Dans la décision Mercier c. Syndicat national des employés de La Voix de l’Est (CSN), 2024 QCTAT 890, 13 mars 2024 (j.a. Line Lanseigne), le Tribunal administratif du travail (ci-après, le « TAT ») était saisi de 249 plaintes déposées par des personnes retraitées de différents journaux régionaux contre leur syndicat pour manquement à son devoir de représentation en vertu de l’article 47.2 du Code du travail (ci-après, le « Code »).
Le contexte du dossier est brièvement le suivant. Le Groupe Capitales Médias (ci-après, » GCM »), propriétaire de plusieurs journaux régionaux, éprouve des difficultés financières qui ont mené à un processus de restructuration en vertu de la Loi sur les arrangements avec les créanciers des compagnies, entériné par la Cour supérieure. Cela mettra fin aux régimes de retraite en place et aux contrats d’assurance collective des retraités. Le processus de restructuration prévoit également que la coopérative formée par le Collectif des employés du GCM se porte acquéreuse du conglomérat et continue l’exploitation des journaux régionaux.
Les retraités allèguent que les syndicats auraient privilégié les intérêts des salariés actifs en acceptant sans négociation réelle ni contrepartie la terminaison des régimes de retraite et des programmes d’assurance collective, et ce, dans le seul but de maintenir les emplois. Ils affirment que leur syndicat n’a pas tout fait pour maintenir leur régime de retraite et leur programme d’assurance collective. De plus, ils lui reprochent d’avoir mis fin à leur régime de retraite après avoir mené une négociation de façade et sans avoir obtenu leur autorisation.
De leur côté, les syndicats plaident que la terminaison des régimes de retraite, dont le déficit actuariel s’élevait à plus de 65 millions de dollars, et l’abolition des programmes d’assurance collective des retraités étaient inévitables en raison de l’insolvabilité de GCM.
La juge administrative rappelle que les syndicats ont l’obligation de représenter les retraités au regard des droits acquis de ceux-ci, même s’ils ne sont plus visés par l’accréditation. Elle rappelle également que l’obligation de représentation du syndicat en est une de moyens par opposition à une obligation de résultat. Les retraités doivent démontrer que les syndicats ont agi de manière arbitraire ou discriminatoire ou qu’ils ont fait preuve de négligence grave ou de mauvaise foi à leur endroit.
Le TAT rejette les plaintes formulées par les retraités. Le Tribunal est d’avis que les syndicats n’ont pas été négligents et qu’ils n’ont pas usé de leur pouvoir discrétionnaire de façon à porter préjudice aux retraités lors du processus de restructuration engendré par les difficultés financières de GCM. Au contraire, dès l’annonce de l’insolvabilité de GCM, le 19 août 2019, les syndicats et les organisations syndicales auxquelles ils sont affiliés agissent avec rigueur et diligence. Ils ont rapidement fait appel à des actuaires expérimentés, à des experts, dont des avocats, des économistes, ainsi que des conseillers syndicaux qualifiés.
Malheureusement, après avoir entrepris des analyses rigoureuses, les actuaires doivent se résoudre à conclure qu’il est impossible de maintenir les régimes de retraite en l’absence d’un promoteur prêt à assumer les coûts et les risques liés au déficit des caisses de retraite. Toutes les pistes de solution permettant de sauver les régimes de retraite dont celles suggérées par les retraités ont été analysées longuement. Selon le TAT, la preuve soumise convainc du sérieux et de la justesse des études et des analyses effectuées et rien ne permet d’en douter.
Selon les retraités, les syndicats auraient favorisé les travailleurs syndiqués au détriment de leurs droits en privilégiant les intérêts financiers des coopératives dont ils étaient les promoteurs. Or, selon le TAT, la conduite des syndicats ne démontre pas que ceux-ci ont agi de manière discriminatoire à l’endroit des retraités ou qu’ils ont cherché à leur nuire. Les actions entreprises par les syndicats l’ont été dans le seul but de trouver une solution bénéfique pour tous, salariés et retraités, compte tenu de la situation financière catastrophique dans laquelle se trouve GCM. La preuve ne permet pas de conclure que les syndicats ont sacrifié les droits des retraités.
Par ailleurs, le TAT fait remarquer que la terminaison des régimes de retraite et des programmes d’assurance collective n’a pas été faite au seul détriment des retraités. Les salariés actifs ainsi que les retraités perdent des acquis considérables et leurs intérêts respectifs ne sont pas en opposition.
Le TAT constate que la perte de certains droits pour les salariés et les retraités était, en l’espèce, inévitable, peu importe les efforts des syndicats. La juge administrative conclut également que la preuve ne permet pas de conclure que les syndicats ont entrepris une négociation de façade. Il appartient aux syndicats de décider du compromis qui apparaît le plus juste pour l’ensemble des membres qu’ils représentent. La position retenue par les syndicats dans ce dossier ne constitue pas un manquement au devoir de juste représentation.
Les plaintes sont rejetées.
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