Commentaire sur la décision R. c. Forgues

12 octobre 2023

 

PAR ME GENESIS R. DIAZ

* Ce texte a été initialement publié dans La référence, sous la citation EYB2023REP3675

Version PDF de l’article au lien suivant

 

Résumé

L’auteure commente cette décision dans laquelle la Cour du Québec se penche sur la détermination de la peine d’un accusé ayant reconnu sa culpabilité à des infractions d’ordre sexuel sur une mineure dans les années 1990 dans un contexte hors de l’ordinaire.

 

INTRODUCTION

Dans la décision R. c. Forgues 1, la Cour du Québec doit déterminer la peine juste et appropriée d’un accusé sans antécédents qui a reconnu sa culpabilité à des crimes de contacts sexuels et d’incitation à des contacts sexuels sur sa conjointe, mineure à l’époque. Les faits à l’origine de l’accusation se sont déroulés avant qu’ils forment un couple et se marient.

 

I– LES FAITS

À l’époque, la victime et l’accusé se rencontrent lors des événements du regroupement des sourds de Charlesbourg, dont la troupe de théâtre. La victime a grandi dans un milieu familial dysfonctionnel et violent. L’accusé a commencé à fréquenter la victime alors qu’elle était âgée de 13 ans et lui, de 29 ans. À la fin des 13 ans de la victime, la première relation sexuelle a lieu, ils en auront régulièrement jusqu’à leur mariage. Au début de leur relation, ils se cachaient, mais avec le temps, les familles respectives étaient au courant, la victime ayant déménagé chez l’accusé à l’âge de 17 ans.

En 1997, ils se marient alors qu’elle est âgée de 18 ans. Ils forment un couple pendant plus de vingt ans et ont quatre enfants. Trois ans après leur divorce, la victime porte plainte après avoir bénéficié de suivis thérapeutiques. Au terme de leur séparation, la victime réalise que sa vie lui a été « volée » et décide de porter plainte contre l’accusé.

Le poursuivant suggère une peine de six ans de pénitencier alors que la défense propose une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour, à être purgé dans la collectivité accompagnée d’une probation de trois ans.

 

II– LA DÉCISION

A. Les questions en litige

  1. Quelle est la sanction appropriée à infliger au délinquant?
  2. Est-ce que la situation de l’accusé milite en faveur d’une peine de pénitencier ?
  3. Est-ce que le tribunal peut considérer une peine d’emprisonnement avec sursis ?

 

B.  La détermination de la peine

Depuis l’arrêt Friesen 2, le tribunal doit composer avec les enseignements de cet arrêt qui exigent aux tribunaux d’instance de prononcer des peines plus sévères qu’auparavant en matière d’infractions sexuelles contre des enfants, mais sans perdre de vue la gravité objective de l’époque, ces infractions étant passibles d’un emprisonnement de dix ans, au moment des faits.

L’imposition d’une peine est un processus complexe notamment parce qu’il se veut prospectif. Les principes propres à la sanction, codifiés, prônent une approche à la fois individualisée pour l’accusé et prospective pour la société. Une peine, pour l’un si sévère soit-elle, pourra rarement être une compensation équitable pour une victime atteinte dans son intégrité physique ou psychologique puisque l’infliction d’une souffrance pour en apaiser une autre n’est pas nécessairement une stratégie gagnante.

En l’espèce, plusieurs facteurs atténuants sont en faveur de l’accusé, dont le risque de récidive inexistant. Nonobstant la présence de manipulation et/ou d’abus de confiance du fait que l’accusé était majeur, expérimenté et mature, peu de facteurs militent en faveur d’une peine de pénitencier.

Les conséquences pour la victime sont très importantes, mais le tribunal ne peut conclure qu’elles découlent toutes des infractions de l’accusé. Les faits sont hors de l’ordinaire alors que sur le premier chef, il y a peu de gestes, mais la victime était âgée de 13 ans et il y a une relation complète. Sur le deuxième, il y a beaucoup de gestes, la victime était en âge de consentir, mais l’accusé était en situation de confiance.

Le tribunal estime, considérant l’ensemble des facteurs, qu’une peine d’emprisonnement de deux ans moins un jour est juste et proportionnée pour l’ensemble des agressions qui ont duré près de quatre ans. Une ordonnance de probation et l’obligation d’effectuer 240 heures de services communautaires seront assorties à la peine.

 

C.  L’emprisonnement avec sursis

Le tribunal qui considère l’imposition d’une peine d’emprisonnement dans la collectivité doit apprécier les principes proposés dans l’arrêt Proulx 3. À moins d’une exclusion législative, il n’existe pas de présomption d’applicabilité ou d’inapplicabilité du sursis pour des infractions données. L’imposition d’une telle peine doit être conforme aux objectifs et principes codifiés aux articles 718 et suivants du Code criminel ainsi qu’aux principes jurisprudentiels. Finalement, elle ne doit pas mettre en danger la sécurité de la collectivité.

Une mesure d’emprisonnement avec sursis peut avoir un effet dissuasif appréciable si elle est assortie de conditions suffisamment punitives. En l’espèce, le besoin de dissuasion spécifique de l’accusé est inexistant. Son parcours de vie et le passage du temps témoignent d’une très forte prise de conscience et d’une preuve convaincante de réhabilitation.

Une peine de deux ans moins un jour à purger dans la collectivité paraît la plus juste, la plus proportionnelle et la plus appropriée.

 

III– LE COMMENTAIRE DE L’AUTEURE

Cette décision est l’illustration des enseignements proposés dans les arrêts Nasogaluak 4 et Ipeelee 5. Le principe de proportionnalité constitue l’élément central de la peine et requiert que la sanction n’excède pas ce qui est nécessaire, juste et approprié, compte tenu de la culpabilité morale du délinquant et de la gravité de l’infraction. Ce principe vise également que les délinquants soient tenus responsables de leurs actes et que les peines infligées, tout en dénonçant l’infraction commise, reflètent et sanctionnent adéquatement le rôle joué par ces derniers dans la perpétration de l’infraction ainsi que les torts qu’ils ont causés, ce que la Cour suprême qualifie comme le « juste dû », rien de plus.

Il nous apparaît clair que l’arrêt Friesen n’a pas voulu anéantir ces enseignements lorsque la Cour écrit :

[91] Ces commentaires ne doivent pas être interprétés comme une directive de faire abstraction des facteurs pertinents pouvant atténuer la culpabilité morale du délinquant. Le principe de proportionnalité exige que la peine infligée soit « juste et appropriée, rien de plus » (M. (C.A.), par. 80 (soulignement omis) ; voir aussi Ipeelee, par. 37).Premièrement, comme l’agression sexuelle et les contacts sexuels sont des infractions définies de manière générale qui englobent une vaste gamme d’actes, la conduite du délinquant sera moins blâmable sur le plan moral dans certains cas que dans d’autres. Deuxièmement, la situation personnelle des délinquants peut avoir un effet atténuant. Par exemple, les délinquants ayant des déficiences mentales qui comportent de grandes limites cognitives auront probablement une culpabilité morale réduite.

Nous sommes d’accord avec les propos du juge qui souligne que même si la dissuasion et la dénonciation doivent être privilégiées pour ces crimes, le tribunal ne peut aveuglément punir un crime sans égards aux critères codifiés aux articles 718 et suivant, aussi répréhensible et nocif soit-il.

 

CONCLUSION

Chaque cas est unique et cette décision aura le bénéfice de réitérer que l’emprisonnement dans la collectivité demeure une peine sévère, simplement adaptée aux accusés dont le profil manifeste des acquis de réhabilitation et dont le besoin d’être isolé s’avère inopportun.

 

1        2023 QCCQ 4713, EYB 2023-528518.

2       R. c. Friesen, 2020 CSC 9, EYB 2020-350618.

3       R. c. Proulx, 2000 CSC 5, REJB 2000-16192.

4       R. c. Nasogaluak, 2010 CSC 6, EYB 2010-169818.

      R. c. Ipeelee, 2012 CSC 13, EYB 2012-204040.

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