SECTION DROIT DU TRAVAIL
GÉNÉRAL
Allard c. Procureur général du Québec, 2022 QCCA 686
Dans ce dossier, l’appelant, un cadre retraité de la fonction publique du Québec, se pourvoit contre un jugement rendu le 6 mai 2021 par la Cour supérieure du Québec ayant rejeté sa demande d’autorisation d’introduire une action collective à l’encontre de l’État. L’appelant souhaite exercer ce recours à la suite des modifications apportées en 2017 à certaines dispositions prévues à la Loi sur le régime de retraite du personnel d’encadrement (ci-après la « LRRPE ») par la Loi favorisant la santé financière et la pérennité du régime de retraite du personnel d’encadrement et modifiant certaines dispositions législatives (ci-après la « Loi 126 »). Le groupe visé par l’action collective est composé de cadres retraités de la fonction publique québécoise. Par ce recours, l’appelant recherche une déclaration d’inconstitutionnalité des dispositions de la LRRPE ayant eu comme conséquence de réduire l’indexation des prestations de retraite, le remboursement des sommes dont les membres du groupe ont été privés en raison de cette réduction et l’octroi de dommages-intérêts compensatoires et punitifs.
En première instance, le juge de la Cour supérieure conclut que l’action collective n’est pas le véhicule procédural approprié puisque, selon l’arrêt D’Amico, le recours collectif qui vise à faire invalider des dispositions législatives ne présente pas le caractère utile nécessaire pour l’autoriser au sens de l’article 575 (3) du Code de procédure civile.
La Cour d’appel est d’avis que le juge de première instance a omis de prendre en considération la pleine mesure des conclusions recherchées, notamment la réclamation de dommages. S’il est vrai qu’il est habituellement inutile de choisir l’action collective comme véhicule procédural pour obtenir une déclaration d’inconstitutionnalité d’une loi, ce n’est pas le cas lorsqu’une conclusion de dommages est recherchée, comme en l’espèce. De plus, le juge a excédé le rôle de juge autorisateur en se penchant sur le fond du litige et il s’agit d’une erreur de droit qui justifie l’intervention de la Cour d’appel. En effet, le juge a procédé à une analyse de la preuve et du droit pour trancher plusieurs questions de fond. La Cour rappelle qu’au stade de l’autorisation, c’est un fardeau de logique et non de preuve qui incombe au requérant. Ce dernier doit établir l’existence d’une cause soutenable et n’a pas à offrir une preuve prépondérante des allégations avancées ni démontrer qu’il a de bonnes chances d’avoir gain de cause pour obtenir l’autorisation.
[25] En ce sens, la Cour estime que l’action collective est ici un véhicule utile et que le juge a commis une erreur en concluant autrement.
[26] Elle est aussi d’avis qu’il a excédé le rôle qui lui incombait au stade de l’autorisation lorsqu’il s’est intéressé au syllogisme proposé par l’appelant. Il s’est livré, on le voit à la lecture de ses motifs, à une analyse de la preuve et du droit pour trancher plusieurs questions relevant du fond. C’est le cas notamment lorsqu’il conclut que les cadres retraités n’ont pas droit à la négociation collective découlant du droit d’association, que la protection du droit de négocier collectivement prend fin au moment de la retraite même à l’égard d’un droit découlant du contrat de travail antérieur, qu’il faut distinguer les régimes découlant d’une convention collective ou d’un contrat de travail de ceux crées par une loi, et que le régime de pension concerné en l’espèce n’ayant jamais fait l’objet de négociations collectives, il n’est pas possible de soutenir qu’il existe une atteinte au droit de négocier collectivement. Cette dernière conclusion découle d’ailleurs d’une analyse de l’historique des négociations ayant eu lieu en lien avec divers régimes de retraite des employés de l’État alors que la preuve complète n’est vraisemblablement pas encore au dossier.
L’appel est accueilli et la Cour autorise l’exercice de l’action collective.
Bérard c. Association professionnelle des ingénieurs du gouvernement du Québec., 2022 QCTAT 1053
Le 7 janvier 2021, le demandeur, un ingénieur au ministère des Transports du Québec, dépose une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code du travail à la suite de la décision de son syndicat de se désister d’un grief dénonçant une situation de harcèlement psychologique dont il aurait été victime. La plainte du demandeur fait état de deux reproches, soit le fait que le syndicat n’a pas déposé le grief dans le délai prescrit par la convention collective et le refus de procéder à l’arbitrage du grief par le désistement du grief.
Dans les faits, la seule conduite vexatoire évoquée par le demandeur au soutien des allégations de harcèlement psychologique est le refus de l’employeur de lui accorder le classement d’ingénieur émérite et la prime correspondante. Or, un grief spécifique visant ce refus devait être déposé dans les 30 jours tel que prévu à la convention collective, ce qui n’a pas été fait. Le 10 février 2020, lors de la préparation en vue de l’arbitrage du grief de harcèlement psychologique, le syndicat informe le demandeur que l’employeur soulèvera une objection préliminaire relative au non-respect du délai. Par le fait même, le syndicat, conscient du mécontentement du demandeur, l’informe de la possibilité de déposer une plainte en vertu de l’article 47.2 du Code s’il le souhaite, ce qu’il ne fait pas. Le Tribunal retient que le demandeur ne fait valoir aucun motif pour expliquer ce défaut d’agir dans le délai de six mois.
Par ailleurs, le désistement du grief est fondé sur l’opinion écrite de l’avocat du syndicat, impliqué dans toute l’évolution du dossier du demandeur, selon laquelle les chances de succès en arbitrage sont pratiquement nulles considérant que la seule manifestation alléguée de harcèlement psychologique est le défaut de l’employeur de lui accorder le classement d’ingénieur émérite. Pour le Tribunal, la décision du syndicat a été prise à la suite d’une analyse sérieuse et s’inscrit dans les limites de son pouvoir discrétionnaire.
La plainte est rejetée.
Perreault et Unidindon, 2022 QCTAT 814
La travailleuse, une videuse de dindes au département de l’éviscération chez l’employeur, conteste la décision de la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (CNESST) ayant refusé sa réclamation pour une lésion professionnelle découlant du résultat positif au test de dépistage pour la Covid-19. Le 26 avril 2020, la travailleuse obtient un résultat positif et produit une réclamation pour ce diagnostic, qu’elle prétend être le fait d’un contact étroit avec un collègue porteur de la maladie.
Dans un cas de contamination à la Covid-19, la travailleuse doit démontrer de façon prépondérante que la contamination découle d’un événement imprévu et soudain au sens de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnellesou que la maladie est reliée directement aux risques particuliers de son travail. Au moment des faits, en avril 2020, la preuve démontre qu’il n’y a pas de mesures sanitaires en vigueur sauf le port de la visière de protection lors du travail sur la chaîne de production. Les travailleurs sont en contact constant dans les aires communes et la distanciation sociale de deux mètres n’est pas respectée. De plus, la travailleuse explique avoir côtoyé durant les pauses un collègue de travail qui a été déclaré positif durant la semaine du 24 avril 2020. Il en ressort que durant la même période plusieurs autres travailleurs ont été déclarés positifs à la Covid-19.
Le Tribunal considère que la travailleuse a subi un accident du travail puisque le fait d’avoir été en contact régulier avec un collègue de travail atteint de la maladie dans les jours ayant précédé l’apparition des symptômes chez la travailleuse constitue un événement imprévu et soudain. La probabilité de contamination au travail est plus grande que celle d’une contamination à l’extérieur du travail. Selon la preuve, la travailleuse n’a eu aucun contact à l’extérieur de son milieu de travail à l’époque pertinente. Elle respectait scrupuleusement les mesures de confinement mises en place à partir du 13 mars 2020. En effet, seul son conjoint quittait le domicile une fois par semaine pour effectuer l’épicerie.
[25] Pour le Tribunal, celle-ci a pu être contaminée par le collègue de travail susmentionné qui présentait déjà des symptômes de la maladie ou même par un autre travailleur asymptomatique. Le temps d’apparition des symptômes de la maladie peut varier d’une personne à l’autre. Le fait d’être la première ou la deuxième personne à déclarer la maladie à son employeur ne fait pas en sorte que c’est dans cet ordre que les travailleurs ont nécessairement été contaminés.
La contestation de la travailleuse est accueillie.
Teamsters Québec, local 1999 et Veolia Infrastructure Services Canada, 2022 QCTA 215
Dans cette affaire, le syndicat dépose deux griefs pour contester la suspension de cinq (5) jours et le congédiement du plaignant, un électricien d’entretien. Les motifs invoqués par l’employeur sont le manque d’assiduité au travail et les publications dénigrantes à l’égard de l’employeur publiées sur la page Facebook du plaignant. Pour l’employeur, ces éléments ont entraîné la rupture définitive du lien de confiance.
Sur le volet de l’assiduité au travail, l’employeur reproche au plaignant d’avoir prolongé indûment sa période de pause du matin et d’avoir abandonné son poste sans autorisation. La preuve présentée à l’audience démontre la survenance des deux manquements. Au moment de l’imposition de la mesure, le dossier disciplinaire du plaignant n’était pas vierge et faisait état de quelques avertissements et de suspensions mineures pour des manquements de même nature. De plus, l’arbitre retient des facteurs aggravants tels que l’absence de remords et de reconnaissance de faute chez le plaignant. La suspension est confirmée.
Ensuite, pour ce qui est du congédiement du 3 décembre 2020, la preuve est à l’effet que deux semaines après avoir purgé la suspension de cinq jours, le plaignant arrive au travail 30 minutes en retard sans préavis ni justification valable, et ce, malgré l’avertissement final écrit qu’il avait reçu au fait qu’une récidive entraînerait la fin d’emploi. D’ailleurs, durant la suspension de cinq jours, le plaignant publie des commentaires désobligeants à l’égard d’un client et de l’employeur. Le Tribunal considère que ces événements constituent l’incident culminant, d’autant plus que plusieurs facteurs aggravants sont retenus, à savoir que le plaignant ne démontre aucune volonté d’améliorer son comportement, qu’il a peu d’ancienneté et qu’il n’assume aucune part de responsabilité dans les manquements qui lui sont reprochés. Le congédiement est confirmé.
Les griefs sont rejetés.
Morand et Industries Show Canada inc., 2022 QCTAT 1098
En octobre 2020, le travailleur, un électromécanicien, subit une lésion professionnelle. En février 2021, l’employeur le convoque à un examen médical et le travailleur ne se présente pas au rendez-vous. En raison de cette absence, la Commission des normes, de l’équité et de la santé et sécurité au travail (CNESST) suspend le versement de l’indemnité de remplacement du revenu. En vertu de l’article 142 (2)a) de la Loi sur les accidents du travail et les maladies professionnelles, la CNESST peut réduire ou suspendre le paiement d’une indemnité si le travailleur omet ou refuse de se soumettre à un examen médical exigé par l’employeur, et ce, sans raison valable. Le travailleur conteste cette décision.
Après revue de la preuve, le Tribunal retient la version du travailleur. Celui-ci avait compris que le rendez-vous médical était fixé pour le vendredi 26 février 2021, date à laquelle il se présente chez le médecin désigné. Or, il est informé que son rendez-vous était la veille. Pour le Tribunal, bien qu’il aurait été plus prudent de vérifier l’avis de convocation, l’erreur du travailleur n’est pas assimilable à de la négligence ou de la mauvaise foi. Ce dernier ne cherchait pas à se soustraire à ses obligations légales, mais il a plutôt commis une erreur de bonne foi qui constitue un motif valable au sens de la Loi. Ce faisant, la CNESST n’est pas justifiée de suspendre ses indemnités de remplacement du revenu.
La contestation est accueillie.
POLICIERS ET POLICIÈRES
Rien à signaler.
TRAVAILLEURS(EUSES) DU PRÉHOSPITALIER
Rien à signaler.
POMPIERS ET POMPIÈRES
Rien à signaler.
ARTISTES
Rien à signaler.
SECTION DROIT CRIMINEL
GÉNÉRAL
R. c. Bissonnette, 2022 CSC 23
Dans cet arrêt, la Cour suprême du Canada est appelée à se prononcer sur la constitutionnalité du cumul des périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans de l’intimé en raison des meurtres qu’il a commis lors de l’attentat terroriste de la Grande Mosquée de Québec.
Rappelons que dans cette affaire, le ministère public demandait l’application de l’article 745.51 du Code criminel, lequel autorise le tribunal à ordonner que les périodes d’inadmissibilité à la libération conditionnelle pour chaque condamnation pour meurtre soient purgées consécutivement, plutôt que concurremment. L’intimé conteste cette disposition et avance plutôt qu’elle est contraire à l’article 12 de la Charte, en ce qu’elle constitue une peine cruelle et inusitée.
La Cour suprême conclut que l’article 745.51 du Code est contraire à l’article 12 de la Charte et n’est pas sauvegardé par l’article premier. En cas de meurtres multiples au premier degré, l’article 745.51 du Code permet l’infliction de peines d’emprisonnement qui, dans les faits, privent tous les contrevenants visés d’une possibilité réaliste d’obtenir une libération conditionnelle avant leur décès. De telles peines sont de nature dégradante, et donc contraires à la dignité humaine, puisqu’elles retirent aux contrevenants toute possibilité de réinsertion sociale, ce qui présuppose, de manière finale et irréversible, que ces derniers ne possèdent pas la capacité de s’amender et de réintégrer la société. L’intimé doit donc se voir infliger une période totale d’inadmissibilité à la libération conditionnelle de 25 ans, conformément au droit tel qu’il existait avant l’adoption de l’article 745.51.
La Cour est d’avis que l’horreur des crimes ne nie pas la proposition fondamentale que tous les êtres humains portent en eux la capacité de se réhabiliter et qu’en conséquence, les peines qui ne tiennent pas compte de cette qualité humaine vont à l’encontre des principes qui sous-tendent l’art. 12 de la Charte.
L’article 745.51 doit être déclaré immédiatement inopérant en application du par. 52(1) de la Loi constitutionnelle de 1982 et la déclaration doit invalider rétroactivement la disposition contestée à compter de l’adoption de celle‑ci.
L’appel est rejeté.
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