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Défense de force majeure liée à la COVID-19 en milieu de travail : deux applications récentes

Par Myriam Mansour, stagiaire

 

La force majeure en droit québécois est un moyen de défense qui permet au débiteur qui l’invoque de s’exonérer du préjudice causé à son créancier par le non-respect de l’obligation qu’il a envers lui. Ce moyen est codifié dans le Code civil du Québec[1] (ci-après « C. c. Q. ») au terme de son article 1470 qui se lit ainsi :

      1. Toute personne peut se dégager de sa responsabilité pour le préjudice causé à autrui si elle prouve que le préjudice résulte d’une force majeure, à moins qu’elle ne se soit engagée à le réparer.

La force majeure est un événement imprévisible et irrésistible; y est assimilée la cause étrangère qui présente ces mêmes caractères.

Dès ses débuts, le contexte de pandémie liée à la COVID-19 a fait surgir cette question : l’état d’urgence sanitaire est-il un événement fortuit permettant de bénéficier avec succès de la défense de force majeure? À la lumière de la jurisprudence, on constate rapidement qu’il n’y a pas de réponse définitive ou unique à cette question. Autrement dit, chaque cas en est un d’espèce qui doit satisfaire les conditions d’existence de la force majeure pour pouvoir en bénéficier.

Nous vous proposons deux illustrations récentes de ce moyen de défense s’inscrivant plus particulièrement dans le contexte du travail. Avant toute chose, nous suggérons un bref survol théorique des conditions à remplir pour profiter de l’exonération de responsabilité découlant de la force majeure.

 

  1. Les critères d’existence de la force majeure

L’arbitre Dominique-Anne Roy, dans l’affaire Syndicat démocratique des salariés du Château Frontenac et Fairmont Le Château Frontenac explique clairement les critères à satisfaire suivant l’article 1470 C.c.Q. Cette disposition, à même son libellé, prévoit deux critères soit l’imprévisibilité et l’irrésistibilité. La jurisprudence, quant à elle, en a fait ressortir deux autres soit l’extériorité et l’impossibilité d’agir. Chacun de ces éléments se définit de la manière suivante :

[15] L’imprévisibilité réfère à un événement qui, en plus de s’avérer imprévu, l’était pour une personne raisonnable placée dans les mêmes circonstances. D’où le fait que l’on parle plutôt d’imprévisibilité relative. La situation s’avère donc inattendue, au-delà de ce qu’une personne pouvait raisonnablement prévoir. L’imprévisibilité s’apprécie « non pas au moment où l’événement est survenu, mais au moment où l’obligation a été contractée par le débiteur ». Fait important, pour les fins de cette détermination, il importe de tenir compte de la formation ou de l’expérience pertinente du débiteur.

[16] L’irrésistibilité se rattache à un événement rendant vaine toute opposition du débiteur qui, malgré des efforts importants, ne pourra échapper à sa survenance. Il faut donc plus qu’un événement difficilement réalisable ou plus onéreux qu’anticipé.

[17] L’extériorité met en évidence que les faits rattachés à la force majeure ne doivent pas avoir été provoqués par le débiteur. Il heurte l’équité que ce dernier puisse s’exonérer en raison de ses propres agissements.

[18] L’impossibilité d’agir impose au débiteur d’aller au-delà d’efforts ordinaires ou de la diligence pour tenter d’exécuter son obligation

[Notre soulignement]

Ces critères sont cumulatifs : il est essentiel de tous les remplir afin de conclure à une situation relevant de la force majeure.

 

  1. Syndicat démocratique des salariés du Château Frontenac et Fairmont Le Château Frontenac : La force majeure liée à l’état d’urgence sanitaire reconnue

La décision Syndicat démocratique des salariés du Château Frontenac et Fairmont Le Château Frontenac[2]précitée reconnaît l’existence d’une force majeure résultant de l’adoption d’un décret gouvernemental ayant notamment forcé la fermeture des restaurants en avril 2021.

Dans cette affaire, le Tribunal est saisi d’un grief syndical qui réclame le paiement de l’indemnité de la convention collective associée à la modification unilatérale de l’horaire de travail de certains salariés dans un intervalle inférieur à 48 heures. En guise de défense, l’Employeur invoque la force majeure liée à la pandémie COVID-19. En effet, il allègue avoir été obligé de fermer son restaurant de manière intempestive en raison du décret gouvernemental 489-2021 à cet effet, l’empêchant du même coup de respecter les obligations auxquelles il est tenu en vertu de la convention.

Les faits sont les suivants : l’employeur répartit ses employés dans divers groupes. Pour la majorité des employés, leur horaire de travail est établi à l’avance pour la durée d’une période de paie de deux semaines, à l’exception du Groupe 3, qui reçoit un horaire chaque semaine. Cela étant dit, l’horaire de travail est affiché au plus tard à 11h00 le mercredi de la semaine précédant le début de la période de paie. Pour le Groupe 3, l’horaire comprenant la journée du 2 avril 2021 a été affiché le 24 mars 2021 tandis que pour le reste des employés, il a été affiché le 17 mars 2021. Le 31 mars 2021, le gouvernement du Québec a annoncé la mise en place de mesures spéciales d’urgences qui entrerait en vigueur le 1er avril 2021 à 20h dont notamment la fermeture des restaurants en zone rouge sauf pour la livraison des repas ou pour emporter. Par conséquent, le jour même de la conférence de presse, l’employeur a avisé les salariés planifiés à l’horaire du 1er avril à compter de 20h et du 2 avril que leur quart est annulé, soit moins de 48h à l’avance contrairement à ce qui est prévu à la convention collective.

Le Tribunal, à la lumière de la preuve qui lui a été présentée, est d’avis que l’Employeur a satisfait à l’ensemble des critères susmentionnés donnant droit à la défense de force majeure et rejetant ainsi le grief syndical. L’analyse de Me Roy dépeint bien la force majeure à travers tous ces critères constitutifs à savoir l’extériorité, l’irrésistibilité, l’imprévisibilité ainsi que l’impossibilité d’agir.

Tout d’abord, considérant le fait que l’Employeur n’a pas participé d’une quelconque façon à la décision de fermer les restaurants, le Tribunal estime que le critère d’extériorité est clairement satisfait. Les effets de l’entrée en vigueur du décret ne découlent pas de ses propres agissements. Il n’avait pas le choix de se plier à la mesure gouvernementale[3].

L’irrésistibilité de la situation peut être également observée dans la mesure où l’Employeur avait les mains liées par le décret 489-2021. Il n’était aucunement en position de proposer une alternative à la fermeture de son restaurant ou en repousser la date pour remplir les obligations auxquelles il était tenu en vertu de la convention collective[4].

Concernant l’imprévisibilité, le Tribunal estime qu’au moment de confectionner les horaires en mars 2021, l’employeur ne pouvait être en mesure d’anticiper la fermeture des restaurants contrairement aux prétentions syndicales. Dans un tel contexte de pandémie en 2021, il était impossible pour l’employeur de déceler quelque indication de fermeture imminente[5]. Ce critère est donc aussi satisfait. Tel que l’écrit l’arbitre Roy, dans cette affaire, « [l]’Employeur n’est ni devin, ni en possession d’informations privilégiées issues du gouvernement ou de la santé publique. »[6]

Au sujet de l’impossibilité d’agir, rien dans la preuve n’indique que l’Employeur a agi de manière insouciante. Il a d’ailleurs été mis en preuve que l’Employeur a mis en place des initiatives pour mettre à pied le moins de salariés possible, ce qui peut témoigner de sa bonne foi et de son désir de pallier les effets de la pandémie[7].

Pour ces motifs, le Tribunal estime que l’employeur était en droit d’invoquer la force majeure, et donc, de se soustraire à l’obligation conventionnelle de donner un préavis 48 heures à l’avance dont le défaut entraine le versement d’une indemnité aux salariés visés.

 

  1. BertrandVille de Baie-Saint-Paul : La Cour du Québec refuse la défense de force majeure

Dans l’affaire Bertrand c. Ville de Baie-Saint-Paul[8], le juge Dominique Roux a été saisi d’une demande par laquelle le demandeur, M. Bertrand, réclame la rémunération résiduelle de son contrat de travail à la suite de son licenciement. Au soutien de sa décision, l’Employeur, la Ville de Baie-Saint-Paul, invoque notamment la force majeure résultant de la pandémie de COVID-19 qui lui a eu pour incidence de réorganisation son milieu de travail.

Les faits sont les suivants : le 5 février 2020, le demandeur débute un emploi comme urbaniste au sein de la Ville de Baie-Saint-Paul (ci-après, « la Ville »). Le contrat verbal intervenu entre les parties est conclu pour une durée de six mois. Le 1er avril 2020, la Ville informe le demandeur qu’elle met fin prématurément à son emploi. Deux raisons sont invoquées: le retour au travail d’un urbaniste absent et le retour de l’autre urbaniste attendu prochainement ainsi que la pandémie de COVID-19, qui a entraîné la mise à pied temporaire d’une quarantaine d’employés, le non-rappel d’une vingtaine d’autres et une importante réorganisation du travail pour ceux demeurés en poste. Estimant que son contrat a été résilié sans motif sérieux quatre mois avant l’arrivée du terme, le demandeur réclame la somme de 15 000 $, qui correspond à une portion de la rémunération résiduelle du contrat.

Il y a lieu de souligner de prime abord que dans cette décision, la Cour analyse très brièvement la notion de force majeure contrairement à l’arbitre Roy dans l’affaire mentionnée précédemment. Elle conclut que la pandémie de COVID-19, malgré son caractère d’imprévisibilité, ne peut être considérée comme une force majeure dégageant la Ville de ses obligations envers le demandeur. En effet, c’est au niveau de l’irrésistibilité que le moyen de défense de la Ville a fait défaut[9]. Elle n’a pas été en mesure de prouver que la pandémie a rendu impossible le maintien en emploi de M. Bertrand. Au contraire, elle a reconnu que n’eut été du retour des urbanistes au travail et malgré la COVID-19, elle n’aurait pas résilié le contrat de travail de M. Bertrand. Cette situation illustre bien le principe selon lequel la COVID-19 ne crée pas automatiquement une situation pouvant se qualifier de force majeure.

 

  1. Conclusion

Il faut retenir des décisions résumées dans la présente qu’elles ne peuvent bénéficier d’une application mutatis mutandis. Au risque de nous répéter, chaque situation est un cas d’espèce. Au surplus, l’existence de la pandémie de COVID-19, bien qu’elle génère des situations imprévisibles, ne suffit pas à elle seule pour conclure à la force majeure. Elle ne peut, non plus, servir de prétexte pour tenter de se soustraire au respect de ses obligations. Il ne faut pas oublier que la force majeure est une exception à la force obligatoire des contrats et donc sujette à une interprétation restrictive. Quoi qu’il en soit, la jurisprudence dans le domaine des relations du travail portant sur la force majeure dans le contexte de la pandémie de COVID-19 reste assez modeste et mérite donc que l’on reste à l’affût des décisions à venir, le cas échéant.

 


[1] RLRQ, c. CCQ-1991.

[2] Id.

[3] Id., par. 31-33.

[4] Id., par. 34-37.

[5] Id., par. 38-48.

[6] Id., par. 46.

[7] Id., par. 49-52.

[8] 2021 QCCQ 10969.

[9] Id., par 22-24.