur soit 13 846,14 $, ainsi que le préavis versé par la défenderesse, soit 15 026,08 $, laissant un solde de 67 967,26 $.

 

 


 

POLICIERS ET POLICIÈRES

Rien à signaler.

 

 


 

TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER

 

Corporation d’Urgences-Santé, 2022 QCTAT 2577

https://canlii.ca/t/jpnrj

Le travailleur occupe un emploi de paramédic pour le compte de l’employeur, Corporation d’Urgences-Santé. Il subit un choc émotionnel sévère le 19 août 2015, à la suite d’une intervention auprès d’un enfant de quatre ans victime d’une noyade en piscine. Cet incident est reconnu à titre de lésion professionnelle par la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité du travail (la Commission). Le principal diagnostic retenu est celui de choc post-traumatique.

L’employeur soumet une demande de partage de l’imputation des coûts au motif que le travailleur présente un handicap antérieur, à savoir qu’il a déjà vécu deux épisodes de trouble anxieux dans le passé à la suite d’événements au travail et qu’il a lui-même failli se noyer lors d’une activité de rafting à l’âge de 18 ans.

Selon la jurisprudence, la notion de déficience se définit par une perte de substance ou une altération d’une structure ou d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique qui correspondent à une déviation par rapport à une norme biomédicale. Elle peut être congénitale ou acquise et peut exister à l’état latent, sans s’être manifestée avant la survenance de la lésion professionnelle. Le Tribunal retient que l’accumulation d’événements traumatiques dans la vie du travailleur constitue, une déficience préalable.

Le Tribunal se dit en accord avec le fait que les différents incidents traumatiques vécus par le travailleur ont à l’évidence fragilisé l’équilibre psychologique de ce dernier au fil du temps. Il appert, cependant, que la majorité des événements se sont produits dans le cadre du travail chez l’employeur au dossier. Tous ces incidents de nature professionnelle ne sauraient ouvrir la porte à un partage de coûts dans la mesure où ce sont les activités de l’employeur, dont il bénéficie, qui sont responsables du désordre psychique du travailleur. Ils ne sont donc pas retenus à titre de déficience.

 


 

POMPIERS ET POMPIÈRES

Association des pompiers professionnels de Québec inc. (APPQ) et Ville de Québec (Alexandre Arturi), 2022 QCTA 307, SOQUIJ AZ-51866181

Disponible sur SOQUIJ

L’arbitre, Me Dominic Garneau, est appelé par les parties à répondre à la question suivante : la conférence annuelle de l’ARASQ (Association de la Retraite et des Avantages Sociaux du Québec) doit-elle être considérée comme une réunion du comité conjoint donnant droit aux remboursements prévus à la convention collective ?

Une clause est ambiguë lorsque son sens premier paraît déraisonnable, qu’il est impossible de lui conférer une signification raisonnable, ou encore, lorsqu’elle prête à plusieurs interprétations et qu’aucune ne paraît préférable à l’autre. Dans le cas présent, le terme « réunion » peut sembler ambigu en fonction de son sens commun qui est très large. Toutefois, dans la clause 11.04, il est question des réunions des comités conjoints, dont le nombre de représentants du syndicat est précisé pour chaque comité. Le contexte dans lequel le terme est utilisé en précise donc le sens et la portée. C’est lorsque les membres du comité se réunissent conjointement que la clause 11.04 s’applique et non toute forme de réunions auxquelles assistent des membres du comité. Ce sens, plus restreint, est celui qui reflète le mieux l’intention réelle des parties. En présence d’une clause claire, le Tribunal ne peut se reporter à une preuve de pratique passée pour interpréter la convention collective.

Se prononçant sur le moyen de défense de l’estoppel allégué par l’Association, le Tribunal conclut que son application fait échec en l’espèce. Certaines conditions doivent être satisfaites pour faire droit à un tel moyen de défense. La première est que l’autre partie, ici l’Employeur, doit avoir clairement laissé entendre, par ses paroles ou ses comportements, qu’il renonçait à demander l’exécution de la clause autrement que selon la pratique. Après avoir conduit une étude de l’application des dispositions pertinentes au dénouement du litige, le Tribunal affirme ne pas être mesure de confirmer l’existence d’une pratique constante selon laquelle la participation des membres du comité désignés par l’Association à la conférence de l’ARASQ o a été traitée en vertu de la clause 11.04

Le grief est rejeté. En somme, le texte de la clause 11.04 ne prête pas à interprétation. La conférence annuelle de l’ARASQ n’est pas une réunion du comité conjoint de retraite. De plus, l’existence d’une pratique donnant ouverture à la doctrine de l’estoppel n’a pas été démontrée de manière prépondérante.

 

 


 

ARTISTES

Klap Inc. c. Union des artistes, 2022 QCTAA

https://canlii.ca/t/jqzp6

KLAP inc. est une entreprise de production de spectacles qui est membre de l’Association québécoise de l’industrie du disque, du spectacle et de la vidéo (ADISQ). Elle produit en salle le spectacle de variétés Les Étoiles Montantesregroupant des artistes de la relève. KLAP inc. procède également à la captation vidéo de chacune des performances sur scène qu’elle propose aux artistes d’acheter sous forme de démo pouvant leur servir d’outil promotionnel. Le 17 octobre, l’Union des artistes (UDA) cesse de remettre à KLAP inc. des contrats d’engagement au motif que le type de production qu’elle faisait n’était pas couvert par l’entente collective. Pour l’UDA le modus operandi de KLAP inc. était plutôt de vendre des démos et permettre à ceux qui y participaient d’intégrer ses rangs plus rapidement au statut de membres actifs. L’UDA allègue ne pas avoir conclu une transaction avec KLAP inc. lors d’une rencontre de médiation, dont le but était de dénouer l’impasse sur l’arrêt des contrats, au motif que les parties n’ont pas fait de concession réciproque lors des séances.

La sentence vise d’abord à déterminer si une transaction est intervenue entre les parties au sujet de la production Les Étoiles Montantes. Une réponse affirmative à cette question mettrait fin au litige. Dans le cas contraire, le Tribunal devra décider si cette production est couverte et relève de l’entente collective liant l’UDA et l’ADISQ.

Trois conditions doivent être remplies pour être en présence d’une transaction comme définie à l’article 2631 dans le Code civil du Québec soit l’existence d’une contestation, la renonciation au recours au tribunal et la réciprocité des concessions. En l’espèce, le Tribunal est d’avis que bien qu’il y eût une entente, elle ne répond pas au critère des concessions réciproques propre à une transaction et que le critère de la renonciation au recours au tribunal ne l’est pas davantage.

D’une part, l’UDA ne s’est engagée qu’à appliquer le droit émanant de la convention collecte ce qui ne pourrait être une concession puisqu’appliquer les règles auxquelles une personne est de toute façon tenue est une obligation et non une option. D’autre part, l’UDA n’a pas renoncé au recours au tribunal puisqu’elle a seulement affirmé qu’elle « souhaiterait fortement l’arrêt des procédures ».

Quant à l’entente collective, le Tribunal tranche que Les Étoiles Montantes présente les caractères essentiels d’une production et d’un spectacle dont KLAP inc. est le producteur au sens de l’entente collective. La notion de producteur commande deux composantes essentielles : l’engagement d’artistes en vue de produire ou représenter une œuvre artistique, et la finalité de le faire devant public par opposition à un enregistrement. L’achat de démos captés de numéros présentés pendant ce spectacle était facultatif et n’était pas pour les artistes une condition à leur participation à ce spectacle. En définitive, le spectacle est couvert par l’entente collective.

 


 

SECTION DROIT CRIMINEL

GÉNÉRAL

R. c. Lafrance, 2022 CSC 32

https://canlii.ca/t/jqzp5

Au procès, l’intimé, un jeune autochtone, accusé de meurtre a tenté de faire exclure son aveu en arguant que les enquêteurs l’avaient détenu et avaient violé son droit à l’assistance d’un avocat prévu à l’al. 10b) de la Charte le jour de l’exécution du mandat de perquisition et le jour de son arrestation. L’intimé a été déclaré coupable. La Cour d’appel de l’Alberta a accueilli l’appel de l’intimé et écarté la déclaration obtenue en application de l’article 24 (2) de la Charte et a ordonné un nouveau procès. Le ministère public se pourvoit de cette décision.

De l’avis de la majorité des juges, les policiers ont violé le droit de l’intimé à l’article 10b) de la Charte lors de l’exécution du mandat de perquisition en ne lui permettant pas de communiquer avec un avocat. Ils ont également porté atteinte à son droit lors de son arrestation en lui refusant l’occasion de parler avec un avocat dans une situation qui indiquait que sa conversation initiale avec l’aide juridique avait été insuffisante pour réaliser l’objet du droit consacré à l’article 10b) de la Charte.

En l’espèce, le jour de l’exécution du mandat d’entrée, une personne raisonnable mise à la place de l’intimé, réveillée face à des policiers armés dans sa demeure, le forçant à sortir, comprendrait que ces derniers menaient une enquête ciblée. Le vaste déploiement de force lors de l’intrusion dans la maison, et l’environnement sécurisé pour un long interrogatoire qui, pris dans leur ensemble, étayent le point de vue selon lequel une personne mise à la place de l’intimé aurait raisonnablement considéré qu’elle ne pouvait pas partir. Les tribunaux doivent être conscients du rapport caractérisé par un considérable déséquilibre entre les policiers et la communauté autochtone dans l’évaluation des interactions entre les autochtones et la police.

Quant au droit à une deuxième consultation, bien qu’une seule consultation avec un avocat soit suffisante sur le plan constitutionnel, le volet mise en application de l’al. 10b) impose à la police une autre obligation soit celle de donner au détenu une possibilité raisonnable de consulter de nouveau un avocat si des faits nouveaux ou un changement de circonstances tendent à indiquer que le choix auquel l’accusé faisait face a considérablement changé, de sorte qu’il a besoin d’autres conseils sur la nouvelle situation. En l’espèce, l’intimé a demandé aux policiers d’appeler son père parce que l’avocat de l’aide juridique lui avait dit d’engager un avocat avant de continuer à parler. Ils ont refusé d’accéder à sa demande. La Cour estime qu’un doute aurait raisonnablement dû naître dans l’esprit de l’enquêteur quant au fait que l’intimé n’avait peut-être pas compris ses droits et la manière de les exercer. Ce constat est confirmé lorsqu’il est examiné à la lumière des caractéristiques personnelles de l’intimé, comme son jeune âge, ses origines autochtones et son degré de discernement. Par conséquent, les policiers ont violé le droit de l’intimé à l’assistance d’un avocat en refusant de lui permettre de consulter de nouveau un avocat en dépit du fait qu’il existait des raisons de conclure qu’il n’avait pas compris les conseils reçus, même après avoir parlé avec l’avocat de l’aide juridique. Le pourvoi est rejeté.

Les juges Moldaver, Côté et Rowe sont dissidents.

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