Dans l’affaire N. c. Commission municipale du Québec, 2025 QCCA 755 (les honorables juges François Doyon, Simon Ruel et Guy Cournoyer, j.c.a.), l’appelante est une conseillère municipale dont le comportement été trouvé dérogatoire à son Code d’éthique et de déontologie par l’instance juridictionnelle de la Commission municipale du Québec (la « CMQ »), soit de s’être comportée de façon irrespectueuse et incivile envers la directrice générale de la municipalité et d’avoir divulgué des renseignements privilégiés la concernant.
Par cette décision, la CMQ retient quatre manquements déontologiques distincts, lesquels font l’objet d’un pourvoi en contrôle judiciaire intenté par l’appelante. La Cour supérieure accueille en partie le pourvoi et casse la décision de la CMQ quant au manquement #1. Sur ce point, le juge reproche à la CMQ de ne pas avoir procédé à l’exercice de pondération entre les objectifs de la Loi sur l’éthique et la déontologie en matière municipale, notamment celui de contrer l’incivilité dans le monde municipal, et la liberté d’expression dont bénéficie une élue municipale. L’appelante interjette appel du jugement entrepris et la CMQ loge un appel incident.
Plus particulièrement, le libellé du manquement #1 reprochait à l’appelante de s’être adressée à la directrice générale en adoptant une attitude et des propos intimidants et vexatoires, contrevenant ainsi à l’article 5.2.1 du Règlement 22-178 édictant le Code d’éthique et de déontologie des élus∙es municipaux de Cap-Santé. Dans les faits, l’appelante aurait blâmé publiquement la directrice de ne pas avoir transmis en temps opportun aux membres du conseil une lettre du conseil d’établissement d’une école concernant la relocalisation de la bibliothèque municipale.
L’appelante plaide que la décision de première instance est déraisonnable sur toute la ligne. En effet, la CMQ se serait basée sur les notions de tolérance zéro et d’exemplarité et n’aurait pas fait l’exercice de pondération entre la liberté d’expression et les objectifs législatifs en matière de déontologie municipale, comme l’exige l’analyse proposée par la Cour suprême dans les arrêts Doré et Loyola.
La Cour d’appel considère que la décision de la Cour supérieure n’est entachée d’aucune erreur concernant les manquements 2 à 4 : celle-ci a appliqué la bonne norme de contrôle, soit celle de la décision raisonnable, et l’a appliquée correctement dans le contexte où la CMQ était appelée à appliquer des règles déontologiques à un ensemble précis de faits, en soupesant les valeurs associées à la liberté d’expression lorsque requis.
La Cour d’appel est catégorique : les protections qui sous-tendent la liberté d’expression ne sont d’aucun secours concernant les manquements 2 à 4 où l’on reproche notamment à l’appelante d’avoir dénigré la directrice auprès d’un subalterne lors d’un concert musical et d’avoir brisé la confidentialité du processus d’enquête interne en matière de harcèlement psychologique.
En particulier, il est reproché à l’appelante d’avoir révélé publiquement, en pleine séance du conseil, le contenu du rapport d’enquête confidentiel sur la plainte de harcèlement psychologique faite par la directrice, en plus d’avoir rendu publique son identité à titre de plaignante, puis d’avoir publié des informations à ce sujet sur les réseaux sociaux. Selon la Cour d’appel, ces propos ne permettent pas de transmettre des idées et des préoccupations des électeurs, ni de les informer sur l’état de l’administration municipale. Il ne s’agit pas non plus de propos qui favorisent un débat d’idées sur des questions d’intérêt public, aspects du discours politique protégés par la liberté d’expression. L’appelante a plutôt instrumentalisé une séance du conseil municipal pour favoriser ses intérêts personnels au détriment de la directrice.
Concernant le premier manquement, la Cour supérieure a erré dans l’application de la norme de contrôle. Selon la Cour d’appel, la CMQ a tenu expressément compte de la liberté d’expression des élus municipaux, mais conclut que cette liberté, « bien qu’elle soit un aspect crucial de l’engagement politique des élus, n’est toutefois pas absolue et ne peut justifier des débordements contraires aux règles de respect et de civilité ». L’appelante a tout simplement attaqué publiquement l’intégrité d’une fonctionnaire municipale qui a droit au respect.
L’appel principal est rejeté, l’appel incident est accueilli et la décision de la CMQ est rétablie intégralement.
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