Exercice légitime de la liberté d’expression ou propos diffamatoires ?

18 juin 2024

Le fait pour un syndicat de faire paraître une publicité dans des journaux afin d’alerter l’opinion publique et de sensibiliser les citoyens aux préoccupations des employés concernant la sous-traitance de certains services municipaux peut-il engager sa responsabilité ?

 

Dans l’arrêt Syndicat canadien de la fonction publique c. Monette, 2024 QCCA 724 (j. C.A. Cotnam, Marcotte et Kalichman), les appelants, le Syndicat canadien de la fonction publique et la section locale 3365 du Syndicat canadien de la fonction publique, se pourvoient contre un jugement rendu par la Cour du Québec dans lequel elle accueille la demande en dommages des intimés pour atteinte à leur réputation. Par cette décision, la Cour du Québec condamnait solidairement les appelants à verser à chaque intimé des dommages-intérêts compensatoires s’élevant à 3 000$ ainsi qu’un montant de 5 000$ à titre de dommages punitifs.

Les intimés occupent des fonctions de maire, de conseillers municipaux et de directeurs généraux au sein d’une petite municipalité. À la suite de la publication d’un encart publicitaire rédigé par le conseiller en communication du Syndicat dénonçant la pratique de la municipalité de confier le déneigement en sous-traitance, les intimés s’estiment victimes de diffamation et somment les appelants à se rétracter. Ces derniers refusent d’obtempérer, ce qui mènera au recours introduit en première instance à la Cour du Québec.

Après avoir décortiqué chaque passage du texte publié, le juge de première instance conclut que son contenu est « entièrement faux » et qu’il déconsidère la réputation des intimés. Il reproche aux appelants de n’avoir fait aucune vérification préalable auprès de la municipalité afin de confirmer l’information rapportée. Jugeant que les appelants ont commis une faute civile et qu’ils ont fait preuve de malveillance, le juge estime que le préjudice subi par les intimés découle de la faute des appelants.

La Cour d’appel juge que la Cour du Québec a commis plusieurs erreurs au stade de l’analyse du préjudice, ainsi qu’au stade de l’analyse de la faute. D’abord, la Cour est d’avis que le juge de première instance a erré en concluant que le citoyen ordinaire aurait considéré que cette publication, prise dans son ensemble et replacée dans son contexte politique et syndical, a déconsidéré la réputation dont jouissaient les intimés. La Cour souligne que les propos des appelants ne s’attaquent pas directement aux intimés, mais à la municipalité comme entité publique assumant la responsabilité du déneigement et de l’octroi des contrats de sous-traitance.

Ensuite, concernant la question de la faute, la Cour rappelle que le texte en cause dans cette affaire vise à exprimer une opinion ou des inquiétudes au sujet d’une problématique en matière de relations de travail. Elle précise alors que l’obligation de vérifier l’information publiée ne s’applique pas aux appelants avec la même sévérité que lorsqu’il est question de contenu journalistique.

Par ailleurs, selon la Cour d’appel, le juge a eu tort de conclure que le contenu du texte est faux. La preuve démontre que la possibilité de confier l’ensemble du déneigement à l’externe durant l’hiver 2019 a été évaluée par la direction et qu’un premier pas avait été franchi en octroyant certains contrats en sous-traitance.

De plus, la Cour d’appel est d’avis que le juge de première instance élude les enjeux liés à la protection de la liberté d’expression. Elle précise que le fait de mobiliser l’opinion publique et de sensibiliser les citoyens aux préoccupations des employés ne saurait engager la responsabilité des appelants envers les intimés. Elle écrit :

[77] Certes, les propos sont durs, ils déforment quelque peu la réalité et le langage utilisé manque de nuances, mais il s’agit d’opinions que peut valablement exprimer une personne raisonnable dans les circonstances. Les appelants étaient en droit de communiquer leurs inquiétudes à la population via les journaux afin de conscientiser les citoyens et de les inciter à poser des questions aux élus. Cela participe de la liberté d’expression dans un contexte de relations de travail en milieu municipal.

L’appel est accueilli et le jugement de la Cour du Québec est infirmé.

Text

Retour aux articles

Auteur.e.s

author

Milia Langevin

Vous aimez nos publications?

Restez informés en vous abonnant
à notre infolettre!

Modifier mes préférences
+

Nous utilisons des cookies pour faciliter votre navigation et activer certaines fonctionnalités. Vous pouvez consulter des informations détaillées sur tous les cookies dans chaque catégorie de consentement ci-dessous.

Témoins fonctionnels (Obligatoires)

Ces témoins sont essentiels au bon fonctionnement de notre site Web; c’est pourquoi vous ne pouvez pas les supprimer.

Témoins statistiques

Ces témoins nous permettent de connaître l’utilisation qui est faite de notre site et les performances de celui-ci, d’en établir des statistiques d’utilisation et de déterminer les volumes de fréquentation et d’utilisation des divers éléments.

Témoins publicitaires

Ces témoins sont utilisés pour fournir aux visiteurs des publicités personnalisées basées sur les pages visitées précédemment et analyser l'efficacité de la campagne publicitaire.

Refuser
Confirmer ma sélection
Fichiers témoins

Ce site utilise des cookies, déposés par notre site web, afin d’améliorer votre expérience de navigation. Pour plus d’information sur les finalités et pour personnaliser vos préférences par type de cookies utilisés, veuillez visiter notre page de politique de confidentialité.

Accepter tout
Gérer mes préférences