SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
FIQ – Syndicat des professionnelles en soins du Saguenay-Lac-Saint-Jean c. R., 2023 QCCS 4199
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/k10lv>
La Cour supérieure du Québec est saisie d’un pourvoi en contrôle judiciaire à l’encontre d’une sentence arbitrale qui rejette le grief traitant du droit à un congé compensatoire. Dans les faits, la plaignante est une infirmière auxiliaire qui a dû s’absenter du travail au motif qu’elle était atteinte de la COVID-19. À ce moment, elle a bénéficié d’une absence pour lésion professionnelle pour laquelle la CNESST lui versait la rémunération à laquelle elle avait droit pour le temps qu’elle aurait normalement travaillé. La plaignante reçoit son horaire de travail pour la période des fêtes, avant son absence liée à la COVID-19, conformément aux dispositions de la convention collective qui prévoient que les horaires sont affichés au moins 15 jours à l’avance et couvrent une période minimale de quatre semaines. Or, la convention collective prévoit également que la salariée tenue de travailler un jour férié a droit de recevoir, en plus de sa rémunération, un congé compensatoire versé dans sa banque de congés. Devant ces faits, l’arbitre conclut que la modification de l’horaire rendue nécessaire par l’absence de la plaignante en raison de la lésion professionnelle lui fait perdre le droit au congé compensatoire, car il n’y a aucun droit formel au cumul des congés compensatoires, ceux-ci n’étant octroyés que lorsque l’employeur ne peut respecter son obligation d’offrir aux salariés les congés fériés identifiés.
Pour le syndicat, l’arbitre erre dans son analyse puisque le droit au congé compensatoire est acquis dès que la salariée est tenue de travailler, c’est-à-dire à partir du moment où le nom de la salariée apparaît sur l’horaire affiché. D’ailleurs, la preuve démontre que la convention collective prévoit la possibilité que le congé compensatoire soit pris dans les quatre semaines qui précèdent le jour du congé férié cédulé. La Cour conclut que, malgré la rédaction soignée de la décision par l’arbitre, celle-ci omet de traiter de deux arguments essentiels présentés par le syndicat, soit la possibilité d’utiliser le congé compensatoire avant la date du congé férié et la possibilité prévue à la convention collective de cumuler jusqu’à un maximum de cinq congés compensatoires dans certaines situations. Cette omission constitue une lacune grave qui rend la décision déraisonnable.
Le pourvoi en contrôle judiciaire est accueilli, la décision est annulée et le grief est renvoyé à un autre arbitre.
C. c. Ministère de la Sécurité publique, 2023 QCTAT 4588
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/k0s2v>
Le plaignant, un agent de services correctionnels et président de la section locale du syndicat, dépose une plainte en vertu de l’article 15 du Code du travail pour pratique interdite en raison de la suspension sans solde d’une journée imposée par l’employeur. Il considère que cette sanction est une mesure de représailles en raison de ses activités syndicales. L’employeur allègue plutôt que la sanction disciplinaire est liée à un langage et comportement inappropriés tenus à titre de salarié à l’égard d’un gestionnaire lors d’une rencontre de gestion.
Le 15 décembre 2022, le chef d’unité mentionne au plaignant qu’il souhaite le rencontrer plus tard dans la journée sans lui préciser la raison. Lors de la rencontre, le plaignant entre dans la salle et prend place calmement. Le chef d’unité débute la rencontre en lui signalant diverses situations où le plaignant aurait eu un comportement répréhensible notamment lors d’une rencontre du comité de santé et sécurité au travail (SST) et dans le ton utilisé dans certains courriels transmis à la direction. Devant cette situation, le plaignant questionne la légitimité de cette rencontre considérant qu’elle n’a pas de lien avec sa prestation de travail, mais plutôt avec ses interventions syndicales. La rencontre devient tendue et lorsque le chef d’unité veut lui remettre une lettre d’attentes, le plaignant se lève brusquement et tient des propos agressifs. La rencontre se termine abruptement. Le 3 février 2023, le plaignant reçoit un avis de suspension sans solde pour une journée.
Le Tribunal conclut que malgré la convocation du plaignant à titre de salarié le 15 décembre 2022, il est évident que l’employeur cherche plutôt à réprimer la façon dont celui-ci s’acquitte de ses fonctions syndicales en utilisant la voie disciplinaire. Or, il s’agit du mauvais véhicule procédural pour faire valoir des reproches liés à la conduite syndicale du plaignant, si l’employeur juge nécessaire d’intervenir, il doit s’adresser au syndicat et non le punir à titre de salarié. Ce faisant, le plaignant bénéficie de l’immunité relative des représentants syndicaux. Cette immunité n’est pas absolue et les propos considérés comme de l’incivilité, de l’impolitesse ou de l’irrespect cessent d’être couverts lorsqu’ils deviennent excessifs, intimidants, menaçants ou vexatoires. Dans le présent cas, la réaction du plaignant est vive, mais elle s’explique par le contexte dans lequel l’employeur l’a placé. Il s’est senti piégé devant l’évidence que l’intervention du chef d’unité visait son travail de représentant syndical et non de salarié. C’est l’imprudence de l’employeur qui a provoqué cette situation explosive. Le comportement du plaignant est donc protégé par l’immunité relative.
La plainte est accueillie et la suspension sans solde d’une journée est annulée.
B. et CSH Ste-Marthe inc., 2023 QCTAT 4624
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/k0ttc>
Dans cette affaire, le Tribunal administratif du travail est saisi de la contestation de la travailleuse, une infirmière auxiliaire dans une résidence privée pour personnes âgées, afin de faire reconnaître le caractère professionnel de sa lésion psychologique dont le diagnostic est une dépression majeure. Elle relie cette condition à un climat de travail malsain et difficile chez l’employeur, principalement causé par la surcharge de travail et l’intimidation d’un collègue de travail et de la directrice des soins. Ces événements dépassent selon elle le cadre normal et habituel du travail et sont la cause de sa lésion psychologique.
Dans son analyse, le Tribunal passe en revue le développement de la jurisprudence en matière de reconnaissance d’une lésion professionnelle de nature psychologique. Notamment, la nécessité de prouver que les faits allégués sont objectivement traumatisants et qu’il ne s’agit pas simplement de la seule perception subjective de la situation. Cette appréciation se fait selon le critère de la personne normale et raisonnable placée dans le contexte de travail et la réalité propre vécue par la travailleuse. À ce sujet, un courant jurisprudentiel récent s’est développé au sein du Tribunal afin d’écarter la recherche du caractère objectivement traumatisant d’une situation puisqu’on considère que cela fait reposer un fardeau de preuve plus élevé que la balance des probabilités sur le travailleur. Ce courant décrit l’événement imprévu et soudain comme celui qui est « anormal », « inhabituel » ou « singulier ». En l’espèce, le Tribunal n’adhère pas à ce courant jurisprudentiel alternatif.
[17] Sans rejeter complètement cette nouvelle approche, le soussigné considère que l’événement particulier, anormal, inhabituel ou singulier doit revêtir un caractère suffisamment important pour affecter objectivement la psyché d’un individu. Il faut comprendre que le concept d’événement imprévu et soudain a initialement été conçu pour des lésions physiques et il faut absolument l’adapter, sans le dénaturer, aux lésions de nature psychologique.
Dans le présent dossier, le Tribunal considère que la travailleuse ne rencontre pas le fardeau de preuve exigé pour conclure à la présence d’un événement imprévu et soudain. Il est vrai qu’elle a vécu une situation difficile, anormale et inhabituelle générée par un environnement travail difficile et une gestion inadéquate de l’employeur. Or, cette situation n’est pas la cause de la dépression majeure, car la preuve médicale démontre qu’elle semble avoir bien vécu cette situation, avec force et détermination, et que c’est plutôt le contexte d’intimidation allégué et des stresseurs familiaux importants qui sont à la source de sa détresse. Enfin, le Tribunal conclut qu’aucune preuve ne permet, de façon objective, de conclure que l’attitude du collègue de travail ou de la directrice constitue du harcèlement, de l’intimidation ou une mesure de représailles à l’égard de la travailleuse.
La contestation est rejetée.
Association des professeurs du Collège français – Annexe Sud c. Collège français primaire inc., 2023 QCTAT 4479
Disponible ici : <https://canlii.ca/t/k0n2z>
Le syndicat dépose une plainte en vertu de l’article 12 du Code du travail pour entrave aux activités syndicales de la part de l’employeur. Essentiellement, il reproche à l’employeur d’avoir menacé les représentants syndicaux de sanctions disciplinaires s’ils réitéraient les critiques exposées à l’égard de la direction lors d’une réunion paritaire portant sur le climat de travail. Il considère qu’il s’agit d’une manœuvre d’intimidation. Pour sa part, l’employeur considère que les représentants syndicaux ont eu une attitude et des propos inappropriés lors de la rencontre paritaire, mais nie toutefois que la lettre constitue une menace de mesures disciplinaires.
La preuve démontre que l’employeur envoie une lettre par courriel aux représentants de l’exécutif syndical intitulée « Mise au point ». Il est mentionné que l’employeur est encore ébranlé par la violence des propos et le manque total de considération du syndicat lors de la rencontre paritaire ayant eu lieu une semaine plus tôt. L’employeur considère que les représentants se sont défoulés et acharnés sur la directrice de l’établissement et qu’il s’agit d’un comportement inacceptable. Cependant, il mentionne que le climat de travail peut être amélioré et que des efforts seront faits pour y parvenir. Pour le Tribunal, ces propos, bien qu’il s’agisse d’une critique sévère, ne cherchent pas à déséquilibrer le rapport de force illégalement et ne constituent pas une menace. Il s’agit de l’expression du désaccord sur le comportement et les propos tenus par les représentants syndicaux. D’autant plus que la lettre est distribuée uniquement à ces derniers. En revanche, la lettre de l’employeur conclut en mentionnant qu’aucune mesure disciplinaire ne sera imposée et qu’il leur donne le bénéfice du doute devant cette maladresse, mais qu’un tel comportement ne doit pas se reproduire.
Pour le Tribunal, indépendamment du titre de la lettre, il s’agit là d’une mise en garde claire aux représentants syndicaux en réponse à leur comportement lors d’une activité syndicale, soit leur présence et attitude lors de la rencontre paritaire. Par cet avertissement, l’employeur ne s’adresse pas aux représentants comme ses égaux, mais il utilise plutôt son pouvoir de direction en matière disciplinaire pour les menacer. Les termes sont clairs, à moins d’un changement d’attitude à l’égard de l’employeur, ils seront sanctionnés disciplinairement.
Le Tribunal conclut que ce que le Code interdit est de chercher à entraver. Il n’est pas nécessaire de démontrer la réussite de l’entrave, mais plutôt qu’elle a été intentionnelle. En l’espèce, le comportement tant du syndicat que de l’employeur lors de la rencontre paritaire s’inscrit dans un contexte de rapports collectifs de travail où il peut y avoir un échange corsé, inconfortable et désagréable d’opinions entre égaux. Les représentants syndicaux ont agi à l’intérieur de leur liberté d’expression en contexte de relations de travail. Par conséquent, l’employeur ne peut avoir recours à la subordination hiérarchique parce qu’il est en désaccord avec les propos syndicaux et les menaces proférées d’imposer des sanctions disciplinaires constituent une entrave interdite par l’article 12 du Code.
La plainte est accueillie.
Text