Dans la décision Niphakis c. Indeed Canada Corp., 2024 QCTAT 3315 (j.a. Geneviève Drapeau), le Tribunal administratif du Travail (ci-après, TAT) doit se prononcer sur le caractère discriminatoire d’un congédiement d’un chef d’équipe des ventes faisant l’objet d’accusations criminelles de fraude.
L’employeur est une entreprise qui œuvre dans le domaine du recrutement et le plaignant travaillait pour l’employeur depuis 2018 à titre de chargé de compte puis comme chef d’équipe des ventes. En 2022, ce dernier est arrêté par la police en lien avec des accusations de fraude. Il est questionné puis remis en liberté en attente de son procès criminel. À la suite de la diffusion de cette situation dans les journaux, l’employeur effectue une enquête sur le plaignant et apprend l’existence de jugements civils condamnant le plaignant à environ 1 million de dollars pour fraude. Au terme de son enquête, il congédie le plaignant en raison de son implication dans des activités incompatibles avec la mission et les valeurs de l’entreprise.
L’article 18.2 de la Charte des droits et libertés de la personne (ci-après, Charte) interdit aux employeurs de congédier un salarié en raison d’accusations criminelles, si celles-ci ne sont pas en lien avec l’emploi. Le plaignant allègue que l’employeur n’a pas fait démonstration d’un tel lien.
L’employeur soutient que c’est en raison des jugements civils visant le plaignant et non des accusations criminelles qu’il a congédié celui-ci.
Le plaignant prétend que les jugements en matière civile ne sont qu’un prétexte et que le réel motif du congédiement repose sur son arrestation et les accusations criminelles qui ont suivi. Ainsi, il doit bénéficier de la protection de l’article 18.2 de la Charte étant donné l’absence de lien entre le poste qu’il occupait chez l’employeur et les accusations criminelles portées contre lui.
Il ressort de la preuve que ce sont les accusations criminelles qui ont été l’élément déclencheur de l’ouverture d’une enquête et qui ont fait en sorte que l’employeur ait décidé de mettre fin à l’emploi du plaignant.
Le Tribunal conclut que le plaignant bénéficie de la protection d’emploi qui est prévue à l’article 18.2 de la Charte. Il appartient donc à l’employeur de démontrer un lien objectif entre les accusations criminelles et l’emploi du plaignant.
La raison d’être de l’article 18.2 de la Charte est de protéger les personnes ayant des antécédents judiciaires contre les stigmates sociaux, afin de faciliter leur réinsertion dans le monde du travail.
Le Tribunal considère que l’employeur ne s’est pas déchargé de son fardeau de prouver que le plaignant a commis une faute grave justifiant un congédiement. Il conclut à l’absence de lien tangible entre les accusations au criminel du plaignant et son emploi. Il n’y a pas non plus de risque de récidive puisque le rôle du plaignant dans l’entreprise n’implique aucunement des transactions financières.
De plus, le Tribunal conclut que le plaignant n’avait pas l’obligation, contrairement à ce que l’employeur prétend, de divulguer ses démêlés de toute nature avec la justice qui n’ont aucun lien avec l’emploi. Les poursuites et les jugements civils visant le plaignant n’ayant aucun lien avec son emploi et concernant strictement sa vie personnelle, ce dernier n’avait pas à les dévoiler à l’employeur.
Finalement, l’employeur n’a pas réussi à démontrer que la réintégration était impossible en raison de la rupture du lien de confiance.
La plainte est donc accueillie, le congédiement est annulé et la réintégration du plaignant est ordonnée.
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