Dans la décision Roussin Bizier c. Cliche Auto Ford Thetford inc., 2025 QCTAT 399 (j.a. François Demers), un conseiller automobile est déclaré coupable de deux chefs d’agression sexuelle. Les événements menant aux accusations ont eu lieu durant son enterrement de vie de garçon en septembre 2022 auprès de deux jeunes femmes avec lesquelles il prenait des photos, vêtu d’un costume farfelu pour l’occasion. Il est arrêté le 14 septembre 2022 pour des attouchements sexuels non consensuels et le dossier est rapidement médiatisé. Le salarié est alors suspendu de ses fonctions, sans solde, jusqu’en janvier 2023. Il est alors réintégré dans ses fonctions de conseiller et demeure en poste jusqu’à ce qu’il soit déclaré coupable, le 11 janvier 2024.
Peu de temps après le verdict de culpabilité, l’employeur procède au congédiement du salarié pour cette raison et ajoute que les infractions sont liées à son emploi, constituant donc une cause juste et suffisante de congédiement. Il considère que la réintégration du salarié serait impossible compte tenu de ces antécédents judiciaires.
Le recours entrepris soulève deux questions : (1) Existe-t-il un lien objectif entre les infractions d’agression sexuelle pour lesquelles le salarié a été trouvé coupable et son emploi ? (2) Dans l’éventualité où la plainte est accueillie, l’employeur a-t-il fait la démonstration que la réintégration est impossible?
À la première question, l’employeur soutient que le salarié met à risque les clientes de l’entreprise avec qui il a des contacts quotidiens et fréquents et que la médiatisation du dossier a porté atteinte à la réputation et à l’image du commerce, principalement dans une petite municipalité de 20 000 citoyens. Le Tribunal n’est pas du même avis : l’employeur ne s’est pas déchargé de faire la démonstration de cette preuve.
Au contraire, le Tribunal donne préséance et plein effet à l’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne qui prohibe la discrimination fondée sur les antécédents judiciaires. Le cas du travailleur en l’espèce ne fait pas exception aux principes larges et libéraux du droit à l’emploi et à la réinsertion des personnes condamnées dans le marché du travail.
Le Tribunal, citant les propos de l’auteur Christian Brunelle, indique que l’incidence préjudiciable pour l’Employeur doit être « tangible », « concrète » et « réelle », ce qui n’est pas le cas en l’espèce.
La gravité et la nature des gestes commis n’ont aucun lien avec l’emploi. Effectivement, les faits ont eu lieu à la sortie des bars, dans le cadre d’un enterrement de vie de garçon. Rien ne permet de croire à un risque que ce comportement puisse se manifester à nouveau, par exemple, dans le cadre d’un essai routier avec une cliente du concessionnaire. Quant à la médiatisation, il n’existe aucun automatisme selon lequel la médiatisation de tout crime grave entraîne un lien objectif avec l’emploi à cause d’un possible effet sur la réputation de l’employeur. Aucune preuve n’a été présentée en ce sens.
À la deuxième question, le Tribunal confirme que la réintégration est possible, vu ses conclusions quant au fond de l’affaire en réponse à la première question en litige. La réintégration est la mesure de réparation normale et habituelle à la suite d’un congédiement fait sans cause juste et suffisante.
Le Tribunal accueille la plainte, annule le congédiement, ordonne la réintégration ainsi que le versement d’une indemnité correspondant au salaire et avantages perdus.
Text